Voici un album qui, à l'époque de sa sortie, était très bien positionné, en "tête de gondole", dans le (maigre) rayonnage "musique contemporaine" des gros magasins de disques. Il s'en est d'ailleurs vendu nettement plus que la moyenne (et je serais curieux de savoir quel pourcentage s'est retrouvé peu après dans les bacs à soldes). Non pas que l'alléchante appellation de "requiem" y suffise à elle seule, bien sûr, mais Zbigniew Preisner a été aidé par un autre medium, bien plus populaire que la musique classique : le cinéma. Il était en effet le compositeur attitré du réalisateur polonais Krzysztof Kieslowski, son compatriote, dont les derniers films ("La double vie de Véronique", la trilogie "Bleu, Blanc, Rouge") se sont taillés un relatif succès dans l'hexagone. C'est en hommage à Kieslowski, mort en 1996, que la présente pièce fut d'ailleurs composée. L'impressionnant "Bleu", notamment, était tout entier construit autour de la musique de Preisner, d'une violence et d'une expressivité si typiquement polonaises, qu'on retrouve chez Lutoslawski, Penderecki et Gorecki, autant de noms prestigieux dont on sent, surtout pour Gorecki, la grosse influence qu'ils ont pu avoir. En étant de surcroit édité par Erato, "vrai" label de musique classique, le défi était d'autant plus grand à relever. Ce "Requiem for my friend" est clairement divisé en deux parties. La première, le "Requiem" proprement dit, se caractérise par un effectif instrumental assez réduit : un quintette à cordes et un orgue omniprésent accompagnent les seuls solistes. Le "Domine" de la basse dans l'introduction est impressionnant, grave, solennel, entrée en matière appropriée. L'atmosphère est tout en douceur et douleur - retenue, sobre. Puis voilà que cette réverbération de cathédrale, d'abord écrasante, finit par faire songer à "Officium" de Garbarek et autres musiques glaçantes, entrecoupées de silences supposés suggestifs, typiques du label ECM. Heureusement viennent un "Dies irae" étonnant, chantant, tout en majesté, sans rien en lui qui pèse ou qui pose (même s'il entretient des pauses, du plus bel effet d'ailleurs), un "Sanctus" très expressif, et surtout le lyrique et poignant crescendo du "Lacrimosa", qui est l'acmè de ce disque - on touche au sublime véritablement habité. Puis arrive la seconde partie, "Life", à l'instrumentarium beaucoup, beaucoup plus chargé : grand orchestre, choeurs et réverbération d'église qui va avec, et saxophone "lounge-guimauve-garbarek-like" absolument insupportable. Et ce néo-classicisme sacré, et sacrément lourd, ne passe plus du tout. L'ambiance est effectivement à la musique de film, celle de Mission, Braveheart, Titanic, ou de n'importe quel navet tire-larmes hollywoodien. Dommage de massacrer ainsi, par cette partie "Life", la partie "Requiem" - je dois vraiment être un gars sinistre qui préfère la mort...