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Leonard Cohen › The Future

cd • 9 titres • 59:41 min

  • 1The Future6:34
  • 2Waiting for the Miracle7:43
  • 3Be for Real4:32
  • 4Closing Time6:00
  • 5Anthem6:09
  • 6Democracy7:14
  • 7Light as the Breeze7:17
  • 8Always8:04
  • 9Tacoma Trailer5:57

informations

chronique

  • post-folk

« Léo le Rigolo »… c’est ainsi que les journalistes des années soixante-dix surnommaient ironiquement le poète à la voix rauque et aux mots blessés. D’ailleurs, si on devait tracer une courbe représentant l’évolution de l’artiste au vu de la qualité de ces albums, du premier au dernier, la carrière de Léonard Cohen aurait la forme d’un sourire. Un début magnifique et bouleversant dans la folk la plus dépouillée et la plus automnale qui soit, avec ses trois premiers albums… puis, petit à petit, un virage léger vers la pop, au détour d’un « There Is a War », ensuite vint sa rencontre tendue avec Phil Spector, clairement sa période la plus pénible, puis quelques albums années 80 avec certes plus d’attraits grand public mais, avouons-le, moins de grandeur… et enfin, après ce long périple, nous voilà à l’aube des 90’s avec « The Future », album clé dans la discographie du canadien. Un de ses disques les plus populaires et, ô ironie, l’un des plus amers, derrière son aspect lisse et aguicheur. Si j’ai choisi de vous parler de cet album en premier lieu, c’est parce qu’il me semble être symbolique d’un revirement dans la carrière de l’artiste, d’une prise de conscience brutale même, et que je pense qu’il est parfait pour introduire le Cohen « moderne » aux néophytes, qui n’est plus vraiment celui de l’époque Avalanche et consort. Je préfère donc alourdir cette chronique avec ma présentation personnelle du Léo des années post-folk plutôt qu’une autre, simple question de tactique. « The Future, album-clé », vous disais-je donc, d’abord parce qu’il s’agit du premier dans lequel Leonard Cohen parle frontalement de l’avenir, de ses doutes, de ses points de vue politiques, de son regard sur la société et ses dérives, de la médiatisation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si trois titres de cet album figureront dans le Tueurs Nés de Oliver Stone. Nous sommes en 1990, et Leonard Cohen n’est plus ce chanteur accompagné de sa guitare, ex-poète à la voix encore fragile et sur le fil. Léo le Rigolo est vieux, fatigué, mais sa voix est plus sombre, plus grave, plus chargée émotionnellement que jamais, gorgée de suc, d’une nonchalance grondante et obsédante. Léonard Cohen est déjà devenu la véritable icône qu’on connaît, louée par les Nick Cave et tous les avatars gothiques ou romantiques qu’elle a engendrés… Tel un empereur sentant sa fin approcher, mais dont la puissance mystique n’aura jamais été aussi forte, Cohen pose donc sa voix d’ébène sur les huit titres constituant la majeure partie de cet album, la dernière piste étant un instrumental soyeux réalisé au synthétiseur. Le premier titre (éponyme) est un hymne entraînant et magnifique, très rythmé, d’inspiration ska et gospel (orgue lyrique à l'appui) sur lequel Cohen pose un discours plein de désespoir masqué en cynisme, sublimé par des métaphores meurtrières et lourdes de sens (« Give me back my broken night, my mirrored room, my secret life, it's lonely here, there's no one left to torture ») sa voix s’élève comme se déploient les ailes d’un corbeau sur le rythme trépidant et les voix de ses déesses gospel qui l’emmènent au firmament. Divine mise en bouche ! La seconde chanson du disque, elle, sera définitive : « Waiting For The Miracle », ou pour faire plus simple « la plus envoûtante des chansons jamais composées » (j’en fais des tonnes ? écoutez-là et vous verrez)… un titre à la beauté tétanisante et à l’effet romantique et solennel immédiat, qui, semblable à une chanson d’amour post-nucléaire, nous plonge dans la plus infime noirceur, sans cesse portée par cette mélodie lancinante et chaude aux claviers, par ces violons qui soufflent sur notre coeur comme le vent balaye le sable, par ces loups, là, au fond, qu’il me semble par instants entendre, par ces chœurs féminins somptueux servant de linceul au vieux Leo, qui, lui, s’il ne chante plus depuis belle lurette, parle comme jamais : de sa voix suave et rauque, de profundis… le Maître compte son histoire à ce qui semble être un amour impossible. Passé ce titre absolu, qui balaye d’un revers de la main toutes les chansons les plus bouleversantes de Nick Cave - l’élève - il ne peut rien y avoir, rien, se dit-on… le silence, seul… et pourtant, non, il y’a quelque chose ! (en même temps deux titres de 5 minutes sur un album ça ferait léger non ?) Vient donc, à la suite de ce diptyque mi-fougue mi-raison, une suite de singles potentiels tous fabriqués sur le même modèle : claviers en fond, mélodies pop simplettes, voix féminines d’inspiration gospel et phrasé désabusé de Cohen. « Be For Real » tient le cap vers des contrées certes moins noires mais toujours aussi justes de ton, « Closing Time », seul bémol de l’album, dépareille par sa mélodie agaçante et kitsch qui donne plus envie de zapper que de se laisser bercer, mais, heureusement, « Anthem » rattrape le coche avec lente prière/contemplation/hymne sur ce monde à la dérive… la messe est dite ? pas encore… « Democracy » poursuit dans cette veine et Cohen se fait de plus en plus douceur et volupté au fur et à mesure que se serrent ses poings, que se creusent ses rides. « Light As The Breeze », émouvant chapitre, confirme une nouvelle fois que le brave Léo est à l’aise dans le coton synthétique, mais que sa voix rouillée (et donc belle) n’a pas tout dit… chœurs féminins, synthétiseurs, sucre, c’est du mielleux oui, mais on s’en fiche… du miel, du miel, encore, oui, encore du miel ! Car même si le miel reste du miel, il a, chez Léonard Cohen, des allures de poison exquis… « Always » offre au poète et à sa chorale gospel une formidable occasion de prouver leur foi en l’amour, foi à laquelle on ne croit guère connaissant le canadien, mais l’illusion fait mouche, et, après tout, un éclat de lumière et des mains tendues, comme ça, c’est trop beau pour cracher dessus. Ayons donc le cœur à la célébration mes amis, même si à un moment donné il faudra se résoudre à broyer du noir… et le noir revient, mais apaisé, drapé, doux comme le souffle de la brise sur nos corps mis à nus, sous la forme d’un instrumental velouté et désertique : « Tacoma Trailer », qui referme en douceur l’album, un peu comme une berceuse qui nous aide à quitter Léo sans trop de peine... Alors « The Future », kesako ? Oh, rien de bien extraordinaire diront certains. Juste un album doux, divin, mystique, qui paraîtra peut être très lisse pour ceux qui n’aiment pas le gospel et la pop façon vieux Leo, mais peu importe, que tout ça est beau, vrai et beau ! Un poème, une épreuve à chaud, un velouté de vie, sous les synthétiseurs et les refrains cajoleurs se cachent des larmes qui ne sont pas en toc, croyez-moi… The Future, c’est l’œuvre d’un homme âgé qui se regarde et observe autour de lui avec l’intelligence d’un vieux lion et l’acuité visuelle d’un rapace. Car à cette époque, Cohen est tout de même devenu - plus qu’un poète - un véritable demi-dieu aux allures de crooner nocturne. Le petit poète juif paumé et meurtri qui tirait tout le temps la gueule et pleurait ses mélopées pluvieuses avec une voix frêle et déchirée a grandi. Désormais, il est capable de rire, oui… mais s’il rit, se n’est pas de bon cœur. Que du contraire. Son sourire en coin est comme une dague, une arme, ses petits rires gras au détour d’un accord sont les témoins de la stupidité et de la médiocrité de notre vie, de notre société, de notre histoire sans cesse réinterprétée, son regard fatigué a vu Babylone la Grande chuter, son coeur a sans cesse ressassé le souvenir de cette période noire où l’on voyait partir et ne jamais revenir des wagons remplis de femmes, d’hommes et d’enfants (qu’il évoque très subtilement dans cet album, à vous de trouver où), ses mains usées par les cordes ont effleuré la seule terre promise que l’homme ai bafoué : son Passé… ou son Futur… désormais la voix noire et ample n’est plus un instrument d’exutoire déchiré comme elle l’a été sur « Avalanche », mais un contemplateur cynique et désolé, un être à la fois mystique et confident, qui dicte à ses contemporains les lignes les plus significatives et les plus justes de son existence… une existence qui doit réellement se terminer sur des mots si pleins d’amertume, de douleur, de faux espoirs ? Seul l’avenir nous le dira.

note       Publiée le samedi 17 novembre 2007

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Note moyenne        16 votes

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kranakov Envoyez un message privé àkranakov

Un des plus beaux à mes oreilles - car un des plus fragiles, peut-être...

zugal21 Envoyez un message privé àzugal21

Léo en fait des caisses

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E. Jumbo Envoyez un message privé àE. Jumbo

Les deux premières chansons sont fantastiques, évidemment si elles étaient pas dans Tueurs Nés je les aimerais peut-être pas autant, mais bon... Je trouve également "Closing Time" excellente, tellement entraînante, et ce synthé-country au son tellement FF7, rah. Bon par contre, j'ai vraiment du mal à accrocher au reste... En tout cas, le Cohen kitsch c'est pas celui-ci mais le précédent.

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microbe666 Envoyez un message privé àmicrobe666

The future, waiting for the miracle, closing time et democracy ... C'est ça que j'veux.En tout cas belle chronique, dur de mieux rendre hommage aux deux premiers titres. On comprend bien que je suis moins d'accord sur la suite mais c'est négligeable (there's a voice that sounds like god to me).

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sebcircus Envoyez un message privé àsebcircus

Un album très noir gaché par une production infâme

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