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OPERA MORT - Interview avec Jo et El-g

par VL › lundi 16 avril 2012


Style(s) : indus / noise

Pour faire connaissance, rien de tel que la bonne question de base des familles. Pouvez-vous nous présenter la genèse d'Opéra Mort : qui en sont les membres, quelle en est la raison d'être ?

J+L : Opéra Mort = Laurent a.k.a él-g + Jo a.k.a Fusiller a.k.a Tanzprocesz überboss a.k.a 1/2 Placenta Popeye. Opéra Mort est né il y a un peu plus de trois ans du corps encore chaud de Reines d'Angleterre (Reines d'Angleterre = Opéra Mort + Ghédalia Tazartès). On s’est connus au lycée à Metz. Reines d’Angleterre/Opéra Mort sont nés des années plus tard quand on s'est retrouvé simultanément sur Paris. On arrivait à saturation niveau instrumentarium rock (basse, guitare, batterie etc.) au même moment. Le fait de lancer Reines d'Angleterre a sans aucun doute un peu précipité les choses. En fait, nous devions jouer un soir à la radio en tant que Reines d’Angleterre mais Ghédalia ne pouvait pas être présent. Nous avons donc joué en duo, une musique très différente du trio, plus macabre, tentaculaire et électronique. Le résultat sonore de cette première en duo, doublé du fait que l’on n’avait aucune envie d’embarquer Ghédalia dans des concerts de caves payés à coups de bières tièdes, nous a incités à continuer les enregistrements tous les deux. Puis vint le nom du groupe dans la foulée.

Votre musique échappe – et c'est heureux – à toute forme de classification. Un certain nombre de qualificatifs sont généralement employés pour la décrire : âpre, abrasive, répétitive, psychédélique, free, tordue, improvisée, etc. On peut aisément imaginer que ce son s'est nourri d'influences très diverses. Je me trompe ?

J+L : L'évolution du son dans Opéra Mort est comme une créature en mutation constante. Les musiques dont on s'inspire, qu'on tord, absorbe, avale, digère, recrache, sont d'origines très diverses. C'est juste le flot de nos deux vies d'auditeurs qui est constamment filtré et réinterprété dans notre laboratoire. Mais on n'a jamais eu envie de faire des trucs "à la", même si évidemment, quand on nous connaît, on peut sentir ou identifier les influences.

Parmi ces influences, avez-vous un livre/disque/film notable à nous conseiller ?

L : « Dictionnaire des fantasmes et perversions » (Bibliothèque Blanche) / Le coffret doré à l'or fin de mes 50 albums préférés (emballage angora / poignées en cuir) / « Le fantôme de la liberté » (encore et toujours)

J : Faulkner « Le bruit et la fureur » / Paul DeMarinis « Music as a second language » / Bob Clark « Black Christmas »

Sur scène, l'improvisation apparaît totale, au cœur de votre processus créatif. Vous donnez l'impression d'être dans votre trip chacun de votre côté, comme si l'accident heureux de la rencontre n'était pas si important. Il s'en dégage une base introspective extrêmement forte, qui rend à mon sens votre musique tout-à-fait captivante. Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle de l'improvisation dans votre praxis ?

J+L : Improvisation totale. Après on connaît nos machines et, pour les lives, on se met souvent d’accord sur un son de départ, mais ensuite c’est libre. Malgré les apparences, on n’est pas dans notre trip comme des autistes, on est en fait à l'écoute en permanence, concentrés, rivés sur le son dans son ensemble et ses moindres détails. On ne se regarde jamais, communique rarement verbalement, c'est le son qui crée le lien entre nous. On s’écoute c’est tout. L'improvisation est toujours là dans l'enregistrement et dans les live. Notre travail en amont se fait dans le choix des ingrédients mais jamais dans une recette pré-déterminée, cela se décide toujours sur le moment. Peut-être qu’à l’avenir on pourra avoir des feuilles de route mais pour l’instant on reste dans le domaine de l’improvisation, ce qui nous oblige à rester en vie et à ne pas rentrer dans le petit train-train des concerts, du style « je joue ce que je sais faire et puis basta ». Évidemment, on retrouve des fragments, des choses familières mais parfois la musique d'un concert à l'autre est si différente dans son évolution, son explosion ou justement son implosion qu'on peut avoir des réactions du public un peu coriaces, et c'est très bien.



Justement, en parlant de réaction du public, qu'en attendez-vous ? Certaines de vos performances sont assez bruyantes, d'autres amènent assez naturellement à la transe ; vous êtes plutôt dans l'optique d'amener le public à l'abandon ou au contraire de provoquer une opposition, une réaction ?

L : Abandon, transe, danses brouillonnes, mur de représentants cybergoth, pulsions variées, sensualité triste, comparaison de notre musique avec des groupes du passé ancestral, ennui, amour, rejet, remboursement de ticket, achat compulsif de merchandising.

J : Pour résumer : du fait que l’on n’a aucun scénario pré-écrit, nous n’avons aucune attente précise concernant les réactions. Les concerts vont là où on le sent en fonction de l’ambiance, de notre humeur, notre énergie, notre état. En gros, ça passe ou ça casse.

En termes de matériel, je n'ai aperçu ni laptop, ni modulaire onéreux : juste des appareils somme toute bon marché (pédales, synthés grand public, etc). Simple raison budgétaire, ou bien cela fait-il partie de votre démarche, comme par exemple utiliser la contrainte comme stimulation créative ?

L : En ce qui me concerne, il y a toujours une contrainte budgétaire, tant mieux, ce qui ne m'empêche pas de rechercher ces instruments pour leur son et leurs fonctionnalités propres. En plus, le fait de manipuler tous ces petits modules autonomes m'aide vraiment visuellement en concert, parce que je trouve leur utilisation plus spontanée et intuitive, plutôt que d'avoir un seul gros synthé ou un laptop avec Live ou Reaper. Ça n'exclut pas la possibilité, un jour, que j'en un utilise un en concert (ce que je fais déja pour la prod et le mix) mais il faudrait que les contrôleurs midi bons marchés évoluent dans un sens vraiment surprenant. Par exemple, piloter le son avec les influx nerveux ou le souffle m'exciterait pas mal.

J : Pour ma part pas de laptop, parce que j’ai beaucoup de mal à faire de la musique avec une souris ou un touchpad. Je n’ai aucune envie de claquer des sommes astronomiques pour un modulaire ultra-performant, soit, mais que j’aurais certainement des scrupules à maltraiter du fait que celui-ci est justement onéreux et extrêmement précis. De plus, j’ai récemment découvert l’électronique et mon côté nerd a pris le pouvoir. Donc, maintenant, j’ai un fer à souder, des résistances et je tente de fabriquer mes propres machines sonores dans mon coin, à coup d’expérimentation et de tentatives plus ou moins heureuses. De la même manière au début d’OM, j’utilisais quasiment uniquement un pédalier bouclé sur lui-même. Une fois que j’ai senti que j’avais épuisé les ressources de ce dispositif, je me suis dit qu’il fallait passer à autre chose. En fait, je me rends compte que j’ai toujours eu cet esprit de contrainte afin d’éviter de me disperser et m’obliger à tirer un maximum de sonorités de ce que j’ai entre les mains à un moment donné. Sans que ce soit pour autant une démarche pensée, théorisée ou imposée.

J+L : Un dernier point important concernant Opéra Mort depuis le départ c’est qu’il y a une condition sine qua non : la totale désynchronisation de tempo entre nous. On peut chacun de notre côté avoir harmonisé nos machines mais la transe d'ensemble viendra toujours d'une sorte de déséquilibre permanent, comme si on se tenait la main sur un glissement de terrain sans fin. Quelque chose à la fois bancal et vivant.

L'évolution entre «Le tour de l'oubli» (2009) et «Des machines dans les yeux» (2011) est très notable, qu'il s'agisse des structures, des sons, des superpositions. Ce dernier LP semble avoir trouvé un équilibre entre construction et improvisation, permettant aux ambiances de s'exprimer plus naturellement. C'est une évolution que vous recherchez ?

J+L : Elle s'impose d'elle-même, nos vies et notre curiosité évoluent donc la musique suit. On habite des villes différentes, on ne peut donc pas se voir très souvent. Par conséquent, c'est surtout l'évolution de notre musique en solo qui détermine les nouvelles approches dans le son d'Opéra Mort , tout en essayant de conserver une identité propre au groupe, c’est-à-dire en évitant de reproduire les schémas que l’on utilise en solo. On travaille sur un prochain disque qui, d'une certaine manière, reprend vraiment là ou l'autre s'arrête, dans le coton.

Votre travail est essentiellement basé sur des manipulations électroniques et des déformations de voix. Imaginez-vous étendre le champ de vos sources sonores aux instruments acoustiques, à des sons concrets ?

L : On a dû utiliser une fois un tambourin dans un enregistrement mais c'est vrai qu'on essaye de pousser un maximum nos instruments électroniques dans leurs derniers retranchements. Maintenant que Jo fabrique ses propres synthés, ça ouvre encore plus le champ des possibles à ce niveau-là. Je suis de toute façon convaincu qu'il y a autant de chair et d'âme dans un son électronique que dans un son acoustique.

J : Mais dans l’absolu, on n’a rien contre le fait d’avoir différents types de sources sonores, après il faut juste que ça reste cohérent à nos oreilles. Pour l’instant, ce n'est pas au programme, mais on n’a pas signé de clause morale nous interdisant ce genre de choses.

Vous avez le chic pour pondre des titres pour le moins déroutants ; ça relève de l'écriture automatique, ou bien y a-t-il un but recherché, un alignement particulier avec la musique ?

J + L : Ça relève de brainstormings haletants qui nous permettent d’exclure les titres les plus honteux. Ensuite, il faut d’abord dire un grand merci à JF Pichard qui est un peu notre Peter Sinfield des titres. Enfin, merci à l'alcool.

Si vous vous trouviez en situation d'impunité totale, qu'auriez-vous envie de faire aux gars de Scorpion Violente ?

J + L : Les obliger à faire une bonne partie de Docteur Maboul en buvant du Fanta.

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Dernière mise à jour du document : mardi 1 octobre 2013

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