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Vous êtes ici › Les groupes / artistes › S › Franz Schubert (1797-1828) › Les dernières sonates pour piano
Enregistré à Riehen (suisse), Landgasthof, 1992-1993. Directeur artistique : Dr. Michael Stille; Ingénieur du son : Hartwig Paulsen; Montage : Hilmar Kerp
Christian Zacharias (piano)
Les versions chroniquées sont les CD 4 et 5 issus de l'inespérable coffret EMI
classics qui contient sur 5 CD pour 15 euros (si, si...) une large
sélection de sonates interprétées par le remarquable Christian
Zacharias, qui n'hésite à mettre de lui-même dans une vision de ces
pièces qui ne demandent que ça. Dans un registre tout à fait
différent, tout en maturité et contrôle mais avec un sens de l'émotion
absolument prodigieux, je ne peux que recommander, en priorité, la
gravure des ces trois ultimes sonates par Alfred Brendel pour Philips.
Trimalcion le dit si parfaitement dans sa chronique des impromptus :
"On sait qu'il n'existait pas à proprement parler, pour Schubert, de
musique gaie. Toutes ses oeuvres sont empruntes de solennité, de
nostalgie, de mélancolie, voire même, pour certaines d'entre elles, de
la plus déchirante tristesse. (...) il n'en oublie cependant jamais la
plus délicate pudeur." Ses trois dernières sonates pour piano furent
pensées comme un ensemble. La dernière fût achevée un mois à peine
avant la mort du compositeur; elles sont à la fois testamentaires et
pleines de force, savantes et limpides, terribles et lumineuses :
l'aboutissement d'un art. Schubert, c'est l'élégance mozartienne aux
prises avec les démons de Beethoven, une musique toujours gracieuse,
aux caprices élégants, aux torrents magnifiques. L'apparente austérité
du thème qui nous cueille à l'entrée de la 958 porte déjà les signes
de la mélancolie, pire : du fatalisme. La suite est inquiète, derrière
ses attraits sautillants : le rythme est forcé, le sourire imposé, et
dans les mélodies qui se croisent gronde l'inconfort... la beauté
s'interroge, comme en proie au doute. L'autrichien est mort jeune,
mais terriblement adulte. Les notes lui appartiennent et il les
assemble avec une totale dextérité. Des mélodies rapides se dégagent
des accents qui dessinent une mélodie centrale, un chant de tristesse
qui se révèle au coeur de roulements de notes lourdes et pluies
d'aigus volages... des mélodies d'accords où chaque note est complexe,
chaque émotion profonde et nuancée, les beautés divergentes plongeant
finalement le paysage dans un étrange clair obscur, raffiné et changeant. Car l'art de Schubert est pictural, tout autant
qu'émotionnel; il partage avec Brahms l'arcane de cette alchimie
unique avec laquelle ils firent de leur musique de véritables
promenades méditatives, des heures indispensables à marcher sur les
feuilles et à guetter les lacs en y puisant la force de rouvrir ses
blessures, pour les apprivoiser. Toutes les nuances du bleu... du
matin au bleu noir, du brouillard à l'azur en passant par la pluie et
le soleil qui perce. Comment vivre l'andante de la 960, l'andantino de la sonate en la
majeur... si ce n'est en pleurant? Car lorsque celui qui se sert ici
de son piano comme d'un orchestre, enrichissant chaque note d'un
accord lors de ces fameuses constructions mélodiques denses et
vibrantes, décide de ne jouer qu'une seule note à la fois : c'est pour
le creux de l'oreille, c'est comme un aveu... ces lignes de notes nues
à l'harmonie merveilleuse viennent comme des confessions... et
Schubert était triste. Comment accepter alors qu'il nous agresse,
après nous avoir ainsi dénudé de tout masque et de tous nos sourires,
dans une mélancolie si timide et déchirante, comment ne pas avoir mal
sous le coup de ces accords si noirs et si violemment arrachés au
silence, quelques secondes à peine après les premières gouttes de
pluie? Oui, du bleu clair au bleu nuit, Franz Schubert pleure des
mélodies comme s'il en pleuvait, cherchant à s'en sortir par cette
douceur apaisante qui naît de la beauté. Cette musique, proprement
symphonique malgré son intimisme viscéral, est un territoire de
rencontres chromatiques magistrales, une sorte de nature parfaite aux
détails innombrables et à l'équilibre extraordinaire, et dont la
visite, la contemplation du mouvement nous inviteraient, comme par un triste
enchantement, à la plus mélancolique des introspections. Schubert est
dans la beauté permanente, dans l'élégance innée que le travail a
portée au sommet, dans la virtuosité émotionnelle et la maîtrise
esthétique. Les notes sourient, s'affolent, hurlent, chantonnent, les
mélodies n'en finissent pas de nuancer leur sentiment dans une course
en avant, une course à la respiration rendue docile et confortable par
l'épaisseur des étoffes harmoniques qui s'installent avec tendresse en
contre plan. Alors oui, Schubert explose, il enrage, il désespère et en finit par hurler... il est grave et sévère dans des thèmes
implacables à la noirceur biaisée, aux ténèbres éclaircies par la
faible lueur d'une tendresse harmonique... placée là par égard pour
nous. Et Schubert parle, se tait et se promène, il gambade (écoutez cette mélodie pastorale au milieu de l'allegro de la 958), de mélodies ruisseaux
en palpitations miroitantes de notes graciles, d'humeurs légères et
sages qui s'autorisent l'oubli en confessions intimes, douloureuses et
magnifiques. Il est certaines musiques dont l'amour semble
indissociable d'un même amour pour leur auteur. Elles nous interdisent
de croire en sa fatuité, en sa platitude d'être humain. Et ce sont
toujours celles qui semblent le mieux nous parler, et s'adresser le plus, à
nous-mêmes.
note Publiée le lundi 21 décembre 2009
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Quelle belle chro ! ce que je trouve vraiment poignant dans ces sonates de la fin, c'est de retrouver les mélodies qu'il a utilisé dans des lieder , et de les entendre allongées , triturées , assombries . Comme si le chanteur était parti avec le chant ( la vie , l'amitié ) et que le tête à tête avec le piano l'enfonçait dans le chaos mental, puis la mort . Si on est dans les bonnes dispositions pour l'écoute , c'est un sacré voyage .