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Fugazi › Red Medicine
informations
Inner Ear Studios
line up
Brendan Canty (batterie), Joe Lally (basse), Ian McKaye (chant, guitare), Guy Picciotto (guitare, chant)
chronique
"It's cold outside and my hands are dry. Skin is cracked and I realize that I hate the sound of guitars.” Red Medicine est un disque étrange – après leur chef d’oeuvre (ce mot que j’essayais en vain de ne pas employer) Fugazi change la donne, encore, ne jamais faire deux fois la même chose sans perdre de vue le même objectif : mettre des mots et des sons sur cette colère, ce désenchantement, cette prise de position. Red Medicine est un terrain de jeu plus qu’un entonnoir comme le précédent, un terrain de jeu où on fait ce qu’on veut sans jamais branler du vide – un album difficile à appréhender, qui charme avec le temps et les écoutes répétées. Un album où le groupe fait tout ce qu’il sait faire d’une façon inédite, à savoir de l’emocore/post-hardcore, appelez ça comme vous voulez, je dirais simplement du rock alternatif puisque tout est alternance : on alterne entre hxc punk comme au bon vieux temps ("Back To Base") et des moments à la beauté difforme, étrange, ambiguë. Comme Sonic Youth, Fugazi s’amuse à casser les structures et joue avec des influences nouvelles : passé une intro toutes en dissonances, free jazz, indus, voire dub ("Version") ou musique répétitive se taillent la part du lion, pour donner corps à un rock unique, et le résultat est fascinant ; passé un premier contact qui peut laisser sceptique on se laisse peu à peu gagner par la beauté – ce mot et pas un autre – de cet album, l’émotion n’a pas disparue non, elle est juste plus sournoise qu’avant, elle se trame, vipère, dans des compos à différents visages, et ne manque pas de te prendre à la gorge dès que l’occasion se fait trop belle ("Birthday Pony"). Red Medicine demande plus de temps pour être cerné que les autres, mais une fois qu’on est séduit il livre tous ses trésors, habilement dissimulés : de cette ballade louche ("Forensic Scene") à ces intros qu’on pourraient qualifier d’incongrues (par exemple les premières secondes du disque qui sonnent très Shellac, avant de virer sur un délire punk à la Devo). Il y a cent idées par morceau, et ce qui nous donne d’abord l’impression d’être un album décousu est en fait parfaitement calculé, insolite mais superbe, et très fluide, même lorsque tout se noie dans le bruit des larsens ("By You"), Fugazi est gracieux, élégant, toujours stupéfiant. Cent idées par morceau et autant de génie dans chacune de ces petites perles, des arabesques, des breaks étranges, des averses de riffs, et des solos terribles ("Bed For The Scraping", aaargh), et une fin en forme de désolation. Plus aventureux, plus insaisissable, plus décalé, plus trouble que jamais – le plus expérimental des Fugazi et le meilleur avec le précédent. Unique, complexe, et tellement plus...
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chronique
Voici un album qui ne supporte pas vraiment une écoute distraite. L’un des moins accessibles de Fugazi ; il n’en est pas moins riche, si l’on se penche sur les paroles, ainsi que sur le travail de production, qui ira en s’amplifiant avec les années pour le groupe, retournant parfois au Hardcore le plus pur (itain ?) des débuts, sur un morceau direct et bien lattant comme ce Back to base. Globalement, ils font quand même un pas vers l’inconnu avec ce disque. Do you like me est une ouverture éruptive digne des Who, que le groupe a toujours évoqué : frustration adolescente, interruption par un couplet qui n’a rien à voir, puis retour à cette question finalement à jamais sans réponse, qu’on ne posera pas pour cause d’apathie, en remettant "à demain", en français dans le texte. Que dire, si ce n’est que des phrases comme "tu devrais payer un loyer dans mon cerveau" ou "end of the lesson time for one question" résument à elles seules plusieurs années de nos vies mieux que n’importe quelle étude sociologique. Si c’est ça l’emo, alors ok. Fugazi envisageait l’emocore comme un sport, et non pas comme un réceptacle à cyprine et larmes faciles comme on peut l’entendre aujourd’hui avec des choses comme Boulet for my valentine, qui n’ont de cesse d’attrister les gens pourvus d’oreilles… La preuve sur l’émouvant Long Distance Runner, où MacKaye semble se perdre en introspections à la Joy Division (dont le fantôme plane sur tout le disque), comparant sa quête de vérité à une course de fond, à un combat "contre la gravité" : "The farther I go the less I know/One foot goes in front of the other". Et si le jeu de guitares jumelles de McKaye et Piciotto – qu’on a souvent comparé à Tom Verlaine et Richard Lloyd de Television, c’est dire – est aussi athlétique que leur jeu de jambes sur scène, ce n’est pas un hasard. Après tout, quelle conséquence plus logique pour le Straight Edge, après l’ascétisme imposé par la restriction de tout, que de s’imposer une technique rigoureuse ? Et voilà le math rock qui commençait à naître, quelque part. Car sur ce Red Medicine (titre énigmatique s’il en est), les deux six-cordes complémentaires des deux leaders du groupe s’entrelacent vraiment à merveille, brouillant les notions désormais caduques de guitares lead et rythmique, et figeant leurs nombreuses contradictions (musicales ou non) dans ces effluves de grattes presque métalliques, inconfortables, exprimant la rancœur de la scène indé ricaine, en bien piteux état en cette année 95. L’humeur n’était pas à la fête, après un "Kill taker" bien swinguant et plein de vigueur… Et ce ne sont pas les paroles de ce Red medicine qui vont me contredire. Target et By You sont clairement des appels aux kids, des incitations à former des groupes et à ne pas se laisser marketer, mais ce sont avant tout des constats d’une situation bien peu reluisante : la victoire de l’establishement, qui, après 15 ans, a fini par récupérer l’underground, pour mieux le laisser tomber aussi sec, et ouvrir, en quelque sorte, le "marché" à une foule de copieurs plus ou moins intéressés. Target, en particulier, est un tube à la hauteur de "Waiting Room", à la ligne de basse évocatrice, et surtout aux paroles absolument imparables : tu n’es qu’une cible, gamin, la proie d’une armada de consuméristes qui ont acheté le mot "génération" pour en faire une manne. Le quasiment funky (les Red Hot trouveront matière à se réinventer en écoutant cet album, voire aussi "Forensic Scene") Birthday Pony dresse quant à lui un tableau sordide d’une famille fondée sans amour, situation qui ne peut que virer à la violence… tout comme le morceau. A moins que ce soit une illustration de la schizophrénie du rythme de vie tournées/vie de famille ? Qui sait ? Fugazi a gardé du straight edge cette propension à ne pas trop gamberger, et à laisser le champ libre toutes les interprétations. Le titre de l’album peut mettre sur la voie vers des thèmes pharmaceutiques - récurrents au cours du disque - comme sur le clinique et blafard Fell, Destroyed où le chant plaintif de Piciotto invoque le souvenir de Tenor Saw, chanteur de reggae mort dans des circonstances troubles, ou encore Latest Disgrace, qui fait allusion à un procédé de l’industrie pharmaceutique auquel il ne veut mieux pas trop penser : celui de produire des médicaments qui rendent malade, histoire de multiplier les ventes. Red Medicine , au final, reste un album plein d’aigreur, visionnaire dans le sens où il évoquait son époque avec une acuité et une immédiateté que seul le hardcore peut permettre, mais qui n’a pas forcément bien vieilli ( si l’on omet les inébranlables Target et Do you like me)… coincé entre un Kill Taker difficilement surpassable dans son genre et les deux derniers efforts du groupe, qui creuseront plus loin le filon dub/post-rock à la slint/expérimentations… Pas un album facile, ça c’est sur.
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- dariev stands › Envoyez un message privé àdariev stands
Ben moi McKaye me les brise parfois, au bout du 45ème couplet "super impliqué", mais bon, vous savez, moi j'aime la variété, Billy Corgan et Anthony Kiedis, (sans parler de Cédrix Bixler-Zavala) donc ça peut aussi être une question de couleur, ou d'absence de ... (après mes chros sont assez parlantes - j'adore Fugazi AUSSI pour leurs défauts, tout comme je supporte At the drive-in malgré leurs défauts, qui sont parfois sur le même créneau "36 15 intensité". Mais bon le hardcore c'est pas tellement mon truc, y compris le post-hardcore, j'en écoute peu)
- Dioneo › Envoyez un message privé àDioneo
Pas mieux que Gulo, sur ce coup là. Les vocaux "point faible" chez Fugazi ?! Euuuuh... Non non non. (Trois fois exponentiels carré passage en ultra-capitales). Elles sont PUTAIN DE SENTIES, les voix, chez eux - aussi bien le Iannou que le Guyguy. ET pas DU TOUT à la ramasse techniquement/esthétiquement ou ce-qu'on-veutement. (Elles sont pas "jolies", après, et comme disait Raven dans une de ses chros, "l'émotion" chez Fugazi, c'est pas le truc qu'on sent/entend de la même manière que chez d'autres, au début ça a l'air, euh, sec, brut, fermé, mais... Mais NON - fois quelques indices et augmentation de casses de plus).
- born to gulo › Envoyez un message privé àborn to gulo
Ce qu'il faut pas lire...
- Note donnée au disque :
- dariev stands › Envoyez un message privé àdariev stands
C'est pas le plus évident, mais il mérite l'effort. Les vocaux ça reste le point faible de ce groupe, qui autrement est sans problème l'un des mastodontes de la décennie 90...
- Chris › Envoyez un message privé àChris
Putain faut réussir à se l'enquiller celui là !