Purrkur Pillnikk › Í augum úti

L'Islande... Une terre qui ne compte même pas un demi-million d'habitants, dont près de soixante pour cent vit dans la capitale, Reykjavik. C'est dire que quand le punk atteignit l'île et s'y développa, peu de gens se trouvèrent réellement concernés malgré leur influence déterminante sur la scène d'aujourd'hui. Nulle surprise donc à croiser les mêmes musiciens dans divers groupes; c'est notamment le cas de Einar Örn Benediktsson que l'on retrouvera comme membre de K.U.K.L. puis des Sugarcubes. Il avait été auparavant le chanteur du groupe Purrkur Pillnikk dont la courte carrière de dix-huit mois se traduira tout de même par deux albums, deux singles et un live. Mais pour comprendre le pourquoi du comment, un brin d'histoire s'impose. Les parents du jeune Einar ayant divorcé, son père s'installe en Angleterre. Lors d'un visite en 1977, il rapporte à son fils à peine âgé de 15 ans un disque des Buzzcocks. C'est le choc, le garçon trouve un style qui correspond à son caractère. En vacances en Angleterre, il n'a de cesse de se renseigner sur ce nouveau mouvement que l'on nomme 'punk' et de découvrir ses groupes. Il adopte le look en déchirant ses fringues et en y accrochant des épingles à nourrice devenant ainsi l'un des premiers keupons islandais. Il met toute son énergie au service de la musique bien que lui-même n'en joue pas; il aide à la mise en place du concert des Stranglers en 1978, participera à la sortie du premier disque des pionniers du punk islandais Fræbbblarnir et s'arrange même pour faire venir les Clash dans son pays grâce à des contacts en Grande-Bretagne. Il cherche à s'investir dans la radio également et noue des contacts qui se révéleront essentiels dans les carrières de ses futurs projets tout en alimentant certaines émissions en singles punk ramenés d'Angleterre. Un autre groupe local, impressionné par son travail avec les Clash malgré ses 18 ans, lui propose d'être son agent; il s'agit de Untangarðsmenn duquel naîtront Ego et Bodies. Avant le punk, disait Björk, il y avait deux à trois concerts par an à Reykjavik, après, le même nombre par semaine. Beaucoup de jeunes aspirent à créer leur formation; c'est le cas de trois amis de Einar qui se mettent à répéter. Lors d'une réunion, ses camarades lui tendent soudain le micro et lui demandent d'improviser. Le jeune homme développe ce qui deviendra la marque de Purrkur Pillnikk, soit un mélange de chant, de cri, de spoken word, le tout interprété dans un état d'agitation quasi épileptique. Sa carrière était lancée. Il se tourne vers trois potes qui créent le label Gramm d'abord destiné uniquement à Purrkur Pillnikk mais qui signera par la suite d'autres formations telles que Tappi Tikarrass (où chantait la jeune Björk). Mais revenons à nos moutons. Ce disque compile les deux LPs du groupe, 'Googooplex' et 'Maskinan', ainsi que les 45-tours 'Tilf' et 'No time to think'. On y découvre un quatuor certes influencé par le punk de par la simplicité brute de ses titres et leur courte durée mais dont la tension et la noirceur évoquent également cold wave et post punk. Qui plus est, à l'instar de la plupart des formations islandaises, Purrkur Pillnikk fait preuve d'une certaine audace, notamment de par l'usage fugace d'une clarinette comme sur 'Mig langar' ou 'Hämbuger Plaza', les pimentant de touches limite free jazz. Si seule la scène permet de se rendre compte de la frénésie de Einar lorsqu'il chante (cf le film 'Rokk í Reykjavik'), sa voix joue beaucoup dans l'atmosphère des morceaux, tour à tour récitée, hurlée, chantée, gémie...('Maskínan' ayant été capturé live, on peut s'en faire une idée). A tel point que l'impression reste que la musique sert avant tout de support. Purrkur Pillnikk n'est en effet pas un groupe de mélodie, même si les compositions tiennent la route, plutôt d'ambiance. Cette alternance de folie, de froideur, de pêche, de tension et de noirceur fait tout son charme mais requiert de se laisser happer dans son univers, d'autant que la plupart des textes sont en islandais. Je note que les derniers essais se radicalisent et optent pour un son plus post punk (influence des Southern Studios et de l'amitié avec CRASS ?). Si la carrière de Purrkur Pillnikk s'interrompt assez rapidement, Einar profitera de ses liens avec la scène anarcho-punk londonnienne pour celles de K.U.K.L. puis des Sugarcubes tandis que ses potes créeront le label Smekkleysa ('Bad Taste') lequel ouvrira une boutique de disques que l'on trouve aujourd'hui encore dans le centre de Reykjavik.