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Interview avec Sylvain Bégot de Monolithe

par Ntnmrn › jeudi 21 avril 2022


Style(s) : metal extrême / progressif / doom metal

Nous connaissions Sylvain Bégot comme frontman d'un groupe de doom français de premier plan, Monolithe, mais il est aussi désormais l'auteur d'une exigeante émission sur le metal, "Dans le Secret des Dieux", à découvrir absolument. Cet entretien-fleuve est l'occasion de revenir sur sa musique, son podcast, et sa passion pour le metal.

1. MONOLITHE

Pourquoi faire de la musique plutôt que rien ?

Pourquoi faire quelque chose d’enrichissant plutôt que rien ? Pourquoi exister sans être, ou plus simplement pourquoi ne demeurer qu’un golem dépourvu d’âme, un corps en argile sans souffle de vie, sans motivation, sans but, sans essence, sans connaissance, sans expérience, sans vécu ? La musique est une activité à laquelle il est nécessaire de se dévouer complètement, surtout dans ses jeunes années de formation, à la condition bien sûr de vouloir la faire correctement. Mon parcours, mes rencontres et peut-être tout bonnement le hasard m’ont amené vers une passion et une envie de créer de la musique plutôt que le sport, la poterie ou la philatélie, mais toujours est-il que j’ai toujours eu besoin de faire, de créer, de concevoir, d’avoir des envies, des objectifs à atteindre, de vivre pleinement plutôt que de juste exister. Or, la musique me permet d’accomplir tout cela, même si ce n’est bien sûr pas l’unique moyen. Je suis aussi un passionné de voyage par exemple.

De quoi vis-tu ?

Je travaille dans l’audiovisuel dans le sport de haut niveau.

Où en est Monolithe aujourd’hui ?

Eh bien je dirais que MONOLITHE est un groupe vétéran, doté d’une discographie déjà assez conséquente, mais encore en pleine santé créative. Je regrette que le groupe ne soit pas davantage connu et ne parvienne pas à franchir un ou deux paliers supplémentaires en termes de reconnaissance, mais je suis néanmoins très satisfait de ce que ce projet a accompli jusqu’à présent, et cela suffit à me combler malgré cette frustration très relative.

Quel regard jettes-tu sur ta discographie ? Quels en sont les points forts, les points faibles ? Ton meilleur disque ?

Je suis fier de notre discographie. Chaque sortie est la photographie de ce que le groupe, et évidemment ses membres, étaient à une époque donnée, et propose des choses, sur le plan musical, qui restent toujours intéressantes à mes yeux, même si j’ai forcément évolué en plus de 20 ans. Je dirais que nos points forts sont la créativité et l’homogénéité de la qualité de nos disques et que notre point faible, en début de carrière essentiellement, était le manque de moyens pour proposer un son et une interprétation digne de ce que nous avions en tête. Mais les albums passés sont ce qu’ils sont et ils sont très bien comme ça. Les circonstances de leur naissance font entièrement partie de leur charme.

Je ne sais pas si c’est le meilleur, mais aujourd’hui mon album préféré de MONOLITHE est Nebula Septem.

Pourquoi être passé de Debemur Morti à LADLO ?

Parce que nous avons terminé notre collaboration avec Debemur Morti, tout simplement. DMP a un peu changé de modèle en se concentrant sur un certain type de groupes et nous avions de notre côté un peu l’impression de ne pas pouvoir toucher un public plus large sur un label de Black Metal. Cela peut paraître étrange du coup d’avoir signé ensuite sur un autre label de BM, à savoir LADLO, mais c’est lié à la simple coïncidence que Gérald Milani nous a proposé de rejoindre le label à peu près au même moment, donc on ne s’est pas trop posé de questions, nous y sommes allés. Mais aujourd’hui nous ne sommes plus sur LADLO pour des raisons un peu similaires. Dans les deux cas, le divorce s’est fait à l’amiable.

Quels sont les disques de doom les plus originaux qui aient été publiés selon toi ? Et les plus essentiels ?

Le plus original pour ce qu’il a apporté comme contribution est le disque fondateur de ce qu’on appelle le Metal, à savoir le premier album éponyme de Black Sabbath. Le plus original pour ses qualités expérimentales est selon moi The Second Ring of Power d’Unholy. Il y en peut-être d’autres, mais je ne connais pas chaque disque de Doom sorti non plus. Quant aux plus essentiels, pour faire court, je dirais les deux premiers Candlemass pour ce qui est du Classic Doom, The Silent Enigma de Anathema et As the Flower Withers de My Dying Bride pour le Doom Extrême. Allez, je rajoute Forest of Equilibrium de Cathedral quand même, qui est une pierre blanche pour le style lui aussi. Toutes les bases du genre Doom sont déjà là.

Le metal te paraît-il être un genre encore vivant ?

Il suffit de constater le nombre de sorties d’albums annuelles, pour se rendre compte que le genre est plus vivant que jamais.

Après, il faut aussi avouer que le Metal est sursaturé, notamment de sorties sans intérêt, car pour un groupe apportant une personnalité, il y en aura 10 qui seront des clones ou des groupes qui ne font qu’appliquer des recettes éculées. C’est peut-être l’âge qui me fait parler de la sorte parce que j’ai quand même plus de 30 ans de Metal dans les pattes et j’ai très très rarement l’occasion d’écouter un album avec lequel je me dis « tiens, je n’ai jamais écouté ça avant » tout en étant conquis par mon écoute. Car être original est une chose et ça, à la limite, on peut le faire avec de la musique expérimentale, mais encore faut-il que la musique reste ludique, et ça, c’est ce que j’ai le plus de mal à trouver aujourd’hui, à une époque où à peu près tout a été dit et que les nouveaux groupes essayent d’apporter de la fraicheur non pas avec des idées neuves mais en fusionnant des styles préexistants.

Cela fait longtemps que je le dis, je pense qu’il y a toujours autant de bons groupes et de bons albums qu’avant, mais ils sont noyés dans la masse de sorties inutiles, ce qui n’était pas trop le cas il y a 30 ans, et c’est ça la principale différence.

Tu as déjà donné tes albums favoris en metal/rock (Pink Floyd : The Wall, Iron Maiden : Live After Death, Slayer : Decade of Aggression, Anathema : The Silent Enigma, My Dying Bride : As The Flower Withers). Peux-tu revenir sur ce que chacun de ces disques t’a apporté ?

C’est compliqué de faire ce genre de liste, en réalité je pourrais en citer beaucoup d’autres. Là en revoyant celle-ci, je pense qu’elle constitue davantage une liste d’albums qui ont eu une énorme influence sur moi, notamment parce que je les ai découverts pendant mes années de formation en tant qu’individu et musicien.

Déjà tu peux remarquer qu’il y a deux albums live. Quand j’étais ado sans le sou, j’achetais souvent des albums live parce qu’il y avait plus de titres et parce qu’ils constituaient une sorte de best-of, je trouvais ça génial de pouvoir avoir un aperçu de la carrière d’un groupe sur un seul disque. Et du coup je m’y suis habitué et j’aime encore beaucoup aujourd’hui l’énergie brute d’un album live, sans l’habillage sophistiqué du studio. Même si les lives sont souvent retouchés, ils gardent le côté pur des musiciens avec leur instrument, et j’ai toujours aimé ça. Donc oui, que dire de Live After Death et Decade of Aggression ? Ce sont deux lives ultimes chacun dans leur catégorie, entre la maîtrise tourbillonnante d’Iron Maiden de son répertoire, joué un peu plus vite que sur les albums et avec un son plus puissant, et la férocité de Slayer qui joue quasiment tous ses meilleurs titres, ils restent deux piliers pour moi. The Wall c’est l’album qui m’a donné le goût des albums plus ambitieux, narratifs et immersifs du début à la fin. Je l’ai écouté des centaines de fois avec toujours autant de plaisir et il m’a appris qu’un album peut être autre chose qu’une collection de chansons indépendantes les unes des autres, ce qui bien entendu est une inspiration majeure pour MONOLITHE. The Silent Enigma et As The Flower Withers sont deux monuments du Doom Extrême, ils ont ouvert la voie au genre et en ont également proposé une définition définitive. L’habileté compositionnelle et l’audace de ces deux albums, surtout dans le contexte de l’époque, restent inégalés et un certain nombre d’éléments caractéristiques de ma propre musique en sont issus.

Quels seraient tes albums favoris hors metal/rock ?

En fait en y réfléchissant, je n’écoute pas énormément de musique en dehors de cette sphère. J’écoute des trucs pop des années 80, ce n’est pas à proprement parler du Rock, ou pas toujours, je ne sais pas. Des artistes comme Tears for Fears, A-Ha, David Bowie par exemple. Ma femme écoute Abba à la maison, moi j’aime bien, ce sont de supers compositeurs. J’aime beaucoup Jocelyn Pook, surtout l’album Flood qui date de 1999, des compositeurs de musique de films, qui parfois m’inspirent un peu, comme Hans Zimmer, Ennio Morricone… Quoi d’autre ? Stanley Clarke et tout cette mouvance Jazz Fusion des années 70 me parle pas mal, mais on se rapproche du Rock. Ah oui la Synthwave aussi, j’adore Carpenter Brut et Perturbator, mais ils viennent du Metal, donc je ne sais pas si ça compte… Des trucs de classique aussi, j’adore Satie par exemple, Mussorgsky et les russes arrivés ensuite, Stravinsky, Rachmaninov, Chostakovich et puis dans un style plus contemporain, le hongrois Ligeti, qui était un génie au sens le plus noble du terme. Avec le temps je suis devenu plus réceptif aux musiques hors de ma zone de confort, il m’arrive d’écouter une radio de vieilles chansons françaises en voiture et de vraiment aimer ce que j’entends, alors que ma culture dans ce domaine est assez limitée.

Tes meilleures découvertes récentes ?

Récemment je me suis mis sérieusement sur la discographie de Evergrey, que je connaissais un peu superficiellement et qui m’a donné envie, avec son dernier album en date, Escape of the Phoenix, de creuser le reste.

Sinon je découvre, sur le tard, Animals as Leaders, qui n’est pas juste un groupe de Djent à la con, mais une véritable relecture du Metal et de la guitare électrique. Je commence à m’intéresser à The Stranglers aussi, que je ne connaissais que de nom, en découvrant l’album The Raven, que j’adore, et qui me pousse à en découvrir davantage.

Et puis tout récemment j’ai trouvé la performance de Steve Vai sur son nouvel instrument génial et débile, l’hydra, vraiment incroyable, même s’il faut avoir l’image avec le son pour vraiment apprécier.

Monolithe IX alias « Kosmodrom » est d’ores et déjà composé et enregistré, et l’extrait « Soyuz » vient d’être publié. Peux-tu nous en dire plus sur le processus de composition ?

Kosmodrom a été composé alors que j’étais en « exil » en Thaïlande suite à la décision des autorités françaises de confiner le pays. Ma femme et moi avons refusé cette privation de liberté injuste, disproportionnée et inefficace sur le plan sanitaire, nous avons donc fui l’hexagone juste avant que ça ne commence. Je n’avais aucune intention d’écrire un nouvel album aussi vite, mais je me suis retrouvé un peu désœuvré et j’ai donc commencé à composer de la musique sur une vieille guitare folk qu’on m’a prêtée là-bas. Et de fil en aiguille, Kosmodrom est né. C’est une façon de faire un peu particulière pour moi, mais au final la situation m’a fait sortir de ma zone de confort, pour un résultat très satisfaisant. Je pense avoir réussi à renouveler un peu le vocabulaire de la musique de MONOLITHE, tout en gardant les caractéristiques uniques à ce groupe. Mais ce qui est ironique et amusant, c’est que j’avais l’intention de faire une pause assez longue après la sortie d’Okta Khora et que la situation dans laquelle je me suis trouvé a bouleversé ces plans.

Quelle place occupe ce nouveau disque chez Monolithe ? Quel en est le concept ? Pourquoi s’intéresser à la conquête spatiale et à la Russie soviétique ? Quels événements, lectures ou visionnages ont contribué à l’élaboration de ce disque ?

Eh bien je trouve que cet album se situe dans un carrefour assez intéressant pour MONOLITHE, à savoir qu’il reprend des éléments stylistiques de toute la carrière du groupe, de nos premiers pas jusqu’à Okta Khora en 2020 et y associe des ambitions et des envies nouvelles. C’est ce que j’aime chez un groupe, me retrouver en terrain familier tout en ayant de nouvelles choses à découvrir. Nous ne sommes ni AC/DC ni Ulver, mais quelque chose exactement entre les deux.

Le concept derrière Kosmodrom est, comme souvent chez MONOLITHE, celui de l’unicité, être seul ou LE seul, l’unique, le premier. Donc l’idée est de parler de pionniers, de premiers à avoir réalisé quelque chose ou avoir découvert un lieu, à travers la métaphore de la conquête de l’espace, vue du côté soviétique. Pourquoi soviétique ? Parce que le côté américain a déjà été exploité à de multiples reprises. Le côté russe est moins connu alors qu’il est tout aussi fascinant, peut-être même plus. Ce régime communiste absurde, autoritaire et ruiné qui parvient à envoyer des animaux puis des hommes dans l’espace dans des quasi boîtes de conserve a quelque chose d’absolument éblouissant. Et puis toute l’esthétique de la propagande d’époque est très intéressante. Elle dégage une beauté étrange. Pour moi qui aime l’histoire et l’espace, c’est un sujet de rêve. Pour la musique, les textes et l’artwork, nous nous sommes inspirés de tout cela, et puis je suis abonné à une chaine Youtube qui compile des images d’époque, grâce à laquelle j’ai pu visionner des choses incroyables et qui m’ont vraiment inspiré pendant la construction de l’album.

Où veux-tu emmener Monolithe par la suite ?

C’est difficile à dire à ce stade. J’ai toujours un coup d’avance lorsqu’un album est sur le point de sortir mais là c’est peut-être encore un peu tôt, ce n’est pas encore bien germé dans ma tête, même si j’ai une vague idée de ce que j’aimerais faire. Il arrive que je me dise que l’album sur lequel je travaille sera le dernier, parce que l’investissement personnel, en termes d’énergie et de temps, est épuisant. Mais après un peu de temps, j’ai toujours cette envie de faire un autre album qui revient. C’est un cycle sans fin, un peu maso il faut bien l’avouer, même si la satisfaction d’avoir terminé un album, de l’écouter et de le trouver bon est particulièrement réjouissante.

2. DANS LE SECRET DES DIEUX

Ce qui a motivé cette interview, en plus de mon goût pour Monolithe, c’est la découverte de ton excellent podcast, « Dans le Secret des Dieux », que je suis maintenant régulièrement. Comment as-tu eu l’idée de ce podcast ?

Eh bien tout comme Kosmodrom, qui est un « accident » né du cirque Covid, « Dans le Secret des Dieux » est un avatar d’un certain désœuvrement lié à la pandémie. Après l’exil de 4 mois en Thaïlande dont je parlais plus tôt et un retour en France, un second confinement a été décidé, et cette fois je suis parti vivre en Suède, pays dans lequel il n’y a eu aucune restriction impactant la liberté de vivre à sa guise. Nous y sommes restés 7 mois, bien que j’aie eu besoin de faire quelques aller-retours en France pendant cette période. Vivre à Stockholm a été une expérience extraordinaire, mais tout comme en Thaïlande, ma vie quotidienne a été bouleversée, et mon emploi du temps s’est tout à coup retrouvé bien vide, et comme je n’allais pas composer un autre album si vite après avoir terminé Kosmodrom, j’ai eu cette idée de podcast. Cela faisait quelques années que je réfléchissais à un moyen d’expression autre que la musique, notamment pour partager mon expérience dans le milieu Metal. Le déclic final a été la découverte du podcast d’Alan Averill de Primordial. Je me suis rendu compte que les musiciens-podcasteurs étaient nombreux dans le monde anglo-saxon et j’ai eu envie de faire quelque chose de similaire en version française.

Pourquoi faire un podcast sur le metal aujourd’hui ? Y avait-il un manque à combler ?

Je fais un podcast sur le Metal parce que c’est un domaine que je connais très bien, ça fait plus de 30 ans que j’en écoute et j’ai sorti mon premier disque il y a 25 ans. J’aurais eu un peu plus de mal à parler argenterie ou décoration d’intérieur pour tout t’avouer. Je ne me suis pas lancé en me disant que j’allais combler un manque, par contre je savais que ce que j’allais proposer n’existait pas en France. Qu’il s’agisse des youtubeurs ou des podcasteurs français, le ton est en général très différent du mien. Ils se basent beaucoup sur l’humour, ou le potache pour certains, le râlage pour d’autres, ce n’est pas spécialement mon truc. Je voulais une approche plus sérieuse, quasi académique ou universitaire dans le traitement des sujets, un peu France Culture tu vois, mais sans le côté on lève son petit doigt en remuant sa cuillère dans son thé. Et puis surtout, il y a le fait que je ne suis pas juste un spectateur, un observateur de la scène, j’en suis un acteur depuis longtemps et je pense que cela apporte un regard différent, comparé à celui d’un podcasteur ou youtubeur qui n’est « que » un consommateur de Metal. Cela se sent notamment dans les entretiens que je fais avec des musiciens, puisque nous sommes en quelque sorte des complices. Je connais leur état d’esprit, je sais ce que c’est de composer et d’enregistrer un disque, je sais ce que c’est d’être sur scène, ou en tournée. Voilà, je connais l’envers du décor, ce qui forcément permet d’offrir aux auditeurs une autre perspective.

Je pense qu’il y a un ton, un état d’esprit qui s’est imposé de lui-même, à travers ma personnalité et celle des gens qui je fais venir, notamment dans les Agora, qui sont nos talk-shows à quatre. Un petit côté hussard, insolent aussi, car j’ai horreur de la bêtise du politiquement correct et des idéologies, et je n’hésite pas à le faire savoir. Donc voilà, c’est un bouillon à base de Metal, France Culture, Antoine Blondin et Pierre Desproges !

Qui sont les principaux intervenants et comment les choisis-tu ?

Le principal intervenant est Nicolas Bénard, que je considère comme un co-hôte du podcast. Je n’aurais pas commencé DLSDD s’il n’avait pas donné son accord pour participer régulièrement. C’est un ami de longue date, docteur en histoire, fin lettré, qui connaît le Metal aussi bien que moi. Il est mon co-débateur pour les épisodes à thèmes, et invité récurrent des Agora. Il a également présenté des dossiers comme « La figure animale dans le Metal » ou « Metal et Ukraine » plus récemment. Ensuite je choisis les entretiens en fonction de mes affinités et envies. J’essaye de construire petit à petit un corps de travail autour des figures majeures de la scène Metal française, avec des artistes bien sûr, mais aussi des patrons de label ou autres personnages qui font tourner la boutique. Et puis il y a les Agora. J’y fais venir des amis musiciens de groupes français, des podcasteurs / youtubeurs et même des membres de labels. Je fais un casting mental en me disant « tiens, j’aimerais bien avoir telle personne dans l’émission » et je m’efforce de rendre le panel intéressant, en invitant notamment des gens un peu plus jeunes, qui ont une approche de cette musique différente de celle de notre génération à Nicolas et moi, ou des femmes par exemple, dont la présence dans les médias Metal est discrète alors que c’est une frange du public qui s’élargit de plus en plus.

Comment en es-tu venu personnellement à être amateur de metal ? Qu’est-ce qui t’attire en particulier dans ce genre de musique, quel avantage lui trouves-tu par rapport aux autres ?

Je suis devenu fan de Metal parce que j’ai écouté Iron Maiden, tout simplement haha. J’écoutais déjà de la musique à cette époque, des artistes que j’aime toujours, comme Pink Floyd, Genesis (période prog surtout), The Doors, les 2 premiers A-Ha, Tears for Fears, INXS, et pas mal de trucs des années 70. Iron Maiden m’a ouvert la porte d’un autre monde, qui me parlait bien plus, avec cette musique très cinématographique et ces virevoltes guitaristiques. Et de fil en aiguille, j’ai découvert d’autres groupes, Metallica, Slayer, Megadeth, etc. On parle du tout début des années 90. C’est une autre époque, pendant laquelle on ponçait un album jusqu’à que la cassette tombe en lambeaux, parce que l’accès à de nouveaux disques était beaucoup plus compliqué.

Je pense sincèrement que tous les styles de musique possèdent un attrait potentiel, il faut juste que la corrélation entre la musique et l’auditeur soit possible. Le Metal, pour moi, fils d’ouvrier et vivant dans une petite ville de province, c’était une échappatoire vis-à-vis du réel, et la traduction artistique de mon côté un peu geek. Moi qui aimais le fantastique, la SF, la littérature, l’espace, le surnaturel, je retrouvais tout ça dans le Metal. Je suis par exemple quasi complètement hermétique au Hip-Hop, parce que toute cette culture urbaine autour de laquelle le genre s’est construit ne me parle pas, ce n’est pas moi, ça ne parle pas de ce que j’aime, de ma culture, de mes valeurs, de mes goûts esthétiques. Le Metal, si. Et puis quand j’ai commencé le Metal, les autres métalleux plus âgés, les hardos comme on disait à l’époque, étaient toujours les types les plus intéressants que je fréquentais. Ils réfléchissaient par eux-mêmes, ils étaient plus curieux que les autres, et je peux dire que ce sont eux et les artistes de Metal que j’écoutais qui m’ont servi de mentors. Pour l’anecdote, quand j’étais en seconde, un hardos en terminale est venu me voir et m’a demandé « Tu aimes lire toi, non ? » et il m’a tendu un Voyage au bout de la nuit dans un état désastreux en me disant « Tiens, lis-ça, après tu seras peut-être un peu moins con ». Et du coup ça a eu beaucoup plus de sens pour moi d’ouvrir la première page et de m’y coller que si un prof m’avait obligé à le faire.

Vous parlez assez peu de black metal au final, quel est ton regard sur ce genre ?

Nous n’avons pas de raison particulière de parler de Black Metal plus qu’un autre sous-genre de Metal, puisque DLSDD est un podcast généraliste sur le Metal. Je peux parler de Funeral Mist, puis de Scorpions juste après. Le BM est un style parmi d’autres. Personnellement c’est un genre que j’apprécie beaucoup mais j’ai un rapport un peu particulier avec lui, puisque j’en écoute rarement en journée. Je me passe du BM plutôt le soir pour m’endormir. C’est un genre très onirique et hypnotisant, parfait pour le sommeil. Donc je connais beaucoup, beaucoup d’albums du genre, mais seulement les 15-20 premières minutes dans 80% des cas haha.

Votre épisode sur le « Big Four français » est édifiant : il démontre avec quelques critères simples (nombre d’écoutes sur Last.fm, nombre d’auditeurs sur Spotify, nombre de chroniques sur metal-archives) que les quatre groupes français les plus écoutés à l’international sont Gojira > Alcest > Deathspell Omega > Blut aus Nord. Un top 4 de très bonne facture, contrairement à ce à quoi l’on aurait pu s’attendre. Ton propre Big Four français serait-il celui-là, ou un autre ?

Si on parle de Big Four, cela doit respecter les critères énoncés dans l’émission, donc cela ne peut être que ceux-là qui, effectivement, sont les plus gros groupes français. Si on parle de mes quatre groupes français préférés, je ne garderais que Blut Aus Nord de cette liste. Les autres seraient Massacra, SUP et en réfléchissant bien je pense que les copains de The Old Dead Tree ont sorti des disques qui font partie des albums français que j’ai le plus écoutés. Mais ce n’est pas facile de faire une liste de groupes, ce serait plus évident et plus logique de faire une liste de mes albums français préférés, puisqu’il y aurait bien d’autres choses, comme Treponem Pal, Klone, Loudblast, Misanthrope, Mercyless, Carnival In Coal, Scarve, etc.

Quels sont les médias (webzine, émissions, podcast) metal ou musicaux qui t’intéressent et t’inspirent ?

Avant de démarrer mon propre podcast, je ne m’intéressais plus beaucoup aux médias Metal. Je regardais les vidéos de Maxwell et il m’arrivait de trainer ici et là sur des webzines anglo-saxons, notamment Blabbermouth, pour regarder un peu les news mais c’est tout. Je pense qu’il y a eu un tournant au moment de l’arrêt de VS-Webzine, qui était ma source principale d’information à l’époque. Mais après avoir démarré DLSDD, j’ai commencé à m’y intéresser à nouveau, en essayant de découvrir et connaître la plupart des chaînes YouTube et podcasts francophones, lire un peu les Webzines, et je me suis même réabonné à Rock Hard. Et je le ferai aussi sans doute pour Metallian. On va dire que c’est pour rester à la page, puisque quand tu fais partie toi-même des médias, il me semble naturel de connaître ce qui se fait dans le secteur. Je ne peux pas dire qu’ils m’inspirent sur la forme, mais il m’arrive d’avoir des idées de contenus en rapports avec des choses que j’ai pu lire ici et là.

Tes disques et tes podcasts laissent entrevoir un goût pour la philosophie et la littérature. Quels sont tes livres favoris ? Quels sont ceux que tu lis en ce moment ?

Oui absolument, même si j’ai beaucoup moins le temps de lire actuellement. J’aime plutôt les romans. Mais c’est comme pour les albums, c’est vraiment dur de faire une liste courte. Disons que j’aime le roman français du XIXème, je suis un grand amateur des Zola, Hugo, Flaubert & co. Au XXième j’aime les Hussards et Céline. Évidemment la SF de l’âge d’or, Asimov, Silverberg, Dick et pour les auteurs plus récents Peter Watts, les romans SF de Dan Simmons (et même le reste, c’est un très grand auteur). J’aime des auteurs dit « classiques » chinois aussi, Lao Shi, Shen Congwen, et plus récemment Yu Hua. Là actuellement je lis Foutriquet de Onfray, surtout pour le plaisir sadique de voir Macron, que je déteste, se faire massacrer. Sinon je suis sur le cycle Malazéen des Glorieux Défunts de Steven Erikson, c’est de la fantasy bien badass que je lis en V.O, donc je fais des pauses entre chaque livre avec des choses plus légères, parce que c’est assez complexe. Ah oui et un petit Stephen King ça fait toujours plaisir, d’ailleurs je dois en avoir 3-4 de retard maintenant, il va falloir que je rattrape ça.

As-tu des projets particuliers pour l’avenir du podcast ?

Pas vraiment, même si j’essaye d’apporter de nouveaux segments, de nouveaux concepts régulièrement. Mais il faut que je trouve le bon équilibre entre ce qui marche, ce qui génère beaucoup d’écoutes, avec la quantité de travail que cela demande. J’ai par exemple créé une rubrique « Story » dans laquelle je raconte la bio d’un groupe. Cela demande beaucoup de travail de recherche mais ça ne marche pas trop donc je ne sais pas si je vais continuer. Je vais sans doute tester un format dans lequel je parle d’une poignée d’albums dans un format court, pour inciter les gens à les écouter et à en discuter, on verra ce que ça donne.

Que t’inspire la période électorale que nous traversons ?

Eh bien c’est la même mascarade, le même théâtre que d’habitude, avec de grands mots comme « démocratie » ou « république » brandis comme des oripeaux mais complètement vidés de leur sens tellement ils ont été dévoyés par l’oligarchie ploutocrate et leurs chiens de garde médiatiques. Il faut être sacrément naïf pour continuer à croire que la France est une démocratie. C’est, au mieux, une parodie de démocratie. Les gens pensent qu’ils choisissent leur destin parce qu’ils votent, c’est d’un ridicule… Moi cela fait bien longtemps que je ne vote plus, je ne participe pas à ce cinéma. Nous sommes, au moment de cet entretien, dans l’entre-deux tours, et la rengaine quinquennale est au rendez-vous, comme prévu. Il faudrait redonner un blanc-seing au type qui a éborgné des manifestants, enfermé la population, ruiné le pays au profit des copains et des coquins déjà riches, laissé l’insécurité exploser, j’en passe et des meilleurs pour faire barrage à une extrême-droite fantasmée, imaginaire, alors qu’un authentique tyran a martyrisé le pays pendant 5 ans. Et face à lui, rien, le vide, des candidats nuls et un troupeau aveugle. Cette absence de rapport au réel des électeurs français me fatigue et me désole. Hugo écrivait que le peuple est un âne qui se cabre. Je le trouve très en-dessous de la réalité.

Quels sont les enjeux du siècle selon toi ?

Il y en a trois. Le premier est d’ordre écologique. Il va sérieusement falloir que les nations se bougent pour enrayer les désordres qui se profilent, qu’ils soient climatiques ou démographiques, parce qu’on finira par tous le payer tôt ou tard, et même plutôt tôt que tard, avec une baffe qui risque d’être magistrale pour nous Occidentaux qui avons l’habitude de vivre dans le confort et l’opulence.

Le second est d’ordre civilisationnel. Les nations, notamment européennes, doivent se poser la question de la survie de leurs spécificités ethniques ou culturelles. Doit-on faire de l’Occident un amalgame uniforme avec des populations mélangées et un marché commun ou doit-on tenter de conserver les cultures et les peuples originaux ?

Et enfin, il est d’ordre économique. Ou plus précisément, la répartition des richesses de plus en plus déséquilibrée va devenir de plus en plus problématique pour la stabilité du monde. Il va falloir se poser la question de partager le gâteau en plus de parts, parce que le chaos et la chute de nos sociétés vieillissantes viendra probablement des gens qui n’ont plus rien à perdre et dont la colère et le désespoir ne pourront plus être remisés sous le tapis.

Pour finir, t’arrive-t-il d’être lecteur de Guts of Darkness ? Que penses-tu de ce site ?

Oui G.o.D est même dans mes favoris sur mon navigateur. Je t’avoue ne plus aller sur le site très souvent, mais j’y allais beaucoup il y a… pffff 20 ans au moins ! J’étais même un contributeur aux commentaires à l’époque. J’aimais beaucoup les chroniques de Sheer Khan. Et Nicko, l’un des deux fondateurs avec Chris, est un ami d’un autre guitariste de MONOLITHE, Benoît. La longévité du site est impressionnante. Je crois que Guts est le plus ancien site musical encore en activité, non ?

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Dernière mise à jour du document : jeudi 21 avril 2022