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Interview avec Frédo Roman de Nonstop pour Zyklon Bio

par Ntnmrn › dimanche 5 décembre 2021


Style(s) : electro / hip-hop / rock

Nonstop est apparu comme une fulgurance en 2005 avec Road movie en béquilles, puis il est reparti aussi sec après avoir largué J’ai rien compris mais je suis d’accord en 2009. Deux classiques remplis de traits d’esprit, de visions hallucinatoires et de slogans absurdes, qui rappellent le meilleur de ce qu’on a pu voir écrit sur les murs ces dernières années dans les temps de révolte. Seul à bord de cette machine musicale délirante, Frédo Roman est sans doute l’un des meilleurs portraitistes de l’époque, qu’il décrit avec l’agressivité et la folie requises, sans oublier ce qu’il faut d’humour et de poésie pour ajouter un peu d’agrément au cauchemar.

Ses textes et sa musique manquaient à beaucoup de monde, et c’est donc avec une joie non dissimulée que nous accueillons la nouvelle surprenante d’un troisième disque, Zyklon Bio, concocté pendant le confinement, sorti en novembre 2021. Interview également publiée sur le site lundi matin.

Sortie CD/vinyle par 2000 records. Sortie cassette par La langue pendue.

Comment présenterais-tu Nonstop ?

En gros c'est une réaction face à l'absurdité de notre époque, la connerie humaine, la mienne en premier. Un état des lieux composé d'accumulations d'images absurdes, violentes et parfois drôles, enfin j'espère... Une espèce de puzzle mental qui essaie de traduire la folie omniprésente de notre siècle sans pour autant tomber dans le désespoir, le pseudo-militantisme ou la démagogie... Un peu comme un coach en développement personnel qui t'apprend à garder le sens de l'humour jusqu'au jour de ton suicide.

Le mieux, c'est d'écouter la trilogie :

Pourquoi Nonstop s'est stoppé il y a 12 ans ?

Après le deuxième album J'ai rien compris mais je suis d'accord, j'estimais avoir fait un peu le tour. Je n'avais pas envie de me répéter. Même quand j'avais des idées ça ne me procurait pas autant de plaisir qu'avant. Je ne faisais même plus l'effort de les noter. Je me sentais bien plus utile socialement dans mon métier de bibliothécaire, beaucoup plus que de continuer à prêcher des convertis.

Pourquoi avoir gardé le silence pendant toutes ces années ? Qu'as-tu fait pendant tout ce temps ?

J'ai rencontré une fille super. On s'est barré à la campagne retaper une vieille baraque. Je suis devenu père. Et absolument rien ne laissait présager un retour à la musique.

Pourquoi revenir aujourd'hui ?

Pour plusieurs raisons. A l'époque, du 2e album on sortait de l'ère Sarkozy. Je pensais vraiment qu'on avait touché le fond. Les années qui ont suivi ont prouvé que la descente était loin d'être terminée, jusqu'à atteindre le niveau abyssal que l'on connaît aujourd'hui.

Tout au long de ces années, sur ma boîte mail nevroseenplaque@yahoo.fr, je recevais régulièrement des messages vachement touchants de gens qui espéraient une suite. L’envie de leur faire ce petit cadeau commençait à germer mais je n'avais pas le temps… Jusqu'au soir où Macron annonce le premier confinement, je me retrouve au chômage technique pendant quelques mois, une parenthèse enchantée avec beaucoup de temps libre passé avec mon fils. C'est dans ce contexte que s'est articulé Zyklon Bio, à travers le regard d'un père qui angoisse de laisser un jour son fils dans ce monde en ruine. On habite dans une zone blanche où il n'y a pas internet, donc pour suivre l'évolution de la situation je zappais la nuit sur les chaines d'info en continu. Ce que je voyais était à la fois tellement hallucinant et halluciné, grotesque et flippant, que je me suis remis naturellement à prendre des notes. Comme s'il suffisait de se baisser pour les ramasser. Cette surconsommation télévisuelle m'a donné envie d'entrecouper le morceau que j'étais en train d'écrire d'extraits glanés à la télé et plus tard sur YouTube pour m'en servir de support documentaire.

Ensuite l'élément déterminant qui a rendu techniquement possible ce retour, c'est mon vieil ami Renan Guilcher, à qui j'en ai parlé et qui a aussitôt proposé de m'aider. Il m'a fait écouter quelques-unes de ses compositions qui collaient avec l'ambiance que je cherchais. J'ai ressorti de mon vieil ordi des samples et d'anciennes instrus. Je lui ai envoyé les passages documentaires, il a mélangé tout ça et le soir de mon anniversaire, le 23 avril 2021, on a enregistré la voix dans mon jardin. Le lendemain après la distribution de Doliprane, on a écouté, mixé, et c'était terminé ! Le disque le plus simple que j'ai jamais fait, et peut-être mon préféré.

Comment gagnes-tu ton pain quotidien ?

Je travaille à la médiathèque départementale de la Haute-Garonne qui alimente gratuitement environ 200 bibliothèques municipales du département qui tous les jours viennent emprunter par palettes des milliers de livres, CD, vinyles, DVD. Pour les communes qui ne disposent pas de bibliothèques on s'y rend en bibliobus. On fournit également les écoles. On bosse avec des publics dits empêchés, EHPAD, prisons… On forme les agents des bibliothèques. On leur propose des animations et des expositions. En tant que vidéothécaire, je gère la collection cinéma d’environ 20 000 DVD, je programme des projections-débats de films dans ces petites médiathèques, j'anime régulièrement des journées de formation sur l’histoire du cinéma. Bref c’est un boulot très varié, épuisant à cause du manque de moyen, inhérent à tous les services publics, mais passionnant, qui associe des valeurs auxquelles j’ai encore la naïveté de croire : l’éducation populaire, l'éveil des consciences, aiguiser l’esprit critique, encourager le dialogue, et permettre un accès gratuit et sans restriction au savoir, à la pensée, à la culture et à l'information dans des territoires souvent oubliés et éloignés de tout.

Comment as-tu réussi à trouver un label pour Zyklon Bio, un disque encore plus invendable que J'ai rien compris mais je suis d’accord ?

Au départ j'étais parti pour le balancer gratuitement sur le net mais quand Stéphane Blanquet a dit oui pour la pochette, je me suis dit que ça aurait de la gueule que ça sorte en vinyle et en CD. J'ai donc envoyé Zyklon Bio à trois labels et Stéphane de 2000 Records m'a aussitôt répondu qu'il était prêt à tout pour le sortir, quitte à souscrire un crédit Cofidis !

Stéphane Blanquet se charge à nouveau de l'artwork !

Les deux premiers disques de Nonstop étaient plus discrets, voire évasifs, sur leur positionnement politique. Zyklon Bio est beaucoup plus explicite. Pourquoi ?

Tout dépend de ce que tu entends par positionnement politique. Y'avait déjà dans Road movie en béquilles et J'ai rien compris mais je suis d'accord une critique sociale appuyée.

Disons que Zyklon Bio, de par son approche documentaire, donne plus d'indices sur l'époque que nous traversons. De plus, le rouleau compresseur qui nous fonce dessus accélère de manière si exponentielle qu’il n’y avait pas de place pour l’ambiguïté ou l’équivoque.

J’ai donc pris le parti d’aborder de façon plus directe les urgences sociales, écologiques et démocratiques tout en pointant du doigt leur cause commune : le néolibéralisme au service d'une économie effrénée, et bien consciente des conséquences suicidaires de ses activités, comme vient de le démontrer une récente étude du CNRS sur les compagnies pétrolières qui, dès 1971, connaissaient leur impact sur le réchauffement climatique et ont menti en organisant la désinformation pour protéger leurs profits et ce au détriment de l’avenir de nos enfants. Il s’agit d’un exemple parmi tant d’autres mais il est révélateur du déséquilibre mental de ces prétendues élites qui nous mènent à notre perte.

Donc oui Zyklon Bio est un témoignage explicite du cauchemar ambiant mais, comme mes précédents disques, il laisse aussi la place à des images métaphoriques que je laisse aux auditeurs le soin de décrypter.

Quel regard jettes-tu aujourd'hui sur Road movie en béquilles et J’ai rien compris mais je suis d’accord ?

Je les considère comme les deux première volets d’une trilogie qui s'achève avec Zyklon Bio.

As-tu des choses à dire sur la campagne des présidentielles qui se déroule en ce moment ?

C’est un remake de 2017. Dans un contexte où les enjeux sont encore plus terribles et cruciaux qu’il y a 5 ans. Avec une gauche qui continue son concours débile d’ego trip, où chacun insiste lourdement sur ce qui divise et non pas sur ce qui rapproche, alors que l’on s’achemine, une nouvelle fois, vers un deuxième tour entre néolibéralisme et extrême droite... Et qu’au final on aura les deux à la fois !

C’est le résultat d’une démocratie sans électeurs et sans sa jeunesse, qui n’est plus véritablement démocratique. Une élection tronquée où on bourre les urnes en faisant du bourrage de crânes.

Le plus frustrant dans tout ça, au-delà de ce spectacle pathétique et obscène, c’est qu’il existe des solutions alternatives concrètes aux problèmes écologiques, sociaux et démocratiques auxquels nous sommes confrontés. Seul manque le courage politique d’une gauche, qui, le jour où elle se saisira vraiment de ces enjeux autour d’un programme commun, méritera peut-être que l’on vote pour elle. Et je suis sûr que nos enfants voteront bien mieux que leurs ainés.

J’ai confiance en notre jeunesse malgré toutes les conneries qu’on peut dire à son sujet ! J’en vois de plus en plus dans des associations, des manifs, et ça c’est plutôt encourageant ! Alors d’accord ils ne votent pas, mais quand tu vois le niveau de cette campagne… Encore heureux ! C’est plutôt bon signe.

Puisque tu es bibliothécaire, tu as bien quelques livres à recommander à une population qui ne lit plus ?

Un langage appauvri empêche de penser, de réfléchir à sa condition, de critiquer et de remettre en question l’ordre des choses. Je recommanderais donc avant tout un dictionnaire.

Et en tant que vidéothécaire as-tu des films à conseiller ?

Le cinéma a toujours eu une place importante pour moi et je tombe parfois sur des rééditions de films vraiment incroyables ! Comme c’est bientôt Noël, en voici quelques-uns qui m’ont marqué dernièrement :

Cutter's way de Ivan Passer, Wake in fright de Ted Kotcheff, Bad Boy Bubby de Rolf de Heer, Dillinger est mort de Marco Ferreri, Les Innocents de Jack Clayton, Near Dark de Kathryn Bigelow, Les chiens d’Alain Jessua, Mandingo et The New Centurions de Richard Fleischer, Le Trou de Jacques Becker, Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette, Miracle Mile de Steve De Jarnatt, The Swimmer de Frank Perry, Seconds de John Frankenheimer, Les Guichets du Louvre de Michel Mitrani, White Dog de Samuel Fuller, Seuls sont les indomptés de David Miller, Roar de Noel Marshall, Network et A bout de course de Sidney Lumet, ou plus récemment Ne croyez pas que je hurle de Frank Beauvais, Le Traitre de Marco Bellocchio, Twin Peaks, The Return de David Lynch, Under The Silver Lake de David Robert Mitchell, ou Epicentro de Hubert Sauper…

Toi qui n'es revenu que récemment à la musique, tu en écoutes encore ?

Tu sais à la campagne, au bout d'un moment, les oiseaux ça devient stressant. J’écoute donc beaucoup de musique en tout genre, des bandes originales de films d’Ennio Morricone, Popol Vuh, François de Roubaix en passant par Blackmail, Institut, Bruit Noir, Rhume, Ventre de Biche, Coil, Muslimgauze, Zuli (producteur électro égyptien), Brian Eno, Los Lobos, King Tubby, Neil Young, ZZ Top, Franck Vigroux, Pan Sonic, Suicide, Esplendor Geométrico, Terrence Dixon, Arpanet, la période électrique de Miles Davis, Sun Ra et toujours un peu de rap quand même comme Sault, Jay Electronica, Quelle Chris, Alpha Wann, ou même pourquoi pas des vieux Doc Gyneco ou Sheryo !

Des concerts sont-ils prévus ?

Non.

Quel avenir pour Nonstop ?

Réponse au prochain confinement ?

Mots clés : nonstop, fredo, roman, zyklon, bio et 2021

Dernière mise à jour du document : lundi 21 février 2022