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Earthling › Humandust

cd • 11 titres • 51:57 min

  • 1Me & My Sister
  • 2Miracle Town
  • 3Black Thunderbird
  • 4Coburn
  • 5Humandust
  • 6Saturated
  • 7Love
  • 8The secret life of the future
  • 9Box
  • 10Haunted head
  • 11An angel comes to babylon

informations

"Produced & arranged by Tim Saul Programming on all tracks by Tim Saul Engineered by Mark Irwin Mix engineered by Pete Craigie, J. C. Concato & Spencer May Recorded at Straylight, Abbey Road & Milo Studios Mixed at Matrix, Strongroom, Swanyard & Trident Studios Mastered by Mike Marsh at The Exchange"

Ce disque a été originellement enregistré en 1997 et n'est sorti qu'en 2004.

line up

Mau (voix, textes), Tim Saul (instrumentation, programmation, synthétiseurs, guitare)

Musiciens additionnels : Ray Manzarek (orgue, piano, claviers), Edison (orgue, basse, piano, clavicorde feedback, Moog), Peter Rayner (scratches, cuts), Oran Marshall (cor), Segun (choeurs, voix), Claudia Fontaine (chant), Roger Beaujolais (vibraphone), Alec Dankworth (double basse)

chronique

Beaucoup d’entre nous ont usé leurs neurones et leur moral sur les terrains obscurs du Mezzanine de Massive Attack. D’autres, plus pervers encore, ont choisi en la personne de Tricky le prophète idéal pour leurs nuits d’insomnie paranoïaque, les yeux entrouverts et la fatigue en bandoulière, à chercher un sens à leur existence, au pourquoi, au comment, autant de questions sans réponses inhérentes à cet état de torpeur dans lequel tout bon disque de trip hop doit nous plonger… mais bien peu d’entre nous ont eu la chance de s’envoyer un seul disque de Earthling dans les esgourdes. On leur a préféré la mélancolie bien plus confortable d’un Portishead, les errances comateuses d’un Kid de Bristol qui n’allait pas tarder à se plonger lui-même dans un sommeil artistique déplorable, ou les artefacts lounge et graciles de la sympathique Alyson Goldfrapp … Mais Earthling avait pourtant tout pour être le groupe phare de ce mouvement musical éphémère, l’un des sinon le seul a réellement synthétiser la noirceur, la lumière et l’aspect cotonneux, lancinant, répétitif et nauséeux qui caractérisait tous ces groupes réunis. Avec, en plus, ce petit quelque chose qui le rend unique : de la fougue, un brin d’arrogance, beaucoup de tchatche, et un côté revigorant qui peut sembler paradoxal compte tenu de l’austérité du propos. Earthling, un duo trop vite oublié. Essentiel, efficace, et profondément torturé, il n’a pas survécu à cette courte mode, et n’a, dans un sens, pas vraiment vécu… Il y’eut bien Radar, leur premier essai, disque appartenant corps et âme à son époque aujourd’hui révolue, qui avait de façon convaincante et quasiment avant-gardiste préparé le terrain à ce Humandust, et, par extension, à Mezzanine. Mais Radar n’était pas un disque entièrement noir, bien que relativement malade ; il s’agissait en quelque sorte d’une mise en garde sciemment posée, un avant-goût de ce à quoi les deux personnages aspiraient vraiment : l’introspection, l’obscurité, l’ambiance urbaine, les dérives suicidaires et sans issue. Un charmant programme qui leur coûtera cher… En 1997, Mau et Tim se virent contraints de proposer rapidement un nouvel album à leur maison de disques. A l’écoute de Humandust, celle-ci refusa immédiatement la publication. Pourquoi ? La raison donnée était simple : disque trop sombre, trop glauque, trop malsain. Trois adjectifs qui se marient pourtant à merveille au trip hop me direz-vous, mais pas avec l’appât du gain il faut croire… Perdu à jamais dans l’esprit de ses créateurs, le travail fût laissé à l’abandon avant de ressurgir sept ans plus tard grâce à l’insistance d’un fan de la première heure, qui avait flairé l’injustice et réclamait à corps et à cri la mise en vente du dit objet – 7 ans après donc… c'est-à-dire beaucoup, beaucoup trop tard. Car dès que l’on s’est suffisamment familiarisé avec le second opus des Earthling, on se dit que Massive Attack aurait été battu d’avance si l’album maudit était sorti en 1997. Humandust distille une mélancolie caressante, une noirceur brute comme le goudron, une amertume à fleur de peau. Beats lourds, groove poisseux, flow maladif, ambiances au cutter, samples élégants, vapeurs d’ether, microtraumatismes en background, sons industriels flippés discrètement injectés dans ce fascinant cambouis, craquements de vinyl de rigueur mais utilisés au compte-goutte, sans abus. Notons également la présence étonnante de Ray Manzarek, l’ancien claviériste des Doors en personne (présence bien trop anecdotique si vous voulez mon avis, l’organiste n’apparaissant que sur deux titres). Et puis bien sûr, Mau, la voix de Earthling, soit l’un des Mc les plus singuliers que je connaisse malgré les reproches bien souvent faits à son égard, certains trouvant son flow peu convaincant, voire même banal. Avis que je ne partage pas comme vous vous en doutez. Pétri de références diverses – de Burroughs à William Blake, du Procès de Kafka à Lou Reed en passant par les poèmes de Nick Cave – le garçon, sorte de gangsta rappeur intellectuel et cramé du bulbe, déploie son flow désabusé de façon frontale, directe, vindicative, s’inspirant du hip hop old school d’outre atlantique : il ne mâche pas ses mots : il articule. Avec une rare conviction. Il scande même, un peu à la manière des vieux lions de la east coast, mais avec du venin dans les amygdales, et une voix un brin perverse. Pour émettre une comparaison avec ses confrères de Bristol, il ne susurre pas contrairement au Kid par exemple, en tout cas pas tout le temps : sa voix se fait lourde, insistante, abrutissante, très accentuée au point de la rendre caricaturale voire irritante, mais sciemment, lui conférant ce charme vénéneux et insidieusement malsain au fur et à mesure des écoutes ; pleine de morgue, la voix nage, surnage, danse avec les samples reptiliens. Elle égrène son poison digeste « tranquillement » mais sûrement au fil d’histoires toutes plus sordides les unes que les autres. Nous voilà conviés à suivre le bonhomme dans divers endroits : une rue poisseuse, un terrain vague, un squat crasseux dans lequel subsistent des fantômes urbains, planqués dans leurs sweats à capuche à marmonner de vilaines choses, à chercher le nom de la dernière prostituée tabassée dans le quartier d’en bas, étalés de tout leur long dans les cadavres de verre et martyrisés par leurs cauchemars homicides. La peur du lendemain se fait sourde : pour ne pas sombrer, il ne reste plus qu’à raconter. Froidement. Cyniquement. Lâcher les mots, avec l’esbroufe de celui qui a tout vu mais n’a jamais rien fait pour s’en sortir. La rue donc, et ses multiples facettes : ici ce sont les plus noires qui sont mises en valeur comme vous vous en doutez. Ce qui est aussi appréciable chez Earthling, et plus spécifiquement sur ce Humandust, c’est que contrairement à la plupart de leurs cousins, ils n’abusent pas de la voix féminine. Celle-ci (en l’occurrence celle de Claudia Fontaine), ne prends jamais le pas sur le chant masculin (à part sur le dernier titre), et fait plutôt office de composante du fond musical, mettant la touche de sensibilité là où il faut, sachant se faire discrète, ne prenant jamais les devants, tant et si bien qu’aucun titre ne lui est « dédié »… autre caractéristique appréciable de Humandust, contribuant à cette variété de ton fort appréciable qui en fait tout simplement l’un des sinon le disque trip hop à posséder en lieu et place. Le plus drôle, c’est qu’il ne s’agit pas vraiment de trip hop au sens où beaucoup l’entendraient. La grammaire de Earthling se réclame aussi et à forte dose du hip hop pur et dur, tant le flow de Mau est vindicatif et appuyé en comparaison aux douces mélopées des autres membres de la communauté bristolienne. Mais le fond musical ne trompe pas : « Me And My Sister », l’introduction, est un véritable brûlot dark hop rongé de toutes parts. Boucles folles, mélodie hachée, tranchée, hésitante, souffle haletant. Le flux et reflux du couplet « she’s insisting that I’m her sister, she’s insisting that I fix her up », est soutenu par le pas lent et pesant d’un junkie en manque qui cherche désespérément sa dose. Les accents à la fois étouffants et profondément tragiques de cette mise en bouche laissent tout simplement KO ! Alors, certes, je vous parle de noirceur, et c’est bien légitime… mais ne vous attendez pas non plus à être immédiatement confrontés à un album extrêmement glauque et opaque. Non. Humandust n’est pas réductible à sa seule face sombre, il s’agit aussi d’un album qui puise abondamment dans les registres r’n’b et hip hop old school pour injecter ses émotions, et sonne aussi à mes oreilles comme un album au feeling soul et funky bien prononcé. Ainsi, un titre comme « Saturated », ballade soul portée par l’orgue de Manzarek et son leitmotiv gracieux, évoque la mélancolie, le vague à l’âme, plus qu’un réel malaise morbide… En fait, chaque titre pourrait être cité en exemple pour vous mettre en appétit, mais je m’éviterai ce genre d’exhaustivité mal placée, en vous laissant le soin de les découvrir vous-même… je ne résiste pourtant pas à vous parler de « Love », sans doute le titre le plus noir et étouffant du disque, stigmatisé par un violon austère et angoissant, qui n’est pour moi rien d’autre que ce que le trip hop peut offrir de plus… trippant, justement ! Une véritable suée de frissons qui laissera à n’en point douter des traces indélébiles dans vos cerveaux. Même topo pour toutes les autres pistes, disons juste que les ambiances varient mais que le fond reste identique, c’est flippé, c’est racé et c’est profond, certains passages (« Coburn », « Black Thunderbird ») allant jusqu’à nous plonger dans l’atmosphère fictive de ce que pourrait être un classique blaxploitation revisité par David Fincher… En fait, à la lumière de cette chronique, je me rends seulement compte aujourd’hui que chaque titre de Humandust raconte sa propre histoire, et que chaque titre ne se révèle qu’aux écoutes répétées de l’album dans son entier. Et je pense qu’il s’agit là aussi d’une qualité qui le place en avant des autres productions affiliées, souvent trop hétérogènes, trop écartelées. Chaque titre de Humandust, qu’il soit salve hip hop, slow r’n’b ou dark hop sous peyotl, ne révèle sa saveur qu’à force d’écoutes répétées, rituelles, et ce qui au début aurait pu vous apparaître mièvre ou grossier ou tout simplement soporifique et redondant n’aura plus aucune importance : les titres vous obséderont et vous y reviendrez sans arrêt. L’ambiance urbaine, sourde, triste et mélancolique, les beats inlassables auront pris possession de votre éveil. Humandust deviendra un grand matelas sale dans lequel vous vous avachirez, dans lequel vous vous enfoncerez sans résister, jusqu’à en sentir pleinement les ressorts, formes, la matière, les odeurs. Vous serez tombés dans les marécages du sombre spleen de Earthling, dont la meilleure porte d’entrée reste cet album posthume. Et vous n’en reviendrez pas de sitôt, croyez-moi.

note       Publiée le lundi 12 novembre 2007

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Seijitsu Envoyez un message privé àSeijitsu

Celui là est vraiment bon mais je préfère largement Radar. Moins sombre c'est sûr mais plus constant dans la qualité.

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(N°6) Envoyez un message privé à(N°6)
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C'est moi où il est encore meilleurs que Radar ? Mauvais timing, mauvais label, il serait sorti en 1997 comme il était dû, il ferait sans doute parti du canon du trip-hop. Aujourd'hui, comme Ancoast 2 Zambia des Baby Namboos, c'est une pépite rare à exhumer.

Potters field Envoyez un message privé àPotters field
ben ça alors, devinez sur qui je tombe...
Aiwass Envoyez un message privé àAiwass
yo !
Raven Envoyez un message privé àRaven
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Disons que je le critique dans ma chronique, donc je dois le juger de façon objective; il vaut donc 5/6 parce qu'un 6/6 me paraît - objectivement - abusé. Par contre ce disque entre personnellement dans mon panthéon, et je m'en lasse pas, donc un énorme 6/6 subjectif !
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