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☉ - L'Effondras aux Passagers du Zinc (Besançon) - Interview et live report

par Dioneo › mardi 14 décembre 2021


Style(s) : folk / rock / rock alternatif / post rock

On se demandait quand ça s'arrêterait... Ce « RIEN » persistant au niveau des concerts, de la vie dans les caves. On appelait ça de nos vœux, pas éteints – attisés plutôt, l'abattement premier passé, la routine commençant à gêner vraiment trop aux entournures, de cet à-l'ouest-rien-de-nouveau. A l'ouest et partout ailleurs, d'ailleurs, à en croire les nouvelles lues, entendues (moins fraîches que ressassées) d'à peu près n'importe où dans le monde. R.A.S., R.A.S., R.A.S. … Comme un non-recevoir – un non-signal brouillé émis en continu. Bon... Puis à vrai dire, l'été venant, on avait commencé à percevoir quelques éclats furtifs, pourtant. Des sorties de résidences à défaut de concerts appelés techniquement, légalement comme ça - les groupes pas morts avaient continué d'enregistrer des choses. Quelques fêtes d'anniversaires un peu grosses, en juillet/août, avec des adhésions associatives en guise de cartes. L'envie de bouger nous avait pris – nous avait rappelée qu'elle ne nous lâchait pas. Quelques dates avaient suivies, les potes et d'autres qui jouaient en plein air – avec ou sans stands de brasseurs en agréments ou en prétextes. Nous – avec la Compagnonne – on avait changé de ville, aussi, filé plus à l'Est (… du nouveau ?) pour nous y installer un moment. Nouvelle ville – Besançon. Autre lumière. Les rues en pierres bleues et jaunes, le ciel parfois chargé mais toujours visible, autrement qu'en couloirs étroits au-dessus des bâtiments. Un ciel moins clos, brume ou pas sur les collines – de l'inédit, pour moi le Lyonnais passé aussi longuement par Paris. On... Respire. Et puis voilà, un jour on voit ça : L'Effondras – de Lyon, justement, en partie, de l'Ain, aussi – qui jouent aux Passagers du Zinc. Un lieu connu par les gens d'ici, à mi-pente dans le quartier Battant, au-dessus du Doubs – par nombre de groupes d'un peu partout en France (et en Suisse ?), aussi, de celles et ceux qui ont eu l'occasion de passer dans le coin au hasard plus ou moins maîtrisé d'une tournée ou d'une autre. Un bar au rez de chaussée. Un capot de DS – la vieille caisse de chez Citroën, oui – qui s'ouvre sur la salle, en bas. L'Effondras... Justement, on voulait se parler – mutuellement. Justement, je m'étais « remis » à leur musique, un nouvel album étant sorti – du « nulle-part » dont on causait plus haut – en mai de cette année. Écouté, vite, ici. Et puis le reste, en remontant le fil des disques et des années. Et puis encore, après, dans le sens usuel du défilement... En deux trois messages, on a pris rendez-vous. On y serait... Le soir dit, la porte passée, Méghane, la tenancière, me dit du bar : « ils sont en terrasse ». Elle m'y guide, on prend pied, on bavarde un instant. Un type s'arrête pour nous parler – de l'observance des interdits, de ce qu'il mange, ce qu'il boit, ce qu'il fume. Il prend congé – une bonne demie-douzaine de fois, en s'éloignant chaque fois d'un ou deux pas. Pas très centré... C'est vivant, Battant. C'est passant, aussi, cette rue, question bagnoles. On se met d'accord pour « faire ça plutôt à l'intérieur »...

Et nous voilà, attablés. Pierre Lejeune – guitariste ; Raoul Vignal – guitariste lui aussi ; et Nicolas Bernollin – batteur. L'Effondras... Salut. Ce soir – 30 septembre 2021 – on est donc aux PDZ. La première date d’une tourné de dix. Demain vous jouez au Sonic, à Lyon – c'est complet, déjà. Et puis ensuite un peu partout entre Lille et Marseille. Ça vous a manqué, tout ça ?

Tous  : Oui !

Pierre : Sachant que la dernière tournée, ça date de deux-mille… Dix-huit... Dix-neuf ?

Nicolas : C’est tellement vieux, je ne sais même plus !

Raoul : On a fait des dates en 2019 mais les grosses tournées c’était 2018.

N : On a enregistré en août 2019, l’album, et on avait fait des dates en juin 2019.

Vous avez juste eu le temps de faire quelques dates et...

N : On aurait dû sortir l’album en mai 2020, normalement, et en fait… Bah il est sorti en mai 2021.

Un an de décalage… Vous avez fait quoi pendant tout ce temps là ? Vous avez pu travailler ?

R : Ben on n'a pas tellement bossé avec le groupe…

P : Moi je suis parti dans le Jura, j’ai bossé dans les vignes.

Dans le vin d’Arbois du coup ?

P : Le vin d’Arbois, absolument.

N : En fait au début du confinement, il y a des labels qui se sont désistés. On avait quatre labels, à la base… Puis avec le confinement ça a été compliqué pour tout le secteur culturel – et deux labels se sont désistés. Ça a été un peu un coup dur pour nous. Notre tourneur, aussi, nous a lâchés, à ce moment là, donc c’était un peu une période de merde et en fait – ben, j’ai pas mal bûché pour retrouver des labels, un tourneur, puis préparer la sortie malgré tout, même si on était complètement dans le flou à l’époque. J’ai pas mal bûché là-dessus, pour retrouver des contacts, tout ça. Mais en terme de compos, non, on n’a pas vraiment composé, on attendait de pouvoir tourner.

P : Oui, on n’a pas joué pendant un an donc…

Parce que je sais… Bon, toi Raoul tu sors des disques sous ton propre nom. Nico, je sais que tu joue dans Ni, dans d’autres groupes, j’imagine aussi… PinioL ?

N : Ah PinioL j’ai arrêté mais oui, à une époque oui.

Enfin bon, j’imagine que pour tous vos groupes c’était pareil : ARRÊTÉS.

N : Oui, oui. C’était tout en standby. Ni, on a continué à composer un peu mais bon… Parce qu’on était en période de compo. L’Effondras on était vraiment en période de TOUR ! On aurait dû TOURNER. C’était mauvais timing.

Vous avez toujours été trois, du départ, si je ne me trompe pas. Toujours deux guitares et une batterie. Au départ ce n’était pas toi, Raoul c’était un AUTRE Pierre {Pierre Josserand, ndr} à l’une des guitares… Est-ce que ce format de trio, c’est nécessaire et idéal à la musique que vous jouez ?

P : Euh… Oui. En fait, on a pensé plusieurs fois à intégrer d’autres musiciens, intégrer d’autres choses mais on est quand-même très attaché à la formule trio. Il y a une synergie en trio qui ne se passe plus à quatre ou cinq.

N : Oui je suis d’accord, oui. D’expérience avec Ni on a toujours été quatre mais c’est vrai qu’avoir un trio, là c’est…

P : Il y a une forme d’équilibre qu’on commence à perdre à quatre j’ai l’impression. Je ne saurais pas trop comment l’expliquer mais…

N : Ce n’est pas que tu perds, c’est que l’alchimie est différente. ça crées d’autres choses mais…

P : Oui voilà ; ça crée d’autres choses.

Vous avez eu un invité sur au moins un EP {Je Reste Avec Vous/Lemures, sorti 2015}, Niko Wenner d’Oxbow.

P : Oui, il est là aussi sur le premier LP. Il joue un peu de piano sur le premier LP et il est revenu avec une compo – enfin, quelques accords, une ébauche – qu’on a placé sur l’EP.

N : En fait quand on l’a rencontré, il a ramené ce début de morceau, qu’il avait lui. Nous on avait une ébauche d’un morceau à nous, qu’on n’avait pas vraiment fini non-plus. Il a joué sur l’album, et ensuite, on avait ces deux ébauches de morceaux – le sien et le notre. On a dit : « ben vas-y, on les bosse vite fait », et on les a enregistrés… C’est quasiment une impro, en fait, les deux morceaux : une face c’est son morceau et une face c’est le notre, et c’est quasiment de l’impro. On a joué les morceaux peut-être deux fois avant, en disant OK, on se fait à peu près cette structure, machin…

Une espèce de mise en place ?

N : Ouais ! C’est un truc très éphémère. Mais c’était chouette, à faire.

Vous êtes donc un trio – on va dire, on lit souvent : un trio rock. Mais sans bassiste. Et vous n’avez pas du tout non-plus, j’ai l’impression, ces rôles « traditionnels » du guitariste rythmique et du guitariste lead… C’était un choix, aussi, de tenir sur une autre mécanique, une autre entente ?

P : Alors oui, effectivement. Je me rappelle au début aux concerts, pour sonoriser, les gens demandaient : « alors toi t’es plutôt guitariste rythmique, toi guitariste lead ? » et en fait, ben, ça dépend des morceaux. En fait, les rôles s’intervertissent entre les compos et même au sein des compos – on ne réfléchit pas tellement en ces termes là.

Ben, moi j’ai l’impression que vous êtes enfin, à chaque fois tous les deux, les deux « à la fois », que ça ne joue pas sur une logique de « solos ».

R : Ce sont des guitares qui s’entrecroisent, des parties qui se répondent. Une guitare qui joue un accord, qui peut déjà être très ouvert au niveau de l’harmonie ; l'autre guitare qui… l’ouvre encore plus – et du coup ça crée un peu des champs mélodiques, des résonances.

P : Ouais, c’est exactement ça.

N : Avec Pedro, avant, l’ancien guitariste, l’alchimie n'était pas pareille – dans le sens où Pedro, c’était un peu un savant fou avec sa guitare, il faisait beaucoup de trucs très SONORES, avec des guitares un peu préparées, il jouait beaucoup avec ses effets, il faisait vraiment des trucs très très sonores, et Pierre avait plus le rôle du guitariste… « normal », on va dire. Et du coup quand Raoul est arrivé avec son jeu de gratte forcément, il y a eu un autre…

R : Moi je ne sais pas faire tout ça.

N : Non mais en fait, en même temps Pedro ne sait pas faire… Ce que tu sais faire ! En fait y’a eu une autre alchimie qui s’est créée. Et… ça a marché.

Oui, j’allais vous poser la question, sur ce que ça a changé de changer un petit peu d’effectif mais… C’est marrant parce que je trouve qu’il y a une… Enfin, votre musique, si on la prend globalement, il y a un truc qui est super reconnaissable. Même, si on n’y prend pas garde on pourrait se dire que d’un disque à l’autre, d’un bout à l’autre de la discographie, c’est une espèce de bloc, qui ne change jamais. Pourtant en réécoutant tous vos disques, dans l'ordre, en préparant l’interview, je trouve qu'en fait pas du tout. J'entends nettement une évolution, un mouvement. Par exemple, sur Les Flavescences, où c'est l'ancien guitariste, je trouve qu'on entend déjà comme les prémices de ce que tu fais {à Raoul} sur Anabasis.

R : C’est exactement ça.

Cette espèce de jeu en motifs, en cellules comme ça. Toi tu joues beaucoup, enfin sur tes compos à toi tu joues beaucoup en picking…

R : Oui voilà, c’est ça, j’ai essayé d’adapter un peu ce jeu – des accords ouverts, des cordes à vide – dans la musique de L’Effondras. Mais ce qui fait un peu cette continuité aussi c’est que j’ai pris la place de deuxième guitariste au moment du deuxième disque. Moi je n’avais pas composé, écrit, donc je me suis mis un peu dans les baskets de Pedro, en choppant son accordage. Et puis pour le troisième en fait je suis parti de cet accordage de guitare… Je l’ai un peu modifié pour le faire un peu plus à ma sauce et du coup, il y a une espèce de liant qui se crée, des harmonies qu’on retrouve un petit peu, même si le jeu, voilà, n’est pas le même.

N : Mais ce que tu dis c’est vrai, le premier album, par rapport à Pedro, tu vois c’est vraiment le… Si je résume grossièrement, le premier, il faisait vraiment un truc très sonore, le deuxième il commençait à faire un truc un peu plus guitaristique, tout en gardant un truc sonore, et quand Raoul est arrivé sur le troisième il a vraiment pris le relais sur un truc vraiment plus… Ben plus guitaristique.

Oui, ça donne une autre dynamique, curieusement je trouve qu’il y a plus de contraste, les explosions sont plus, plus sensibles encore, comme ça. Après… Je ne vous ai pas vus sur scène, en fait depuis, ben depuis les débuts. Bon, il y a eu cette coupure…

P : Tu nous avais vus où, et quand ?

Je vous avais vu plusieurs fois, d’abord au Périscope…

P : Avec Enablers ?

Oui. Tout au début, pour le premier. Puis je vous avais vus place de la République pour une fête de la musique (rires)…, et ça collait beaucoup moins bien en extérieur, j’avais trouvé, ça s’éparpillait.

N : Le concert était marrant…

P : C’était super particulier. C’était cool à faire.

Oui, le concert était très cool mais fallait être collé devant, quoi, enfin le côté collé devant ça me dérange pas mais…

P : Ouais, c’était vaporeux (?)

Bon alors on va… Je ne sais pas si c’est toujours la question qui fâche mais la première chose que j’ai connue de vous, que j’ai lue de vous, sur vous, je crois que c’est Hazam {Hazam Modoff, photographe et chroniqueur bien connu des concerts et "alternatifs" lyonnais} qui avait écrit ça dans Perte et Fracas, c’est que vous ne vouliez surtout pas qu’on vous qualifie de groupe POST-ROCK. Alors aujourd’hui… Enfin, je comprends, comment dire, la répugnance qu’on peut avoir à être appelé comme ça parce que c’est une espèce de fourre-tout, d’étiquette… Et en même temps si on demande aux gens ce que ça veut dire, ça se réduit souvent à deux groupes – c’est Godspeed You Black Emperor! et Mogwai, voilà… Mais en même temps je comprends pourquoi on PEUT vous qualifier comme ça. Vous, déjà, est-ce que ça vous dérange toujours ?

P : Ben en fait t’as tout dit dans ta question, c’est que... Si c’est vu comme un terme fourre-tout, en fait, c’est même plutôt bien, ça veut dire qu’on a plutôt du mal à nous étiqueter, et du coup on va ranger ça en groupe instrumental on va dire post-rock ; mais à l’époque où on a commencé ben « post-rock » c’était quand-même très marqué, très tendancieux, c’était ben ouais : Mogwai, Godspeed, des groupes vraiment avec des grandes, grandes, grandes montées sans fin…

Oui puis toujours la même structure…

P : Exactement, voilà, toujours la même structure, dix-mille effets et puis une redescente… Et du coup, c’est pas nos références du tout, on ne se reconnaît pas là-dedans. Je n’ai jamais écouté ça et…

N : Ben attends, Mogwai et Godspeed, c’est des groupes que je connais mais je n'ai jamais écoutés, ce ne sont pas des groupes qui m’ont influencé. Ça ne m’a jamais influencé. Ce n’est pas pour faire le snob hein, c’est vrai – ce ne sont pas des groupes qui m’ont marqué. Et du coup, oui, je suis d’accord avec Pierre. Si c’est un truc fourre-tout alors OK, on fait du post-rock, ouais, par défaut.

P : Ça dépend qui parle, en fait.

En fait c’est toujours un peu la question, ça, non ? Moi si on me dit « L’Effondras font du post-rock », je pense à Slint et, euh… Même, un groupe qui s’appelait Bark Psychosis, je ne sais pas si vous voyez, des Anglais, je crois même que c’est pour eux que le terme a été inventé, c’est assez proche de Talk Talk quand ils sont partis dans des trucs un peu moins radiophoniques, on va dire.

N : Ben oui, moi quand on me parle de post-rock et qu’on compare à Slint ; puis quand on parle de post-rock et qu’on compare à un truc comme Mogwai ou Godspeed, pour moi ça n’a RIEN à voir et… Si on nous étiquette post-rock en nous comparant à Slint il n'y a aucun souci ! (Rires)

Il faut juste préciser, en fait ? La prochaine fois que quelqu’un vous le dit faut qu’il précise, en fait, il faut exiger…

P : C’est ça ! « Qu’est-ce que tu entends par post-rock ? »

N : « T’es plus Slint ou euh… » (Rires)

En fait, finalement… Si je cherche quelqu’un à qui vous comparer j’ai du mal à trouver qui... Qui on pourrait citer.

P : C’est chouette ça !

Finalement, le groupe le plus proche auquel je puisse penser, dès le début c’est un truc qui m’avait frappé, dès le premier album, avant que votre musique… On peut dire s’affine, ou devienne moins bruitiste, je ne sais pas, c’est le groupe de Jonathan Kane, le premier batteur des Swans, qui s’appelle February. Et c’est un truc qui... C’est une espèce de tourne infinie, comme ça, c’est des structures assez boogie, voire country parfois, et…

P : February, comme le mois ?

Comme le mois de février, oui. C’est très… C’est Terry Riley qui arrive dans un rade au fin-fond du far-west, et qui se met à jouer des trucs.

P : Tu le vends bien.

N : Tu nous instruits ! (Rires)

...

On parlait de vos autres projets, Pierre toi, est-ce que tu joues…

P : Non, je n’ai que ça. J’ai pas mal de matériel pour faire quelque chose qui va être plutôt en solo, avec des invités on va dire. Le faire, l’enregistrer tout seul, chez moi, lofi, enfin… Mais sinon non. Je n’arrive pas à me disperser. Pour moi c’est de la dispersion. Pour les autres, ils ne te diront pas ça mais pour moi c’est de la dispersion.

Raoul, toi tu…

R : Moi je me disperse un max ! (Rires)

Tu te disperses entre toi et L’Effondras ?

R : Oui, principalement. Après j’ai toujours d’autres projets, parallèles ou perpendiculaires, je ne sais pas... Mais ce sont des trucs que je garde pour l’instant pour moi, c’est juste histoire de faire… Plusieurs choses.

Et toi Nico, tu joues, comme on disait, dans Ni… Et ça aussi c’est un truc qui m’a tout de suite frappé : la première fois que je t’ai vu, c’était dans L’Effondras… Et quelques semaines plus tard, je crois encore au Périscope, justement je vais voir Ni… Et pendant tout le concert je me dis : « putain mais je connais la gueule de ce mec, qui joue de la batterie… ».

N : Ah !

Et après j’ai percuté, j’ai dit AH MAIS OUI !

N : Oui ce n’est pas le même...

Je me suis dit que vous… tu vois, je te dédouble, je dis « vous » (rires). Je trouve que ton jeu dans les deux groupes est complètement à l’opposée, en fait.

N : Oui, la musique est… Pas à l’opposée, mais c’est très différent, oui.

Dans L’Effondras tu es très, je dirais à l’économie, et…

N : Dans L’Effondras chaque coup compte. C’est « less is more ». Et dans Ni c’est très écrit, c’est très composé, et… Chaque coup compte aussi mais il y en a beaucoup plus ! Je ne sais pas comment expliquer, ce n’est pas du tout la même énergie. Dans Ni il y a une espèce de folie, c’est brutal, enfin c’est vraiment sauvage. Dans L’Effondras c’est beaucoup plus introspectif, enfin je ne sais pas comment dire. C’est… Une autre forme de « physique ». C’est… La transe ou je ne sais pas. Mais j’avais besoin de faire ça, en tout cas. Quant on a commencé avec Pierre en deux mille dix, deux mille onze, moi je jouais déjà dans Ni. Avant Ni, on avait un autre groupe qui faisait un peu le même genre de musique, qui s’appelait diatrib(a), on était vraiment dans un truc très barré. En fait à cette époque là j’avais besoin de faire de la musique un peu plus « posée », plus ambient. J’avais commencé un peu avec V13, mais du coup avec Pierre ça a vraiment fait le truc, enfin le lien qui manquait pour moi.

D'ailleurs tu parles d’écriture. Votre musique, avec L’Effondras, est ce qu’elle s’écrit en jouant ? Est-ce que ce sont des morceaux qui...

P : Ah… Oui oui. Ce n’est pas du tout « on se met sur la table et on pense un morceau avant de le jouer ». C’est vraiment en bœuffant, en travaillant ensemble, qu’on écrit nos parties, oui.

Et après, ça reste quelque chose de très fixe, ou… ? Parce qu'on n’a pas l’impression d’une improvisation - mais pas non-plus de morceaux figés dans leurs contours.

N : Eh ben, au début du groupe non…

P : Oui, au début du groupe on fonctionnait par des systèmes d’appels. Il y avait des parties écrites qui étaient, bon : tant de tournes, on joue ça tant de fois, euh… Ou pas : ou on joue jusqu’à ce que quelqu’un joue un truc à la guitare, ou à la batterie, et nous regarde – et on passe à la partie suivante.

N : On savait qu’il y avait un appel et ça permettait de switcher.

P : Voilà, on savait où on allait mais on ne savait pas combien de temps ça pouvait prendre. Ça pouvait gonfler, un peu, donc ce n’est pas vraiment de l’impro mais c’est, enfin bref… Voilà.

C’est vivant quoi.

P : Maintenant c’est un peu plus écrit, on va dire, ouais c’est un peu plus structuré, plus fixe.

N : Mais on fonctionne quand-même avec des appels.

P : Oui, les appels sont toujours là.

N : Dans le sens où on se regarde beaucoup, pour vraiment sentir le truc…

R : C’est un peu un vocabulaire. Enfin moi je m’en rends compte en ayant intégré le groupe un peu sur le tard, quand Pedro m’a montré les parties de guitares, ça n'était pas très précis, ce n’était pas « là je fais ça, là je fais ça ». C’était « ben là je fais un truc comme ça, et puis ça tourne un peu un moment, et après… » et puis après il te regarde ramer et euh… (rires)

...

Votre nom… L’Effondras je crois que c’est un lieu dit, il me semble dans l’Ain ?

P : C’est ça, c’est un hameau entre Bourg et Macon.

Mais vous précisez, je crois sur bandcamp, vous dites que c’est presque une espèce moyen mnémotechnique, que le vrai nom du groupe c’est le symbole, le cercle avec un point au milieu.

P : Oui.

Alors, qui peut vouloir dire, j’ai pris quelques notes : l’or en alchimie ; l’archange Gabriel…

P : Ah oui.

Oui, c’est curieux.

P {aux deux autres – d'un ton très sérieux, pince sans rire} : Oui, je ne voulais pas le dire, je ne voulais pas vous l’avouer. Je voulais au départ qu’on s’appelle Gabriel. Gabby. Ou l’Archange Gabriel.

Gabby ??

P : « Je suis l’Annonciation »… Non mais. (Rires)

N : Gaby-Gaby-Gaby...

{Je crois saisir que Nico fredonne un instant le générique de l’horrible dessin-animé/support de promo pour un affreux jouet pour enfants de la fin des années quatre-vingt – « Gabby Gabby Gabby Gabby Gabby/L'ami l'ami l'ami des tous petits »...}. Euh, c’est un clic bilabial, aussi, en phonétique

P : Oui ! CLIC-CLIC

Mais, en dehors de l’aspect sonore et musical, je trouve qu’il y a tout un univers qui se développe – via les pochettes, les titres. Et toi {Pierre} tu as au moins réalisé un clip.

P : Oui, enfin j’ai filmé, Raoul à monté.

Donc VOUS avez réalisé.

N : L’idée venait quand-même de toi à la base.

P : Oui.

Mais, est-ce que c’est un imaginaire vague et qui reste ouvert à l’interprétation du spectateur, de l’auditeur, ou est-ce que vous avez une… Enfin j’imagine qu’il n’y a pas des arcanes à décoder très précisément pour savoir ce que vous voulez dire mais… Ça reste précis, ça tourne toujours autour de l’alchimie, il y a un Lion Vert sur la pochette du premier album…

P : Eh bien, dans la compo, pour le coup… Depuis le début des compos, j’écrivais des « paroles » – pour savoir de quoi ces compos « parlaient ». Sans les utiliser, sans les enregistrer mais… Enfin ça aurait pu d’ailleurs être utilisé déjà à l’époque mais… C’était plus pour essayer de situer le champ lexical. « Qu’est ce que ça inspire »  … Après dans ma tête ça peut être très précis. Les compos, les titres peuvent être assez précis, ça peut faire vraiment référence à quelque choses de précis mais ça je ne le dirai jamais – chacun est libre de se faire son truc. Et c’est d’ailleurs souvent plus intéressant et créatif… Quand les gens me disent : « Ouais, c’est ça ? ». « Non, mais… Pourquoi pas ? ». Enfin quand je dis « précis », ce n’est pas toujours très précis non-plus dans ma tête, hein. Ce serait mentir.

Il n’y a pas des mots inventés, parfois, d’ailleurs, dans vos titres ? Ou est-ce que tout renvoie vraiment à…

P : Il y a des choses inventées, aussi, oui.

D’ailleurs est-ce que l’image – je pense surtout aux clips – est très importante ? Est-ce que c’est seulement complémentaire ? Est-ce que c’est un autre support ? … En fait, curieusement je trouve que votre musique est plus « narrative » quand on ne colle pas d’images dessus ! Après c’est un avis très personnel mais…

P : Non mais, je suis plutôt d’accord, moi.

N : Pierre est d’accord avec ça, c’est nous qui poussons, c’est nous qui avons poussé.

P : Moi je suis assez anti-clip, assez anti-images oui, mais...

R : C’est un débat qu’on peut avoir entre nous mais sans que ce soit un gros débat. En fait moi non-plus je ne suis pas versé dans les clips, à réaliser c’est toujours très… C’est vrai que c’est compliqué. Mais on a…

N : Enfin, l’idée ce n’est pas non-plus de faire cinq clips pour cinq morceaux mais...

R : Mais l’idée, c’était là encore qu'on était dans un gros creux qu’il fallait faire vivre l’album, à un moment – on ne pouvait pas le tourner donc… Moi je vois la réal de clip comme un truc très… « Promo ». Entre guillemets.

N : En fait avec le COVID – c’est ce qu’on disait tout à l’heure – c’était le seul moyen que l’album vive, quand il est sorti en mai 2021, c’était à travers les chroniques, à travers les clips, parce qu’on avait zéro concert à annoncer, et du coup c’était une espèce de truc qui a permis de tenir sur la longueur jusqu’à… Jusqu’à maintenant en fait.

D’ailleurs… Toi Pierre, comme tu disais tout à l’heure tu bosses dans la vigne, maintenant. Vous deux, Nicolas et Raoul, vous ne vivez que de la musique ?

R : Ouais, j’en survis, oui.

N : Moi je suis intermittent, je suis musiciens mais je suis aussi technicien, je fais des lumières pour des spectacles. J’ai L’Effondras et Ni… Mais j’ai un autre job à côté.

Et c’est… Un but, de ne faire que ça, à terme ?

P : Que de la musique ?

Que L’Effondras ou que de la musique – enfin, pas que L’Effondras pour vous deux du coup, mais…

P : Mmmm

N : Ça n’a jamais été le but d’en vivre, hein.

P : Non, mais en fait je ne vois pas trop… Ben disons pour pouvoir en vivre pleinement, en étant assez rassuré par rapport à ça, il faut faire tellement de compromissions, j’ai l’impression. Et du coup ben non. Ou alors il faut avoir quinze groupe mais – comme je te disais tout à l’heure, c’est pas mon truc.

« S’éparpiller »…

P : Ouais. Non. En fait.

Parce que j’ai l’impression que vous avez beaucoup plus de presse, maintenant, par exemple. Alors, c’est peut-être aussi une conséquence, Nico, de ce que tu racontais, du travail de communication…

N : Peut-être aussi, oui !

Mais en tout cas j’ai l’impression que vous pourriez devenir un groupe un peu plus…

N : Après c’est sûr que si les concerts étaient mieux payés en général, qu’on pouvait se faire des cachets ou quoi, on ne cracherait pas dessus hein évidemment. Mais en l’occurrence ce n’est pas le cas. Et ça ne nous empêche pas de jouer quand-même et d’avoir quand-même envie de faire des trucs. Mais c’est sûr qu’on essaye de bosser, de titrer le truc vers le haut, que ce soit musicalement déjà en premier, et puis aussi tous les à-côtés. De ne pas partir en tournée sans faire de la promo… Enfin ça je l’ai fait quand j’étais plus jeune, juste d’aller faire des dates à l’autre bout de l’Europe et puis rentrer et puis, du coup t’as fait une date, et puis plus rien… Là maintenant on essaye de construire des choses un peu plus réfléchies. Enfin bref, je ne sais pas si ça répond à ta question… On essaye de tirer le truc vers le haut mais ça n'est pas…

Pas un plan de carrière ?

N : Non voilà, pas un plan de carrière – mais par contre je serai toujours le premier à pousser le truc, qu’on fasse ça dans les meilleures conditions possibles.

L'interview se termine – comme d'habitude, je n'ai pas posée la moitié des questions que j'avais écrites. Comme d'habitude, d'autres me sont venues. Je me demande, par devers moi, si on ne serait pas tous un peu rouillés. Je me dis qu'on va voir ça, en bas, dans quelques poignées de minutes. Je m'en jette une au bar, je me mets en mode « venu là pour la musique » – celui-là même qui m'avait tant manqué. La Compagnonne me rejoint. C'est bien, c'est bon d'être là. Quelques verres plus tard – DING fait la cloche, au bar. On s'engouffre par le capot. On descend.

C'est Bysshe – quatuor des Fourgs (dans le Haut Doubs) – qui ouvre. Les vidéos, sur les pages de réseaux sociaux qui annonçaient l'événement, j'avoue, ne m'avaient pas trop causé, m'avait même fait un peu « peur ». En direct, pourtant, non : Bysshe, au contraire, c'est... Frais. Tenu mais bien plus libre, en forme, que j'avais cru. Ces gens – trois types et une nana – jouent psyché parce qu'ils aiment ça et pas pour faire « revival appliqué », j'ai l'impression ; écrivent romantique, chevelu et échevelé – mais sans aucune mièvrerie. Pas pour rien, après tout, qu'ils ont emprunté son prénom médian au poète Shelley (Percy Bysshe, donc), au moment de se nommer, eux. Sans doute, oui, il a dû passer pas mal de rock west-coast, de baroque anglais, peut-être, des années soixante, dans ces oreilles-là – mais sous leur doigts, dans leurs voix, on a beau entendre de l'Airplane, du Country Joe ou du Quicksilver parfois, peut-être, une sorte de Caravan ou que sais-je, on dirait bien, par moments. Eh bien : pour autant rien ne fait resucée terne. Rien ne fait hautain, non-plus, club de connaisseurs étroits. Les effets – électronique, pédales – de maintenant ont le droit d'entrer, ça ne sent pas le snobisme, le c'était-mieux-avant-on-le-sait-puisqu'on-n'y-était-pas. C'est généreux sans s'étaler – et ça, oui, c'est assez rare.

Et puis maintenant, L'Effondras qui se mettent en place. Raoul en marcel blanc, rouflaquettes et moustache, revers en bas du jean relevés haut sur ses pompes montantes – sacrée touche qui lui fait la bonne allure, où rien ne fait ironique, discours « post », déguisement ; Pierre concentré, dans l'ombre ; Nico qui semble méditer, guetter les yeux fermés derrière sa batterie. Tous, comme tendus et flottants à la fois, vers l'instant imminent du départ...

Et ça part. Ça s'envole et ça plane et ça tombe. On se secoue devant – quelques uns et unes seulement, je vois que c'est ici comme à Lyon, comme à Paris, comme ailleurs, sur ce point, comme beaucoup, en France au moins. Enfin, on retrouve cet écoulement, ce soulèvement que même à force, on n'avait pas fini – « avant » – par trouver ordinaire, banal. Ces couleurs et ces vitesses qui changent et se reconnaissent – cette consistance particulière des minutes passées là, avec le son, autour, fort, mobile, en dimensions d'espaces... Les trois ont l'air heureux de jouer, bien dans leurs vagues lâchées et retenues. Les images affluent encore – les sensations. Oui... « Ça nous avait manqué ». « Ça » n'est pas entamé, même si – en effet – on est un peu rouillés, de ce côté-là de la salle. Trois quarts d'heures durant on se dit une fois de plus que décidément, on a bien fait d'y être.

On remonte, on s'en jette encore quelques uns. On discute un peu au bar avec les gens du lieu, des habitués. On repart sous la pluie vers les une heure du mat'. On n'a pas froid. On aura quelques courbatures, les jours après, omoplates, nuques, cuisses. Ça valait bien ça, allez. Et puis le jour même, légère barre au front, muscles raidis un peu ou pas, on commence les travaux dans une nouvelle (mais pas trop neuve) maison, et on est sans regrets.

On espère que d'une manière ou d'une autre, n'empêche, ça ne cessera pas de sitôt d'avoir recommencé.

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Interview recueillie aux Passagers du Zinc, Besançon, le jeudi 30 septembre 2021.

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''Discographie de L'Effondras :

L'Effondras (LP) ; Dur et Doux, 2014

Ferrum Movendo / Helleboros (EP) ; Dur et Doux, 2015

Je Reste avec Vous / Lémures (EP) ; Dur et Doux/Arbouse Recording, 2015

Les Flavescences (LP) ; Noise Parade/Dur et Doux, 2017

Anabasis (LP) ; Medication Time/Araki/KerviniouRecordz/98 Décibels, 2021

Discographie de Bysshe :

Clouds (LP) ; autoproduction, 2018

Forever in the Eye of Change (LP) ; autoproduction, 2020

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Dernière mise à jour du document : samedi 3 septembre 2022

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