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NUMBERS NOT NAMES + DEATH GRIPS + THE BUG au Transbordeur, Lyon, le 10 Novembre 2012

par Dariev Stands › jeudi 15 novembre 2012


Style(s) : dub / hip-hop / noise

C’était un peu la grosse soirée du festival Riddim Collision, organisé par le label Lyonnais Jarring Effects. Celle que tout le monde guettait. Les deux salles du Transbo qui enchaînent les concerts jusqu’à 5h du matin. Les groupes tournent, la bière coule à flot, et les fumigènes s’accumulent sous les énormes crochets suspendus à la structure métallique façon chantier naval qui surplombe la petite salle. Bon, ça fait un peu facile de ne parler que de LA grosse soirée d’un festival, mais il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent pour moi dans le reste de la prog… Et qui plus est, il était prévu que je vous parle de Jack & The Bearded Fishermen, groupe de stoner du coin dont l’EP m’avait bien enthousiasmé ; seulement voilà, les aléas de l’organisation d’un gros festival en auront décidé autrement. J’ai bien failli ne pas vous parler de Death Grips et les autres non plus, car les videurs du transbo se sont mis en tête que si j’avais des marqueurs sur moi, c’était forcément pour tagguer les chiottes de la salle… Ah les grosses affiches et les grandes salles, quel bonheur. Pourtant, avec tout le désintérêt que je porte sur ce genre de gros concerts – que j’essaie d’éviter – vous allez voir que le jeu en valait la peine. Voilà des groupes qui, jusqu’ici, n’ont que peu eu l’occasion de jouer dans de grandes salles, et ils y prennent une dimension supplémentaire.

Numbers Not Names tout d’abord, dont il convient de présenter le ô combien surprenant et aguicheur line-up. Au mur de son : Oktopus, l’homme en charge des tuantes instrus et beats de Dälek. Au mic : Crescent Moon, de Kill The Vultures et Oddjobs, bien connus en ces pages suite à l’engouement justifié de Saïmone. A la batterie, à gauche : l’anglais Chris Cole alias Manyfingers. A la batterie à droite : Jean-Michel Pirès, ex-NFL3 et Married Monk, deux des groupes de rock français les plus enthousiasmants et injustement sous-estimés qui aient existé (et pourtant niveau sous-estimation, on est pas les derniers). Le tout assemblé par Stéphane Grégoire, du label Ici D’Ailleurs, qui récidive donc après l’excellent projet This Immortal Coil en 2010, qui impliquait déjà Oktopus. Là, on a un vrai groupe composite et international qui aurait aussi bien pu ne pas prendre du tout et se ramasser la gueule, sous nos yeux, là, en ouverture de la grande scène du Transbo. Raté, ce fut une calotte de derrière les fagots. Fichtre, que le son énorme des machines d’Oktopus s’accommode bien de ce haut plafond d’où pendent de noir projos… Les deux batteurs assurent une rythmique colossale, et quand Crescent Moon balance ses rimes, on est pris par un balancement solide, binaire et qui calme d’entrée de jeu. Pour dire, avec son timbre de voix et son débit emporté, on se croirait presque revenu à l’époque des featurings de Prodigy avec Kool Keith. L’urgence industrielle qui se dégage de la prestation dans son ensemble impressionne. Progressivement, les nappes d’Oktopus engloutissent le reste du groupe et attaquent les oreilles, envahissant les régions hautes et basses du spectre sonore, allégorie de l’anonymat numérique qui engloutit l’individu, ici un Crescent Moon qui donne tout ce qu’il a au cours de cette unique heure de concert. D’ailleurs, ce que j’aurai le plus retenu, c’est que ce MC-là est à suivre. Ça fait un bail que j’en avait pas entendu un d’aussi charismatique dans le rap récent. Vers la fin du concert, batterie et nappes s’arrêtent, et il nous sort « I forgot to properly introduce myself… and that’s not right ». S’ensuit une tirade extraordinaire, qui ressemble fort à un freestyle sans en être une (trop calé et travaillé, visiblement), balancée à capella, seulement appuyée par Crescent qui tape des pieds comme un rageux… Le public n’en mène pas large. Puis vient l’attendu morceau « Numbers Not Names », ayant donné son nom au groupe, qui claque comme tout le reste du set, ni plus ni moins. Les compos sont super solides, le son dense, la mise en place riche, étonnamment réussie avec que le groupe a peu tourné jusqu’ici, avec ces deux batteries complémentaires. Dälek n’est plus seul à faire du hip-hop tendance « mastoc et bruististe », qu’on se le dise, et qu’on ne rate pas ce groupe en concert !

Death Grips, qui enchaîne juste après sur la grande scène, est un groupe tout aussi jeune et improbable. Zach Hill, qu’on savait amateur de side-projects et de collaborations très variés en marge de son groupe Hella (Team Sleep, Marnie Stern…), en avait sûrement marre d’être toujours aussi peu reconnu après plus de 10 ans alors que les batteurs au jeu épileptique se multiplient. Comme les duos trash sont à la mode et que le hip-hop avec une batterie live, c’est la vraie classe, Zach Hill s’est acoquiné avec un grand black dégingandé sorti d’on ne sais ou, barbu, tatoué et l’air perpétuellement sous substances. Banco, l’engouement est total, du moins pour l’instant, et Death Grips bénéficie d’une hype indécemment fulgurante depuis l’an dernier. Comme des dizaines (et probablement centaines à l’heure actuelle) de groupes, oui. Mais Zach Hill le mérite, putain. On savait le mec dangereux derrière une batterie, mais là… Comment dire. La mise en scène, déjà, joue énormément en faveur du duo. Deux espèces d’écrans de télés verticaux devant lesquels vient se poster MC Ride, en ombre chinoise, ce qui est renforcé par le fait que les lumières proviennent de derrière lui (lumières assurées par le régisseur d’High Tone parait-il). L’effet « Satan descend parmis vous », quoi. Quasiment tout le set baignera dans un light show rouge sang, semblant émaner de Zach Hill lui-même, et de son jeu proprement sanguinolent. L’entrée en scène, déjà, était étrange : on croit d’abord que c’est MC Ride sous cette capuche façon Jedi. En fait c’est un Zach Hill quasiment chauve, qui se mets direct au fut. Sans un mot, MC Ride, le vrai, débarque, et c’est partie pour une heure de massacre ininterrompu. Comme un long morceau, indistinct et mortifère. Est-ce la lumière, les gestes de zombie de ce mec qui ne sait pas vraiment rapper, où la tachycardie incessante de Zach Hill ? Toujours est-il que le public ne semble plus tout à fait lui-même, danse bizarrement, manque de se taper dessus pour certains. Le son mat(h rock) de la batterie n’a rien de dansant, et la métrique n’a rien de conventionnelle. Zach noie tout sous une avalanche de BPM, on dirait de la drum & bass, mais changeant de braquet toutes les 15 secondes. MC Ride semble une poupée vaudou, émanant de l’esprit de Zach Hill, controlée par son instrument de mort et de domination. Les mecs de la sécurité nous fixent, hébétés, mais ils scrutent dans la mauvaise direction… Ils ne voient pas qu’on martyrise une batterie, derrière eux, et que ses cris résonnent dans tout le transbo. Je ne vois pas trop qui peut rivaliser, à vrai dire, face à l’aura « evil » que dégagait un tel concert. Ce n’était pas du hip-hop du tout, c’était juste un chaos animal et dégénéré. Il n’y a pas de 666 dans l’outre espace, comme le dit le titre d’un album d’Hella. Le diable n’est pas rouge, dit un autre… Le diable n’est pas rouge, il ne s’habille pas en Prada, il est blanc et s’appelle Zach Hill, et il fait peur, vraiment.

Après ça, il eut fallu que la petite salle soit sur le chemin de la sortie pour que je m’y arrête, et que par chance les espèces de DJ électro criards qui y officiaient jusqu’ici aient fini leur set. C’est que quelques minutes plus tard, dans un timing il faut reconnaître bien calibré, débarquait Kevin Martin, alias The Bug, derrière un arsenal de machines aux loupiotes dignes d’un Jean-Michel Jarre taille humaine. Difficile de se dire qu’on va avoir droit à un DJ set de dubstep, même malmené, après les deux claques qu’on vient de se prendre (bon paraît que c’est du live, mais bon c’est un mec derrière un mac qui tourne des boutons, quoi, appelons un chat un chat)… Kevin Martin étant un peu le papa du genre, et l’homme derrière les excellents King Midas Sound, je m’attarde quand même et tente de rentrer dans la musique suave de l’anglais. Tout son set consiste à vrai dire à jouer au chat et à la souris avec le public, les faisant danser pendant 1 minute ou 2 maximum, avant de tout saboter dans un concert d’effets noise qui vire assez souvent à la pure aggression sonore. Martin n’a clairement rien renié de ses racines industrielles, et ses accès de chaos n’avaient rien à envier à ceux d’Oktopus (on évitera de comparer avec Death Grips). Ils sont aussi courts que les passages dansants, et le public, comme d’accoutumée avec ce genre de musique, se remet à danser dès que ça devient en tant soit peu syncopé. Quelques samples de MC’s centrifugés dans le brouet électronique plus loin, c’est Miss Red qui débarque au micro, pour assurer un numéro assez typé UK Garage / Grime, avec pose carribeo-suggestives à l’appui, tout en restant plutôt soft. Elle a tout cas du courage de faire l’ambianceuse sur une musique aussi bruitiste et instable. Avec elle, le DJ Set, qui commençait un peu à se résumer à une superposition de samples et de fréquences basses ultra vibrantes et déformées, prend enfin des allures de concert. Les « riddims » récurrents de Martin sont vraiment sombres et hypnotiques, puant le bas-fonds londonien et rasant le bitume à une cadence qui semble totalement déphasée. Même pour quelqu’un qui déteste le dubstep (moi), l’aspect captivant et l’appel primitif contenu dans cette musique est évident. L’appellation « bass music », un peu balancée à tout va ces derniers temps, prend bien tout son sens ici : sur une grosse partie du set, il n’y a tout simplement pas de beat, pas de sons percussifs, puisque tout le rythme est assuré par ces nappes de sub-basses lancinantes, comme aplaties dans leur rendu tout en faisait copieusement vibrer l’air, dans lesquels on reconnaît à peine les restes d’une grosse caisse, compressée et processée jusqu’à l’os. Assez fort de faire danser un public sur ça. Ce qui fort aussi, c’est que le chant de Miss Red tout en étant traditionnel de ce genre de musique – c’est du toasting, donc influencé dancehall jamaïcain – a ce je ne sais quoi d’urgent qui colle bien avec la musique, qui elle est franchement sombre, sans aller jusqu’à être du Scorn (c’est beaucoup trop peu construit et primaire pour ça, sans jugement de valeur). Difficile à décrire, mais bien prenant.

Après avoir jeté un œil à Trap, sans avoir été convaincu, je décide d’entamer la petite heure de marche qui me sépare de mon fief, dans la toujours très lumineuse nuit Lyonnaise... Et repars convaincu, pour une fois, que ce genre de festival est parfois nécessaire pour apprécier certains groupes au son énorme dans une salle aux dimensions ad hoc (le soundman a bien assuré aussi, sans quoi c’était rapé). D’autant que le prix était abordable, ce qui ferait bien d’inspirer certains autres festoches. Saluons surtout en définitive la programmation, impeccablement cohérente, du moins pour ces 3 groupes…

Mots clés : Death Grips, The Bug, Kevin Martin, Zach Hill, Numbers not names, oktopus, manyfingers, crescent moon et crescent,

Dernière mise à jour du document : jeudi 15 novembre 2012