J'adore ce genre de surprise. En allant à la série de concerts donnée par Pierre Henry à la Cité de la Musique pour ses quatre-vingts ans, je ne pensais pas prendre une telle claque. Pour la qualité, l'ampleur et le volume du son, ça, il fallait s'y attendre. Au niveau du rendu scénique, c'était déjà plus surprenant, avec les spectateurs face à trois murs d'enceintes (mais trois murs immenses, attention) et des jeux de lumière très judicieux flottant tout autour, tandis que le maître et sa console de mixage se trouvaient au milieu du public. Mais au niveau des compositions, moi qui pensais à peu près tout connaître, j'en fus pour mes frais : non seulement la pièce créée à cette occasion fut superbe, mais le plus grand morceau de bravoure vint de la reprise d'une oeuvre datant de... 1969 ! Comment ai-je pu ignorer si longtemps l'existence de Ceremony ? D'autant plus que le disque est toujours resté aisément trouvable, avant-même cette réédition récente. Soyons honnêtes, la plus énorme sensation ne vient pas de Pierre Henry, mais de l'obscur groupe de progressif anglais Spooky Tooth. Obscur, oui, à tel point qu'il était resté jusqu'à aujourd'hui ignoré dans nos colonnes, qui en ont pourtant vu d'autres. Pour vous donner une petite idée, Spooky Tooth sonne à peu près comme du (bon) Deep Purple, celui de Child In Time, ou bien comme du Jethro Tull, sans la flûte, mais avec un autre argument de poids : l'orgue, instrument majestueux s'il en est, et dont l'aura "religieuse" convient parfaitement à cette incroyable "cérémonie", car c'est bien d'une oeuvre sacrée qu'il s'agit, d'une messe rock et électro-acoustique. Certes, la trop fameuse "Messe pour le temps présent" avait déjà bien déblayé le terrain, et Pierre Henry pensait sans doute décrocher un nouveau jackpot (raté !) mais là, c'est sans commune mesure. Imaginez, je ne sais pas... le premier Led Zep, par exemple, le "Child in time" déjà évoqué, ou bien "21st Century Schizoid Man" de King Crimson, revisités par un orgue omniprésent, les délires sonores de Pierre Henry, un chant habité par une conviction réellement religieuse, et surtout des compositions ambitieuses, et qui tuent, si si. Comment ce disque ne s'est-il pas taillé plus grande réputation ? Sans doute parce que l'effet de surprise était déjà, en partie, passé - je ne vois pas d'autre explication. En tout cas, découvrir ça en concert dans les meilleures conditions possibles m'a illico fait combler cette grave lacune dans ma discothèque henryenne. Et c'est bien avant tout Spooky Tooth qui sort du chapeau. Bien sûr, le geste concret reste jouissif : entendre les supplications du vent et de la foudre électroniques sur "Have mercy" ou "Prayer", les gémissements/halètements d'outre-tombe sur "Jubilation" et "Offering", ça fait son petit effet ; mais il y a comme une sensation de seconde couche (le protocole expérimental est d'ailleurs tout à fait comparable à l'addition de Grace et Times of Grace chez Neurosis) : c'est avant tout la pêche du tonnerre de Zeus, l'ampleur et la qualité des compos, bien "progressives" pour le coup, du combo britannique, qui ressort, et qui donne à cette "Ceremony" toute la grandeur d'un véritable rituel. "I believe in God Almighty, Father !" Écoutez le riff de "Offering", la grandiose et génialissime "Prayer", et vous serez convertis vous aussi. Claquasse.