Vous êtes ici › Recherche › Recherche sur "mesdames"

Interview : Mesdames + Live Report : Mesdames/Rozi Plain, Lyon (La Triperie), le 13 octobre 2015

par Dioneo › vendredi 13 novembre 2015


Style(s) : chanson / jazz / ovni inclassable / rock / rock alternatif / spoken word / lecture / poésie

Il y a des soirées chaleureuses qui concluent des jours gris, pas très gais. On s’y rend – à l’endroit familier ; ou quelquefois inconnu – et soudain tout change. Sur le chemin, même, on se détend. On prévoit… Mais pas trop. J’avais vu Mesdames, groupe de Chambéry, dans cette même salle – La Triperie, dans les Pentes, le quartier de la Croix Rousse, à Lyon – une première fois, un an à peine plus tôt, en 2014. J'avais été soufflé, tout de suite, par leur énergie ; et l’impression, aussi, d’une délicatesse ; ou plutôt, ou surtout : d’une sensibilité vive, à vif, derrière l’agitation. Compositions remuées et fines… Musique pas cernable. Qu’eux-mêmes ne semblaient pas savoir trop, vouloir vraiment définir, nommer, rattacher… Les morceaux qu’ils avaient joués ce soir là n’étaient pas ceux de l’album qu’ils vendaient, à la fin, au stand. Les versions en studio de ceux-là restaient à venir… J’avais ramené l’objet chez moi, toujours, dans sa pochette-carton un peu rugueuse, avec son titre impossible – Mesdamus Werke Verzeichnis… a-t-on idée. J’avais écouté – et donc découvert, puisque ces chansons en étaient d’autres. J’avais aimé. Beaucoup. On avait idées… J’avais trouvées celles-ci, de pistes, un peu moins rudes, moins vertement balancées que celles entendues en direct. Je vous en avais parlé, en chronique. Et puis… Je m’étais dit qu’ils repasseraient bien par là. On avait discuté un peu – échangé par mails – avec Loup Uberto, chanteur et claviériste, ensuite. Ça leur allait, qu’on cause… Ça leur disait, oui, à la prochaine, qu’on se rencontre. Le deuxième album était arrivé. Pas beige-recyclé, cette fois, mais le fourreau en couleurs qui crient. Et dans les « sillons » – guillemets, puisque que l’objet n’existait alors qu’en CD, que ceux-là n’en on pas vraiment, que ça porte d’autres noms… – ça vibrait plus rudement, aussi ! Fichtre… Ils revenaient, repassaient dans mes parages. Il était dit que j’y serai.

Et ce mardi, en fin d’après-midi, m’y voilà. Devant la Triperie. Local que j’aime bien. La bière de pack y est trop cher pour le prix du pack… Mais on y fait des découvertes. Assez rare, me dis-je, d’y être si tôt, de jour. Je « sonne »… Guillemets encore, car je sais qu’à l’intérieur ce n’est pas un timbre qui retentit, mais une lampe qui s’allume, le temps de la pression, pour signaler ma présence. C’est Loup lui-même qui m’ouvre la porte… Je le reconnais, forcément – et Fanny George, aussi, sur une banquette, plus loin ; chanteuse et claviériste, avec qui on avait échangés quelques mots, la fois d’avant… Je me rappelle qu’eux n’ont aucune raison de m’identifier comme « le mec de guts, qui avait fait la chronique »… Je me présente donc. Les deux autres – Lucas Territo, bassiste, et Jean-Philippe Curtelin, batteur – sont partis chercher de quoi se caler, de légers en-cas. On sort tous, qu’ils s’en grillent une, le temps que les deux reviennent. L’Anglaise Rozi Plain – tête d’affiche, à vrai dire, de la soirée ; mais dont pour l’instant j’ignore à peu près tout –, avec son groupe, termine ses balances. On palabre un peu, plutôt biographiques. Tout le monde est là. On prend contact. Tranquille… Vient leur tour à eux de se régler – après serrages de mains avec les Britanniques (qui ont l’air de me prendre pour un cinquième Mesdames…) –, qui ne dure que quelques courtes minutes. Nous voilà ensuite attablés ; du temps devant nous, avant que le public en soit… Je sors le magnétophone – pour cette fois, antique machine à cassettes. J’enclenche. On se lance

INTERVIEW :

Fanny, quand vous aviez joué ici la dernière fois, on avait discuté trois minutes à la fin du concert… Je te parlais du mouvement Rock In Opposition, dont j’entendais comme des échos dans votre musique… Art Bears ou de gens comme ça. Tu m’a dit « Ah non, on ne connaît pas du tout »…

Fanny : En tout cas j’ai du te dire « JE ne connais pas du tout » ! Après, en en rediscutant avec les autres, ils connaissaient un peu plus. Après ce n’est pas forcément une référence qu’on avait en tête… Et c’est juste que moi, je n’ai pas forcément de références pour ce groupe. En général quand on me cite un nom, je ne le connais pas. Mais… Eux connaissent mieux que moi.

Et… Loup, quand on avait discuté un peu par mail, tu me disais qu’en général, vous ne connaissiez pas les gens à qui on vous comparait (c’était plutôt à propos d’Oyohualli, ceci-dit, l’un de tes autres projets).

Loup : Ça nous est arrivé pas mal, oui. Après, ce qu’il y a c’est qu’en général, c’est moi l’interlocuteur, par mail ou par tous ces trucs, et je n’ai pas, enfin… On a tous des influences assez différentes, des trucs qui nous intéressent bien et qui sont différents. Et comme c’est moi, souvent, qui parle pour le groupe, je passe pour LE référent qui va donner toutes les idées d’où on vient… Alors que ce n’est pas forcément le cas. Du coup je peux te dire que je ne connais pas quelque chose alors que peut-être, ça va donner des idées à un autre dans le groupe… Après pour l’histoire du RIO, en fait… Moi non-plus je ne connaissais pas quand tu en as parlé avec Fanny. Mais après j’ai découvert Henry Cow, des trucs comme ça, justement parce que tu nous en as parlé et pas seulement toi… Et tu vois, la date à Chalon qu’on fait demain, ils nous ont mis « RIO » comme style de musique… Et au festival L’Alambic, à Rennes, où on a FAILLI jouer… Le mec nous a dit tout de suite : « Mais, enfin… Pourquoi vous dites Noise Rock ?… C’est du RIO, votre truc ! ».

D’ailleurs, Fanny, le premier truc que tu m’avais dit, c’était : « On ne sait pas ce qu’on est »… Est-ce que vous, ça vous arrange, cette confusion, ou vous vous en foutez, ou…

Loup : Oui…

Fanny : Ce n’est pas un truc qui nous importe plus que ça, disons qu’il y a deux/trois références qui peuvent nous emmerder, des fois… On nous a beaucoup parlé de John Zorn à l’époque du premier album, quand il y avait le sax et… Ce n’est vraiment pas quelque chose à quoi on pensait et…

Mais parce que c’est un peu la référence des gens qui n'en n’ont pas de références en free et…

Fanny : Je pense que c’est LA référence un peu évidente, oui, et du coup… C’est vrai que… Le fait qu’elle revienne aussi souvent, ça ne nous parlait pas du tout, quoi… Après moi je trouve ça bien que ça évoque certaines choses à certaines personnes, d’autres à d’autres, sachant que nous on fonctionne comme ça en fait. On écoute vraiment tous des musiques très différentes et ça crée quelque chose.

Vous avez tous des formations différentes, d’ailleurs ?

Jean Philippe : Musicales, tu veux dire ?

Oui, au sens « d’apprentissages »…

Jean-Philippe : Oui, assez, oui… Tu veux qu’on te dise chacun ?

Oui, allons-y, oui…

Jean-Philippe : Moi j’étudie le jazz, à Chambéry, à la Cité des Arts. Donc… Ça n’a pas grand-chose à voir mais le rapport à l’improvisation, peut-être.

Oh ! Ça s’entend quand-même dans la musique je trouve.

Jean-Philippe : Peut-être un petit peu… Oui, j’ai fait des percussions classiques, aussi, et du piano.

Loup : Moi j’ai fait plein de musique tout seul, longtemps. J’ai pris des cours de guitare très, très jeune ; et j’ai arrêté très, très jeune, et... J’ai continué à faire de la musique tout-seul. Et… J’ai été au conservatoire très tard, enfin, à vingt ans, quoi. Je jouais de la clarinette tout seul, depuis six ans… Mais en fait j’ai fait de la musique à côté du reste pendant longtemps. En fait je faisais SUROUT ça et à un moment je me suis dit : « Faudrait peut-être que je me dise plutôt que c’est ça et que le reste… c’est le reste ».

Fanny : Moi j’ai fait beaucoup de musique toute seule aussi. On a commencé le conservatoire ensemble vers vingt ans, assez tard, oui. Et j’ai des parents qui ont fait de la musique classique, j’ai appris le piano classique… J’avais vraiment un peu cette formation là. Et après… Je fais pas mal dans la chanson. J’en écoute très peu mais les textes, la chanson française, c’est quelque chose qui me parle, même s’il y peu d’artistes qui me parlent « en vrai », là-dedans. Et sinon, beaucoup de musiques traditionnelles, musiques du monde. Et maintenant je fais du chant lyrique, aussi. Donc, rien à voir avec Mesdames, en fait. J’écoute très peu de musiques amplifiées, très peu de musiques d’aujourd’hui.

Donc c’est toi qui amènes le côté baroque ?

Fanny : Peut-être… S’il y en a un, je ne sais pas. {Rire}.

Moi, j’en entends un.

Fanny : Ben… Tant mieux.

Enfin, même… Le titre du premier album, c’était…

Fanny : …C’était une référence à Bach, oui, bien-sûr. Parce qu’on écoute… durant la dernière tournée on a écouté pratiquement que de la musique classique, du Bach… Et voilà.

Bach à fond dans le tour-bus et… {Je headbangue, pour illustrer mon étonnement, à imaginer la scène}?!

Fanny : Voilà {rires} !

Et… Lucas ?

Lucas : Et… Moi aussi, je suis passé au conservatoire, en jazz. Je fais une école de musiques actuelles, en même temps que Jean-Philippe. À la base je faisais de la guitare, j’ai commencé sur le tard et… Mesdames, ça a été un de mes premiers groupes, avec Jean-Philippe, tout au début. Et ça s’est transformé avec l’arrivée de Loup et Fanny.

Mais… Vous êtes encore à l’école, en fait ?

Lucas : Non… Moi ça fait… Je n’ai jamais fini…

Fanny : Moi oui…

Lucas : … Mais j’y suis passé {rire}.

Jean-Philippe : Moi j’y suis encore.

Ma question suivante recoupe ce que tu disais, Loup… Je crois que c’est sur votre page facebook… Vous citez des influences qu’en revanche – je pense – personne n’aurait soupçonné, pour Mesdames ! Il y a un compositeur de gamelan…

Loup : Ah oui… K.R.T. Wasitodiningrat {dit de mémoire !}.

Oui ! J’avais noté mais je ne l’aurais pas retenu… Des Maliens, des Touaregs… Maalem Mustapha Bakbou, Fadimoutou Wallet Inamoud…

Fanny : C’est Loup, qui a écrit les références, après !

Loup : Oui, c’est tout des trucs que j’ai mis dernièrement, en fait…

Ou Alain Peters… Autant j’y ai pensé en écoutant Bégayer…

Loup : Avec Bégayer, oui, oui oui…

… Oui, beaucoup plus. Et évidemment, à côté de ça vous citez – enfin, « évidemment »… – Gesualdo, Pergolèse, Purcell, Messiaen, Feldman… En fait voilà ! On n’a pas tellement… Enfin, beaucoup plus pour les derniers mais… On n’a pas l’impression que ce sont des influences « musicales » mais…

Fanny : Disons qu’elles n’en étaient peut-être pas à l’époque où on a composé ces morceaux mais… Que ça risque d’en être. C’en est de plus en plus dans nos têtes et… C’est des trucs qu’il a écrit il n’y a pas longtemps, sur facebook, je pense. Du coup… Le gamelan, notamment, on en parle beaucoup en ce moment et… C’est une musique qui nous parle vachement dans le fonctionnement. Pas forcément dans le son mais en tout cas dans le fonctionnement, comment ça marche… C’est à la fois très réglé ; et en même temps, il y a énormément de place à…

Loup : C’est élastique.

Fanny : C’est très élastique et voilà : ça nous pose questions.

Loup : Dans un sens… Il y en a peut-être déjà un petit peu les prémices dans ce qu’on a fait sur ce disque là mais… C’est peut-être une suite du travail qu’on pourrait avoir entamé sur… Par exemple les différentes strates de musique posées les unes sur les autres, avec deux instruments qui jouent en même temps en accélérant et les deux autres qui ralentissent ou qui… Cette espèce de boulot de différents groupes à l’intérieur du même, et qui créent une harmonie en étant complètement… En jouant en « contre » les uns des autres…

Mais pour le coup les harmonies… Enfin, je crois que ce n’est même pas possible de jouer les gammes sur… des instruments occidentaux.

Loup et Fanny : Ah non, non, oui, pas du tout…

Loup : Et justement, là on va travailler sur… Enfin… Là je suis en train de construire un instrument, on va s’en faire peut-être plusieurs. Et… Peut-être que du coup on va lâcher un peu les gammes tempérées, je ne sais pas trop…

Ah ! Oui, ça risque de changer complètement…

Fanny : Oui ! Oui, c’est possible. On ne sait pas trop, encore. On a envie d’essayer des choses.

Loup : Si ça se trouve ça ne sera pas du tout ça…On ne sait pas.

Vous ne savez pas où… Vous ne savez pas grand-chose en fait ! Vous ne savez pas ce que vous êtes, vous ne savez pas où vous allez… {Rires) !

Jean-Philippe : Ouais ouais, c’est ça…

C’est une philosophie ?

Loup : Mais… Après pour la question de toutes les influences, toutes ces musiques qu’on écoute… C’est tout à fait volontaire de citer toutes ces choses-là, qui n’ont rien à voir entre elles – enfin, à priori en tout cas, mais c’est au niveau de la forme qu’il y a quelque chose qui se transforme…

Oui, j’allais revenir là-dessus, tu m’avais dit que la question des formes musicales ne vous intéressaient pas, au fond.

Loup : Mais après, dans ce que ça peut raconter… Enfin, même pas ce que ça peut raconter… Ça ne veut pas dire « ce que le compositeur a voulu mettre dans cette musique »… C’est ce que nous, quand on la perçoit… Enfin, nous, toutes ces musiques là, on y trouve une vraie cohérence et ce qu’on va y chercher c’est toujours la même chose : c’est ce qu’on veut mettre dans la notre, derrière. Que j’aurais du mal à nommer, enfin…

Oui d’ailleurs… En dehors de Mesdames, vous avez tous beaucoup d’autres projets… Fanny, tu chantes dans Padashti Lista…

Fanny : Oui !

Qui est plutôt… Enfin, la forme des morceaux d’origine, pour le coup, n’a pas l’air tellement modifiée…

Fanny : Non ! On essaye de réinterpréter du répertoire, des chants des Balkans, beaucoup bulgares.

Tu joues aussi dans Aquila, qui est plus pop, je crois ?

Fanny : Qui est très pop, oui.

Loup, j’avais chroniqué les disques d’Oyohualli mais… C’est fini, tu m’avais dit ?

Loup : C’est fini depuis un petit moment, oui.

Tu es dans Bégayer, aussi, qu’on a entendu récemment au Grrrnd Zéro… Vous jouez tous les deux dans Daleko et dans l’Orme Blanc…

Fanny : L’Orme Blanc oui. Daleko, on a arrêté cet été. Et dans l’Orme Blanc il y a aussi Jean-Philippe qui est au vibraphone et aux percus.

Lucas, tu joues avec la chanteuse de Nue Sur Le Bitume ?

Lucas : Oui ! Clara Cahen.

Ce sont encore des choses qui n’ont à priori rien à voir entre elles…

Lucas : Exactement.

Et c’est… C’est difficile de vous suivre, en fait. Je suis sûr que j’en ai oublié… {Ils acquiescent à moitié, goguenards}. Enfin, quelle est l’idée ; derrière ça ? Est-ce que c’est à la fois une idée différente ? Une approche différente de la même idée ? … Est-ce que c’est pour ne pas vous enfermer dans une seule musique ? Ou pragmatiquement… Vous disiez que vous faisiez d’autres choses avant, est-ce que c’est une manière de ne faire tout le temps que de la musique ?

Fanny : Je pense que c’est un peu différent pour chacun de nous… Alors… Comment dire… Moi je n’ai pas la même approche du tout en fonction des groupes, je pense… Et j’aime bien cette chose-là de… D’essayer, dans une musique, et au service d’une musique – et surtout des gens avec qui je suis. De trouver un sens commun. Après il y a des groupes que je fais qui vont quand-même plus dans le même sens que d’autres. Mesdames, pour moi c’est un truc un peu à part. Après, l’idée c’est aussi de ne pas essayer de tout mettre dans un seul projet parce que… Au bout d’un moment ça ne ressemble plus à rien. Et… Du coup on a plein de rêves dans la tête, et plein de choses qu’on aime, qu’on trouve belles et… On essaye de les faire et… Moi je compartimente, un peu.

Et pas forcément tous ensemble ?

Fanny : Pas tous ensemble non, parce qu’il y a des choses que je ne ferais pas avec Lucas, puis… Il y a des choses que je fais avec Jean-Phi et Loup qu’on ne ferait pas dans Mesdames mais… On les fait ailleurs parce qu’il y a d’autres gens aussi et… On cherche autre chose… Ce n’est pas très clair. {Rire}

Loup : En fait… C’est hyper difficile de faire la part des choses entre… Le moment où tu es dans le projet à long terme, ce que tu veux faire de la musique, ce que tu veux dire dedans, ce que tu veux évoquer, là où c’est sensé aller, ce que c’est sensé re-questionner sur la forme… Faire la part des choses entre ce moment là qui est plutôt de l’ordre de la création, du truc qui est limite biographique, « je voudrais dire ça avec ma musique » et… Continuer un projet quoi. Et de l’autre côté il y a aussi les envies qui sont toutes simples et toutes bêtes, qui échappent complètement à un truc…

Théorisé ?

Loup : Oui, voilà, que tu pourrais… Il faut réussir… Il n’y pas vraiment de mix possible entre les deux. Entre se dire « je fais ça parce que c’est mon grand projet » et « je fais ça parce que j’en ai envie ». J’ai l’impression que ça se contamine un peu tout le temps et que du coup, ça ne te permettra pas d’écrire… On ne pourra pas écrire sur nous, sur wikipédia : « Ils ont fait ça parce que ça, parce que machin… » … Et ce n’est pas ça qui est important. On se laisse un peu faire ce qu’on a envie de faire. Peut-être qu’il y a un moment où ça prendra sens, et voilà. Pour l’instant…

Peut-être aussi un peu à cause de quelques discussions qu’on avait eues avant… J’ai cette impression, dans votre musique – et pas que sur le texte, finalement ; pour le texte, peut-être davantage sur d’autres projets, en fait {je pense en fait, à ce moment là, surtout à Bégayer, pour cet aspect plus « purement littéraire » de la question} –, voilà… Ça me ramène aux réflexions de Blanchot, que je lis un peu en ce moment. Cette idée que… Pour lui c’est la littérature mais pour votre musique ça marche aussi : elle approche toujours quelque chose mais elle est là par son absence, aussi. C’est impossible… Comme tu disais, Loup : c’est impossible d’évoquer, c’est impossible d’exprimer vraiment quelque chose. Et aussi… L’ouvrage – appelons ça l’ouvrage – est fermé sur lui-même, et… Il ne communique que parce qu’il a cette cohérence qui est impénétrable de l’extérieur… Est-ce que c’est quelque chose en quoi vous vous retrouvez ?

Loup : Oui, moi j’ai aussi lu un peu de Blanchot, pas énormément mais après… Moi ça me fait penser plutôt à… Je serais plutôt sur Jankelevitch. Il a la métaphore du papillon aussi, qui est avec une bougie, qui est attiré par la flamme. Et… S’il s’en rapproche trop il se brûle ; et s’il en reste trop loin, il n’arrive pas vraiment à déterminer ce que c’est que cette flamme, et à l’utiliser. Et du coup ça me fait penser à ce que tu disais, et à L’Écriture du Désastre, aussi, ce truc de… Tourner autours du pot mais… Mais c’est plus grave que ça, en fait. Parce que tourner « autours du pot » ça fait… Parce que ça brûle, quoi, ça fait mal. Et oui, enfin moi ça me parle vachement.

Et sur cette espèce de cohérence inexplicable de votre musique… Comme vous disiez tous, vous venez d’univers assez différents mais… Enfin, est-ce que vous théorisez comment ça va tenir ou pas du tout, est-ce que « ça vient comme ça » ?

Fanny : Ça vient comme ça… Mais, on en parlait tout à l’heure, ça…

Loup : Ça vient souvent d’un fou-rire, en fait.

Fanny : Oui, c’est ça… C’est souvent une connerie et puis… Après on se dit : « Ah, c'est pas tant une connerie, c’est même peut-être un peu triste », et puis… On tombe en général assez d’accord sur le sens que ça a et…

Loup : Oui, et même on n’en parle pas tant que ça en fait.

Fanny : Non…

Loup : On dit n’importe quoi tout le temps, on joue un peu n’importe comment, on… Sur des tournées on passe notre temps à… S’il y a matière à théoriser c’est après coup, en fait. Et même, ce n’est pas très important… Si, c’est important, mais seulement pour que ça ne devienne pas…

Fanny : … Juste une grosse blague.

Loup {en même temps que Fanny} : Pour que ce ne soit pas perçu juste comme une grosse blague, quoi. Parce que ça, ça nous ferait vraiment chier… Que ce soit juste « rigolo », quoi. En tout cas… Moi ça m’embêterait.

Mais même vos textes ne sont pas, enfin… Ne sont pas drôles, en fait !

Loup : Non, non…

J’en avais parlé dans ma chronique {de Mesdamus Werke Verzeichnis}… Ça tourne souvent autours de l’enfance – mais avec tout ce que ça a de cruel aussi… C’est super flippant, l’enfance ! Ça fait peur d’être un enfant, puis… Les enfants sont horribles, entre eux. Ça pareil… C’est une décision, cette thématique, ou c’est venu…

Fanny : Je ne sais pas, non… Après je trouve que même dans notre humour, quand on est ensemble, il y a ce truc là, un peu. Quelquefois un peu cruel, un peu moqueur, mais qui ne l’est pas vraiment non-plus parce que…

Vous vous aimez bien ?

Fanny : Ben oui, on s’aime bien {rires}. Mais il y a toujours une espèce de petit cynisme, alors qu’on ne l’est pas forcément non-plus, cyniques.

Loup : Oui, il y a toujours un… Humour du désespoir, aussi… Enfin, « désespoir » au sens « qui n’a pas besoin d’espoir », quoi. C’est juste… À partir du moment où tu as accepté des choses difficiles, cruelles, tu peux juste rire.

D’ailleurs même sur scène vous… On voit que vous vous faites des blagues. Toi {Loup} tu… « Tu empêches tout le monde de dormir »…

Fanny : Moi je SUBI les blagues !

Ah ! Tu n’en fais pas toi ?

Fanny : Non !

J’avais eu l’impression, la dernière fois que vous avez joué ici… Enfin, surtout toi, Loup, j’avais l’impression que tu prolongeais tes parties et qu’ils étaient tous là à guetter, « quand est-ce qu’il va repartir » ?

Loup : Ça, ça dépend vraiment des concerts, en plus… Ça c’est cool. Enfin, la musique laisse vachement de place à ça, à la manière dont on se sent un soir plutôt qu’un autre… J’ai le souvenir de concerts ultra-déconne, où on est mort de rire tout le long… Comme à Marseille, il n’y a pas longtemps, où on n’avait pas pris les setlists… Et du coup je passais la moitié des morceaux à disparaître pour allez les chercher, enfin… C’était n’importe quoi. Et à la fois, d’autres concerts où… Où on a, euh… Notre pote Alexis {Vinéïs}, le batteur de Bégayer, qui est un œil important pour nous, dans la pensée, dans plein de trucs… Il nous avait dit une fois, après un concert, que le côté blague l’avait emmerdé. Et du coup au concert d’après il était là et on était vraiment… Whhaaa !

Fanny : C’était triste, c’était violent, c’était dur, quoi.

C’était carré ?

Fanny : Pas carré, mais c’était SÉRIEUX. On était plus dans le côté… Mais c’était chouette parce que… Ça ne nous arrive pas tout le temps mais il y a ça aussi dedans, des fois…

Loup : Ce n’était pas pour rire…

Fanny : Et ce concert là on était vachement plus durs, plus tristes et…

Mais… Dans le rendu musical, aussi, ou seulement l’attitude ?

Fanny : Ben, dans le rendu je ne sais pas, je pense…

Loup : Oui, dans l’interprétation…

Fanny : On était moins dans… Dans le rire… Dans la blague.

C’était plus « Magma » ?

Loup : Non, pas Magma non-plus parce que ce n’était pas…

Ce n’était pas solennel ?

Loup : Oui voilà, ce n’était pas solennel du tout… Spirituel, solennel, pas de ça, quoi. Mais…

Lucas : Ça reste ridicule, quoi.

Loup : Oui, c’est ça mais… Le pathétique, en fait. Il y a un pathétique qui n’est vraiment pas drôle.

Oui qui est…

Loup : Qui est dur... Mais en fait, c’est drôle de se rendre compte qu’avec exactement les mêmes morceaux tu peux jouer complètement à l’opposé.

Mais… C’est bien en fait, vous anticipez toutes mes questions ! {Rires} J’ai l’impression… Enfin, c’est un peu logique, toutes les générations vont retomber sur les mêmes « problèmes »… J’ai l’impression que… Peut-être que vous tombez sur les mêmes choses que, disons, la première génération du free européen… Je pense en France à des gens comme Sclavis ou Texier, ou Portal… Mais qui eux étaient bloqués par une espèce de sérieux académique, dont en même temps ils essayaient de se défaire mais… Ils essayaient trop fort, je crois, parfois. Et ça pouvait donner une espèce d’autre dogme : « tu as fait deux notes qui sont dans la même gammes, ce n’est pas possible »…

Loup : Oui, la musique « non-idiomatique », l’espèce de délire, comme ça…

Et j’ai l’impression qu’aujourd’hui vous – et plein d’autres groupes, en fait –, vous arrivez avec peut-être des problématiques qui peuvent être les mêmes, enfin : « comment faire de la musique qui ne soit pas juste de l’écriture , une interprétation à la lettre de chaque morceau »… Mais vous avez une liberté qui n’existait pas avant. Est-ce qu’il y a un truc qui est « prêt », à votre avis, en ce moment ?… Après je ne sais pas si vous connaissez ces autres gens. Je pense à des groupes comme Chromb!, à Lyon, qui partent… Qui font des morceaux assez complexes, comme ça, avec eux une influence jazz assez marquée… Et oui, contrairement aux gens du prog, aussi, qui étaient très… Enfin, je déconnais sur Magma, tout à l’heure, cette espèce de Solennel, de truc spirituel – il fallait que ça raconte une histoire vachement sérieuse… Enfin à votre avis c’est quoi, c’est l’époque qui n’est pas la même ?

Loup : Hmm, moi , enfin… Je ne suis pas du tout partisan d’une historicité de la musique, des idées, des choses comme ça. J’ai l’impression qu’il y a un peu toujours les mêmes qui se retrouvent. Et... C’est vachement dur à dire. Nous, on n’a pas l’impression d’être pris à l’intérieur d’une problématique, d’un grand truc … Les autres groupes auxquels on nous compare… Souvent, on ne les écoute pas – enfin on n’a jamais écoutés leurs disques donc on ne sait pas en quoi ça peut se rejoindre… Il y en a, des fois… Ce n’est pas trop notre tasse de thé, si on les écoute… Chromb! je ne sais pas, je ne les ai pas encore écoutés. J’aime bien leurs pochettes de disques mais je ne les ai jamais écoutés. Mais ce n’est pas évident. En tout cas nous on ne se sent pas investis d’une mission pour faire avancer la recherche… On ne se sent pas dans la musique « expérimentale », tu vois.

Aussi… Cet été, j’avais parlé avec les gens de La Nóvia, je ne sais pas si vous connaissez, Yann Gourdon et compagnie…

Loup : Si… En fait cet été j’ai fait la première partie, avec Bégayer, à Grenoble, de… De France.

Ah ! Et oui, donc, je leur posais la même question, un peu, mais plus par rapport au mouvement folk des années soixante-dix… En fait leur réponse était toute con : c’était qu’eux n’avaient pas besoin de faire ça. Parce que le truc avait été cassé, et posé avant eux… Et ils arrivent plus en disant « on s’en tape de faire un truc qui soit permis ou pas », est-ce que c’est une approche qui vous est… Commune ?

Loup : Ouais, puis si on doit parler… Même en suivant une théorie de l’histoire ou quoi, nous on serait dans la postmodernité – qui est un endroit complètement paumé, où il n’y a plus vraiment d’histoire des idées et tout… Et du coup, c’est peut-être le moment de ne pas trop se poser la question. Et encore une fois si on parle en terme d’historicité, c’est après coup qu’on peut en sortir une sorte de tendance ou… Mais on ne sait jamais ce qu’on cherche au moment où on le cherche. On ne sait même pas si on cherche, des fois, au moment où on cherche, on…

Vous jouez ?

Loup : Ouais. Et c’est tant mieux.

Après… Cette histoire de « post », moi ça m’emmerde, assez souvent, parce que… Ça me ramène plus à la version « art contemporain » du truc, en tout cas d’un certain art contemporain, maintenant assez académique, dans le fond, où les gens souvent… Font du « post » exprès, « forcé » ; en disant « vous voyez, on ne peut plus rien faire »… Et j’ai l’impression qu’en musique ce n’est pas DU TOUT ce qui se passe, en ce moment.

Loup : Oui, justement ! En fait… Si tu lis Blanchot tu sais que tout s’oppose tout le temps et… Si on ne peut rien faire c’est qu’en fait on peut tout faire. Et je crois que c’est plus ça, qui est important. Passer son temps, enfin… C’est un problème de penser que la subversion serait de continuer à dire que tout est fini au lieu de commencer quelque chose. Et… Nous, je n’ai pas l’impression qu’on mette dans notre musique l’idée qu’on est APRÈS l’histoire, au contraire, on commence. Et ça fait quatre ans qu’on est ensemble, et on a toujours l’impression d’être un jeune groupe qui commence. À chaque disque c’est un nouveau truc… Ce serait peut-être ça l’idée : commencer tout le temps.

La différence que je vois avec d’autres générations, aussi, c’est… Il y en a eux parmi ceux-là – certains du free, des proggeux – qui se prenaient vachement au sérieux mais… ça ne veut pas dire que vous, vous ne faites pas votre musique sérieusement… J’ai l’impression que le sérieux est déplacé ailleurs. Pas dans une approche « qu’est ce qu’on DOIT faire ? ».

Fanny : Ben… On ne se sent pas investis d’une mission, encore une fois… Après on cherche à faire sérieusement quelque chose qui nous parle vraiment et…

{À ce moment de la conversation, Loup reçoit un message sur son téléphone, qui interrompt le fil… Il lui faut partir pour aller accueillir une amie venue voir le concert, il me semble… Un peu décontenancé par cette rupture du flot, je saisi la suggestion d’un de ceux qui restent – « on peut parler cuisine plutôt, si tu veux ? »… C’est en quelque sorte là-dessus – c’est à dire sur des question plus pragmatiques, techniques… « de cuisine », donc – que j’embraye, que je tente de reprendre}.

Et donc… Vos morceaux ne sont pas vraiment fixes ?

Fanny : Il y a quand-même une bonne trame, après… Ça dépend pour qui. Jean-phi et Loup on tendance à modifier beaucoup leurs parties… En fait à… À se réveiller un peu à l’écoute. Après il y a une grosse partie fixée, une bonne structure. Bon, Loup improvise pas mal ses textes, quand-même… Disons que la forme permet d’étirer ou de raccourcir mais il y a quand-même une bonne base écrite.

Est-ce que tu interviens d’ailleurs toi, dans les textes ? Tu me parlais d’écriture, tout à l’heure…

Fanny : Non, dans Mesdames c’est surtout Loup. Moi je ne maîtrise pas du tout l’anglais. Il y a eu un texte, qu’on ne fait plus, que j’ai écrit – en français, que Loup avait traduit… Mais très peu. J’ai une forme d’écriture, je pense, qui convient moins à la musique qu’on fait. Qui est une forme chanson, même si c’est une forme de chanson que j’essaye de chercher un peu différente.

D’ailleurs pourquoi l’anglais pour Mesdames, alors que dans vos autres projets… C’est souvent en français ?

Fanny : Je ne sais pas… Ça allait dans le sens de la musique. On a fait, je crois, un seul morceau en français, au tout début. Qu’on n'a pas enregistré et que… Je pense qu’aujourd’hui on le renie un peu. Enfin… On a essayé parce qu’après on est quand-même vachement attachés aux mots, on écrit beaucoup tous les deux, on lit beaucoup, mais… Ça n’avait pas tellement de sens dans cette musique là. Il y avait un truc, je pense trop… Top direct. Comme ça, en français, ça me gênait. De sortir un discours, j’avais l’impression trop… Trop clair, quoi. Alors qu’en anglais… Peut-être parce que moi je comprends moins la langue, que ça me permet de mettre une distance et de laisser un peu…

C’est marrant, ça rejoint ce qu’on disait sur le « cacher pour dire plus »…

Fanny : Ouais… Ouais, ouais.

Aussi, pour revenir à des questions techniques… Sur les deux disque, on reconnaît très bien la musique – de l’un sur l’autre, je veux dire –, mais… Il y a une différence de son qui est super frappante. Pour le dernier, le son est beaucoup plus brut. Même, par moments ça sature dans tous les sens… Anyone Else, par exemple… J’écoutais ça chez moi, l’autre jour… Un pote passe, qui avait écouté le premier album, et qui l’aime beaucoup… Il arrive à ce moment là, il entend ça et me dit : « C’est quoi ce truc garage dégueu que tu as mis ?! ». Elle vient d’où, cette différence ?

Fanny : Eh bien… Quand on a fait le premier, je crois que c’était le premier qu’on enregistrait – tous, hein… Avec nos autres groupes, on n’avait jamais enregistré. Et… On a enregistré dans un studio d’un pote de pote. On avait envie d’un truc assez crade, déjà, sauf qu’on ne savait pas… On avait peur de mal faire. On a essayé de tout faire bien. Donc… On ne pouvait pas faire du crade en faisant tout bien. Et… On a essayé de salir tout ça au mix mais forcément ça ne marchait pas, c’était trop tard. Et puis après… Voilà, la musique aussi… On n’était pas encore sûrs de nous, on cherchait pas mal, quoi… Sur le dernier on a enregistré nous-mêmes – enfin, c’est Loup qui a fait la prise de son, avec un pote qui est venu aider, Fred. On a enregistré ça dans un local de répète, avec quatre micros. À la base on se demandait si on n’enregistrerait pas avec le micro du Mac. Enfin… Parce qu’on faisait ça en répèt’ et on trouvait ça cool. Voilà, on s’est dit que si on voulait un truc crade il faut vraiment y aller à la source et faire ça.

Pour vous ça va de soi que le son de votre musique doit être celui-là ?

Fanny : En tout cas il nous plaît… Comme ça a été fait cette fois, ça me parle vachement plus.

Jean-Philippe : On ne se verrait pas trop produits, en fait.

Après… Le premier avait quand-même un son relativement dépouillé… Il était plus propre, quoi, mais…

Jean-Philippe : Il était plus propre, oui… Pour celui-là on s’est dit : « On va y aller plus profondément ».

C’est marrant il n’y a pas que vous, visiblement, qui… Lundi dernier, j’ai interviewé Radikal Satan…

Fanny : Ah ! Ah oui, je voulais venir mais je ne pouvais pas…

Ils me disaient que leur prochain disque n’était pas encore sorti parce que… Il est enregistré en numérique et ils trouvaient ça trop propre. Du coup ils ont « écrasé » ça sur quatre pistes pour avoir le son le plus dégueulasse possible…

{L’heure « officielle » pour l’ouverture de la Triperie – celle indiquée sur le flyer – est arrivée… Sur la bande, la voix d’Anouck, co-organisatrice de la soirée, qui reçoit les premiers spectateurs, leur indique où trouver la nourriture vegan à prix libre, que le vin bio n’est apparemment pas super mais que l’autre est bon. La musique de fond – soul, jazz rock… chers au tenancier – s’y mêle, quelques conversations, un début de brouhaha, assez vite}.

Bon, je crois qu’on arrive au bout… Des sorties prévues, de vos différents projets ? 11 Songs sort en vinyle… Aujourd’hui, je crois ?

Fanny : Oui, en gros, on l’a reçu il y a… Deux semaines.

D’ailleurs Loup m’avait dit que ce ne serait pas complètement le même mix que sur la version CD ?

Fanny : Non, il a dû refaire le mix pour le vinyle… Parce qu’il y était allé un peu comme un bourrin sur le mix du CD et que tu ne peux pas te permettre autant de choses… Ça risquait de sauter tout le temps… Il est un peu plus propre à priori sur le vinyle que sur le CD, sauf qu’un vinyle, quand-même, ça sonne plus crade qu’un CD… Du coup ça se compense.

Et pour vos autres projets ?

Fanny : Oui, l’Orme Blanc… On va sortir un CD début novembre.

Autoproduit ?

Fanny : Oui… Sauf le master. Sinon on a tout fait tous seuls, enregistré dans un appart’, Loup à fait le mix, j’ai fait le visuel… Et on a fait masteriser par Goetz-Michael Rieth, qui a fait beaucoup de mastering pour Le Saule, à Paris, un label de chanson… Mais de chanson bien nouvelle, qui cherche beaucoup, avec notamment Léonore Boulanger, qu’on a fait venir jouer ici, à Chambéry et à Grenoble, et puis aussi Antoine Loyer, Jean-Daniel Botta, enfin… Plein de gens qui sont très, très intéressants.

Ça vous intéresserait de tourner avec eux ?

Fanny : Oui après… Eux ont tendance à préférer la musique de Bégayer à celle qu’on fait avec L’Orme Blanc… Mais on s’est très bien entendu, il y a des choses qui se feront, sûrement. Enfin, on ne les connaît pas encore beaucoup.

Vous aviez l’air de dire que vous aviez du mal parfois à trouver des groupes avec qui tourner, qui soient proches…



Fanny : Oui, parce que les groupes qu’on aime, en général, ne sont pas forcément dans la musique qu’on fait. Il y a beaucoup de groupes qu’on aime beaucoup… Bon, il y a beaucoup de groupes qu’on n'aime pas parce qu’on est un peu chiants, aussi… Mais il y a beaucoup de groupes qu’on aime beaucoup. Après on ne se dit pas que ça a vraiment de sens avec Mesdames, par exemple.

{On « sonne » – c’est à dire, encore, que la lumière s’éclaire, à l’entrée, qui indique que quelqu’un a appuyé, à l’extérieur… C’est Fanny elle-même qui va ouvrir… Quand elle revient, je me dis qu’il est temps de laisser les musiciens entre eux, se concentrer, se préparer pour leur concert}.

Eh bien… Merci. Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Jean-Philippe : Merci de vous intéresser à nous… C’est déjà beaucoup.

CONCERTS :

On s’intéresse, oui, pour le moins… Pour l’heure, je me mêle à ceux qui petit à petit sont arrivés. Je retrouve les potes. D’autres arrivent. Des connaissances. Ça se remplit. On nous dit que ça ne va pas tarder. L’interview finie, je me sens dispo, prêt à l’encaisser, la musique. Vu ce qu’ils avaient envoyé, déjà, pendant les balances, je m’en réjouis d’avance…

… Et le moment venu, ça ne manque pas ! Ça louvoie en ayant l’air de rebondir. Ça passe entre nous quand on croyait que ça sautait par dessus nous. Plein fouet, d’un coup ! Blam ! Ils sont en forme… Au bout d’un morceau, Guillaume – d’Odessey and Oracle, groupe local dont on vous touche mot pas loin d’ici ; et qui ce soir là s’occupe du son – dit à Jean-Philippe une phrase du style « Euh… Ils disent qu’on t’entend plus fort que tous les autres ». C’est le seul instrument pas repris dans la sono, pourtant, sa batterie, les autres sont amplifiés. Il avait accroché, pendant les balances, une sorte de petit gong, une cymbale, en cherchant un moment où la fixer, sur l’ensemble des percussions, la machine. Je la guette presque avec méfiance – une méfiance amusée ; ça existe parfois, c’est rare… par grâce de ces choses là qui se passent à nos soirs – je voudrais l’anticiper, comme un signal, un déclencheur. Il s’en servira peu. C’est vrai qu’il fracasse, spécialement, là… Tout en brisées, reprises faites pour piéger, on dirait, ses camarades. Soubresauts acrobates… Il faut suivre, alors tout le monde pousse le volume de quelques crans. Dans la salle, tout le monde ne semble pas trouver ça drôle. Il y en a qui – j’exagère à peine – ont l’air presque horrifiés… Parce que c’est FORT ! Ça cingle, c’est sûr, quand on était venu seulement pour de la pop… Ça viendra. Loup, pour l’instant, triture encore plus que celle d’avant les passages parlés, sur les morceaux. Il invente, oui, me disait Fanny. C’est sensible, maintenant. Certains, qui étaient juste devant, reculent. Bouchons ou pas. J’y reste. Il y a toujours un moment où ils reprennent, ensemble. Concordances, unissons, convergences éclatées. Peu de mots, entre les morceaux. Des regards. Des rires… On danse – ceux qui ne se sont pas réfugiés au bar, dans l’autre pièce. Comme on peut. Attentifs, parce que oui, encore, c’est cassé, c’est prompt, c’est joueur… Assez tôt, Loup pète une touche de son clavier. Ça perturbe. Comme ça, on est… Combien, au fait ? Je ne sais pas… Je ne compte jamais les têtes. Il y en a là, aussi, de bien réjouies, sourires, écarquillées. On reste comme ça quand ça finit. C’était court, puissant, toujours autant frais et ravageur. On fait une pause, autre goulée de rue.

De retour à l’intérieur, il fait bon. On a laissé les corps se poser, après l’agitation. Il y a du monde, je crois qu’encore d’autres sont arrivés. Je suis un peu loin de la scène quand Rozi Plain commence à jouer… Il faut que je m’approche. Ça me va, une fois devant je me dis que j’ai bien fait…

… Et c’est un beau contraste, avec ce qui avait précédé. Car l’Anglaise et son groupe – elle, basée à Londres et grandie ailleurs ; tous les autres membres habitant Bristol, nous avait-elle dit – jouent tout en douceur. C’est ravissant – mais dans sens du mot qui exclue toute nuance de bêtement-mignon, d’abêtissant doudou. Non, c’est… Caressant. Chaleureux, aussi. Certains – je ne dirai pas les noms – me diront plus tard avoir trouvé le concert un peu mou… Pour moi non. Tout est touché avec tendresse – cymbales au mailloches, amorties, basse ronde, glissante, attaques jamais frappées… Et cette claviériste si juste, qui ne joue que quelques timbres souvent flottants, parfois brefs, lumières passantes qui soulignent, révèlent les détails des compositions. Et Rozi, au chant et à la guitare. Jeu simple mais ferme ; assuré mais qui se joue, lui aussi, de la gravité. Une voix lumineuse… Douce, oui, donc. Claire, encore. Presque enfantine, dans son placement aigu, curieux, pas du tout aigre malgré cette hauteur, pas fausset. Mélodies gracieuses. On est tout apaisé. Pas engourdi, pourtant. J’ai pensé, un peu, à Yo La Tengo – sur leurs disques les plus intimes et sans malaise larvés… Sur Summer Sun, spécialement. À Stereolab, curieusement, pour certaines teintes trompeusement en à-plats, en fait pleines de reflets, d’irisations, de nuances. Enfin… J’y pense après, surtout, comme par réminiscence. Dans l’instant, j’ai surtout, seulement, pleinement écouté. Je songe un peu – quand elle joue seule ou presque – aux Young Marble Giants. La tristesse moins en avant, cependant, et la jeunesse pas en excuse pour une mélancolie… Il n’est pas mauvais, parfois, aussi, de s’exposer à telle rayonnante bienveillance.

Dehors, je retrouve les potes, amis, des sympathies. On discute un moment avec le bassiste du groupe. Il nous explique que parfois – quand le budget le permet – il y a un guitariste de plus. Que ce soir, pour cette configuration plus minimale, ça sonnait exceptionnellement bien, plein, rond. Il semble qu’eux aussi – une autre personne présente ce soir me dira plus tard que pour la plupart des gens présents ça n’aura pas été le cas ; que pour beaucoup, ils auront apprécié, grandement, l’un des groupe et… détesté l’autres ; ceci dans les deux sens possibles – aient aimé ce contraste : l’excitation, la folle embardée de Mesdames, d’abord ; l'enveloppement de Rozi, ensuite, baume confortant, mieux qu’une consolation.

Un à un les autres partent. Je retourne à l’intérieur, les au-revoir échangés. Je m’assieds, à un moment, à côté de Rozi, tiens. On discute. Ça la fait rire – et Dean, aussi, un Anglais de Lyon, autre co-organisateur de la soirée – quand je parle de Skegness, bled du Lincolnshire, station balnéaire, foraine, par où j’étais passé, collégien en vadrouille… « The word itself is funny ». « Are you a friend of Mesdames ? ». J’explique que j’étais venu aussi pour les interviewer, d’où ma présence bien plus tôt. « What’s the name of the website ? ... Guts of Darkness ?! ». Anouck plaisante un peu sur le fait que je l’ai pas interviewée, elle, Rozi… « Tu n’es pas dans la cible, le lectorat »… Je retrouve un moment Mesdames. Eux aussi, ont aimé le rien-à-voir, entre leur prestation et celle d’après. Derniers papotages. Je commence à fatiguer. On est tous – il faut le dire, l’heure est avancée, maintenant – quelque peu éméchés, sans doute. Derniers à-la-revoyure. Je sors.

Dehors, je recroise Rozi. Encore quelques mots. Tiens… Je croyais bien que les Anglaises ne faisaient pas volontiers la bise… Il faut croire qu’elle non-plus ne croit pas toutes les légendes.

Je rentre à pieds, cette fois, pas de chute à vélov’. Il n’y a toujours personne, à ces heures, dans les rues de mon quartier, passée la grande voie pavée (et encore). Pas d’épuisement, seulement un bon glissement vers mon lit, un peu de sommeil. Le lendemain, je dois me lever pas trop tard. Ça va tirer un peu. Allez… « ça se mérite ». Ça le vaut. Il y a des journées mornes, d’agitation vague, qui finissent en joie calme, avant de faire le noir.

Interview réalisée le mardi 13 novembre 2015 à la Triperie, Lyon 1er.

Mots clés : Mesdames, Lyon, Chambéry, Excitation, Improvisation, Pop, Angleterre, Batterie, Littérature, Enfance, Clavier Cassé, Chanson, Jeu, 11 Songs, Production Crade, Raw, Amour et Baston

Dernière mise à jour du document : lundi 14 novembre 2016