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Terreur, Jihad et Police : les chansons de combat de Stéphane Bérard

par Ntnmrn › lundi 13 juin 2022


Style(s) : ovni inclassable / pop / punk

Stéphane Bérard est un artiste polymorphe et malicieux qui ne recule devant aucune idée saugrenue pour rire au nez de l'époque en musique : après avoir produit un accompagnement musical pour chants djihadistes et une oraison funèbre en 5 titres pour les dirigeants assassinés par des groupes d'extrême gauche, le voilà qui sort un disque où il adopte le point de vue d'un policier, en immersion dans le train-train fâcheux du "maintien de l'ordre". L'occasion de revenir sur une carrière prolifique et une oeuvre aussi surprenante que drôlatique.

Bonjour M. Bérard, je vous interroge aujourdʼhui au sujet de votre musique, mais vous êtes aussi « poète et plasticien », selon Wikipédia, « réalisateur » ou encore « artiste conceptuel » selon dʼautres sources. Comment faut-il vous présenter et comment occupez-vous votre temps sur Terre en réalité ?

Artiste disons, comme ça on peut présenter sur lʼétal médiumnique imaginaire pas mal de produits, d’objets biscornus ou hyperlisses, en formes de temps et de volumes où se range toujours bien lʼexpressivité exclusive dédiée aux attendus des médiums utilisés, par exemple j’utilise (beaucoup) au départ la note, l’ébauche au stylo-bille que je présente ainsi ou parfois je développe. Les objets (ici musicaux) pas forcément super-fignolés, ni super-produits mais à percevoir comme esquisses, comme croquis.

Ouatage des battants de cloches afin d’en effacer les à-coups sonores, celui des heures des clochers - pour une vibration plus continue (drone musical) pour un renouveau sensoriel du temps qui passe. 2021
Stylo-bille sur papier, composition numérique, dimensions variables

Quelles sont parmi vos oeuvres celles qui méritent de passer à la postérité et que tout·e Français·e se devrait de connaître ?

Mais par quelle manière trop puissante puisse toute la population prendre connaissance de quelques propositions plastiques de mon fait ? Ça flanque un peu les pétoches - où alors une chose dite virale partagée via tel réseau social en réactivité à un événement pourrait être à même de remporter cette timbale ? Peut-être quʼà chaque agitation (sociétale) plutôt quʼune loi « contre », une œuvre « pour ». Cela relativiserait et la loi et le dessin de Plantu qui va avec ?

De manière générale, pourquoi faire de la musique plutôt que rien ?

La musique est un médium comme un autre, une pâte plastique ductile sonore que lʼon peut sʼamuser à façonner, sculpter, surfacer, elle a ses codes - ses attendus et donc ses surprises. Ses registres sont extrêmement codifiés par lʼindustrie, et cʼest relativement attirant dʼessayer dʼen utiliser quelques notions. Bribes de pouvoir.

Comment se passe la composition de vos disques ? Quelle place ont vos collaborateurs et collaboratrices comme Stéphanie Molez et Francesco Finizio ?

Jʼaime travailler relativement seul dans la forge plastique de la création sonore - mais jʼaime - une fois les objets un peu dégrossis - jʼadore essayer dʼoffrir une intonation un infléchissement à mes ami.e.s pour en sceller lʼempreinte, suivant lʼénergie recherchée, ou des cibles potentielles à atteindre.

Satisfactions 2015 modèle Signature Edition Limitée
Autocollants sur Guitare Telecaster, 98 x 33 x 5 cm
Collection Frac Limousin 2015
Réduire l'espace entre les utopies et la réalité sociale.

Vos albums sont très conceptuels et témoignent dʼune certaine érudition wikipédiesque. De quoi vous nourrissez-vous pour choisir les thèmes de vos albums ?

Une idée dʼactualité ambiante, politique - plus ou moins perceptible, et dʼy répondre afin dʼapaiser mes attentes, mes désirs, de tester des blagues ou des armes.

Vos détracteurs vous attaquent sur votre manière de chanter pour le moins nonchalante et relativement éloignée des standards en vogue sur les playlists Spotify. Que leur répondez-vous ?

Oui cette faiblesse est une force de non-persuasion et cʼest ce que je recherche, comme un possible antidote au GHB cette molécule qui hypnotise et abolit le discernement. (Souhait).

Comment êtes-vous passé de lʼidée dʼaccompagner du Erik Satie à la batterie (2008), à lʼidée dʼaccompagner des chants de Daesh à la guitare et aux maracas (2014) ? Peut-on parler de radicalisation artistique à votre sujet ?

Je ne pense pas que ce soit moi qui me soit radicalisé mais plutôt les Etats (Islamique ou autres entités à forts dogmes) Pour DAESH les énoncés arty quʼils promouvaient comme les interdits musicaux ne pouvaient être que retournés contre eux, de manière évidente. Pour Erik ça tue (Satie accompagné et réinstrumentalisé) réalisé environ dix ans avant cʼétait le code Satie à tous les étages inattaquable et inattaqué que jʼai voulu expérimenter en essayant dʼappliquer comme un traitement, y appliquer comme un vernis populaire folklorique de variété de type Rondo Veneziano. Difficile dʼen tirer des conclusions connexes sinon dʼessayer dʼen travailler les effets et ce quʼils sont au monde, comment ils se présentent à nous, leurs dress-codes.

Jʼai pu constater sur Bandcamp que votre disque dʼ « accompagnements pour chants de Daesh » est en vente pour la modique somme de 700 euros. Jʼimagine que vous avez une haute idée de votre art ?

Un juste cri, où lʼindexation sur une idée de ratio dʼheures de compo, dites travaillées et une idée de la vie chère et autres moments passés à y réfléchir. Temps de latence, devis serré. Livraison optimale.

En parlant de ces chants djihadistes accompagnés, sʼagit-il selon vous de la première oeuvre musicale islamo-gauchiste ?

Je me demande si les enluminures et autres arabesques ne viennent pas avant dans lʼhistoire de lʼart ?

« Jazz de Combat », sorti en 2021, est un disque dont la grande valeur pédagogique ne fait aucun doute, puisquʼil documente avec beaucoup de rigueur historique lʼassassinat de diverses figures patronales ou politiciennes par des groupes armés dʼextrême gauche comme Action Directe ou la RAF. Mais je vous le demande droit dans les yeux, M. Bérard, au fond, condamnez- vous ces violences (fermement) ?

Non non jʼessaie juste dʼexplorer des voies qui nʼont pas été (je crois) empruntées par les formes de la chanson considérée comme réaliste militante dite de combat de classes pour cet album précis. Jʼessaie dans la mesure du possible de combler un manque, un vide presque juridique, en tous cas symbolique, - un fantasme de chanson symboliste.

Quant à votre dernier disque intitulé « Les prénoms ont été changés », il aborde le sujet brûlant des violences policières en vue subjective. Vous vous mettez pour ainsi dire « dans la peau dʼun flic ». Mais M. Bérard, condamnez- vous ces violences ? Et quʼavez-vous tiré de cette introspection dans les tréfonds de lʼâme policière ?

Ceci nʼest que suppositions, je reprends la réponse précédente jʼessaie juste dʼexplorer des voies qui nʼont pas été (je crois) exploitées par les formes de la chanson considérée comme réaliste militante dite de combat de classes pour cet album précis. Jʼessaie dans la mesure du possible de combler un manque, un vide presque juridique, en tous cas symbolique, - un fantasme de chanson symboliste. (Bis) On pourrait essayer dʼillustrer Guernica côté bidasses de lʼair qui opérèrent le massacre que lʼon sait, parce que lʼart devrait pouvoir être préventif.

Finalement, votre oeuvre musicale est assez torturée, obsédée par la violence et le terrorisme. Comment expliquez-vous cela ?

Parce que ce sont les discours qui en sont travaillés, imprégnés et que les directions et autres choix de sociétés sont fait par ces derniers, leurs attendus, les causes et les clauses, la moindre des choses.

Hooliganisme pour tout 2021
Stylo bille sur papier, composition numérique source web, dimensions variables
Commande Laboratoires d'Aubervilliers

Quelles sont vos principales influences musicales ? Quels artistes vous inspirent ?

Beaucoup, et tellement fragmentées je peux écouter de la pop des Beatles jusqu’à Keiji Haino, les Seeds à Zeni Geva des années 90, et puis passer à Syd Barrett puis Daniel Johnston et évidemment Normand Lamour, Patrik Fitzgerald, tout Crass, et inlassablement Cockney Rejects. Un morceau de Kevin Ayers, puis des moments comme ça avec the Shaggs, Jean-Luc le Ténia, Les RFC (Les Résidus de Fausses Couches), les Spurts, Métal Urbain et encore Métal Urbain, Warum Joe avec leur titre « Les colonels de Bogota », DAF « Der Mussolini », ou ce clip minimal des mêmes « liebe auf den ersten blick » bref jusqu’au renouveau de la chanson réaliste avec des morceaux de Iron Sy « Je vous pardonne rien » ou plus récemment Keusty « #6ème bastos » ou dans un autre genre de témoignage avec l’artiste D1ST1 avec un morceau comme « Gilet Jaune clip officiel »... Tu vois l’agglomération !

Que prévoyez-vous pour la suite ?

Essayer de faire au plus juste.

Quels sont les enjeux du siècle ?

Pouvoir se poser cette question est un commencement de réponse.

Que conseillez-vous aux plus jeunes de vos auditeurs et auditrices ?

Dʼécouter au casque, mais pas trop fort.

Découvrir les oeuvres de Stéphane Bérard.

Mots clés : stéphane, bérard, musique, terrorisme, police, daesh, action, directe, art, contemporain et punk

Dernière mise à jour du document : vendredi 17 juin 2022