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 - aux groupes / artistes Le Verdouble, France

Festival Échos #3 - La Ferme du Faï (Hautes Alpes), les 26 et 27 juin 2015

par Dioneo › vendredi 3 juillet 2015


Style(s) : folk / jazz / musique électronique / noise / rock / avant garde / musique électro-acoustique / psychédélique

Événement rare, lieu peu commun… La ferme du Faï – corps de bâtisses sis au dessus d’un village nommé Le Saix, dans les Hautes Alpes, à plus de mille mètres d’altitude – accueillait, les 26 et 27 juin derniers, la troisième édition du festival Échos, organisé par l’association Dôme (de Villeurbanne, en région lyonnaise). Le reste du temps la ferme – réaménagée il y a certaines années par des volontaires aux idées non-alignées, non-attentistes, travailleurs, esprits libres d’un genre particulier – héberge des jeunes venus là pour des chantiers, des ateliers, diverses actions culturelles, sociales (j’avoue ne pas connaître tous les détails de cette histoire, de ces programmes)… Pour l’heure – ces deux jours, deux nuits ; plus un dimanche matin le temps que tout le monde émerge – c’est une autre foule, d’autres habitants de passage qui s’y étaient rendus. Pour autre chose. … Autour, il y a la vallée. En face de la pente, une falaise parabolique. Et plantées vis à vis – par ceux-là mêmes qui avaient donc, plus tôt, investi l’endroit – trois trompes, système d’amplification exceptionnel, unique. La plus grande – celle des basses, en béton – éploie ses sept mètres cinquante de diamètre, et douze de long. Celle des aigus, orientable, se tient un peu à l’écart sur sa caisse à roues et à vérins. Les trois – il en a une aussi pour les fréquences médium – reprennent le son de haut-parleurs plantés à leurs bases, les mécaniques enfouies en terre. Et lorsqu’elles sonnent, vibrent, chantent… C’est la falaise, la vallée entière, qui font caisse de résonance, qui renvoient le son, le répercutent, le véhiculent et le démultiplient. Les artistes jouent plus bas, entre une pièce d’eau immobile et l'onde qui passe doucement. C’est tout cela que nous sommes venu chercher. Pour ma part curieux, tâchant de ne rien vouloir de trop précis par avance, me rendant là pour la première fois ; une bonne moitié des musiciens programmés (du moins pour ceux du premier soir) m’étant totalement inconnus. Entrée réservée cinq jours plus tôt. Celui d'après, les gens du Dôme avaient lancé le message : "COMPLET" ; la jauge était pleine. Je me sens heureux de n’avoir pas à rater ça… Samedi dans la journée, nous embarquons, deux camarades et moi. Trois heures – ou un peu plus – de route… En fin d’après-midi, nous y sommes. Ci-dessous, on lira si l’on veut souvenirs et impressions – encore frais – que m’ont laissés ce séjour, ces événements. L’ordre où on les trouvera n’est pas toujours, à coup sûr, celui selon quoi ils sont exactement survenus, tel qu'en attesterait le programme général annoncé, son déroulé objectif… On est prié de croire que j'aurai restitué aussi proche que possible, avec autant de détail qu’il m’aura été loisible, ce que j’ai vécu là-bas le temps de ces quelques dizaines d’heures.

Depuis Villefranche, où nous avons récupéré la voiture, le paysage a longuement changé. Les communes de plus en plus disparates, éloignées les unes des autres ; à mesure, souvent, de moins en moins peuplées. Dès l’autoroute, les montagnes ont commencé à s’élever, autours. À une heure de la destination, nous cherchons une pharmacie – l’un d’entre nous saisi d’une rage de dents, angoissant quelque peu que nous ne trouvions pas telle échoppe, manifestement plutôt rares dans les parages. Dans un bourg un peu gros, on nous renseigne : on aura ça plus loin, à Aspres sur Buëch. Nous trouvons finalement. Après cela, ce ne sont plus que routes départementales aux embranchements où il ne faut pas se tromper… Nous arrivons finalement. L’accès au site, de là, se mérite encore. Mais l’accueil est impeccable ! Sitôt la voiture posée au parking, nos sacs et tentes sorties du coffre, une bénévole vient nous informer de la marche à suivre. Nous pouvons laisser là nos bagages – à quelques dizaines de mètres en aval du village nommé Le Saix, disais-je (nous passons rapidement entre nous l’accord que, tourné le coin de la dernière maison, nous nous abstiendrons de tout jeu de mot sur ce nom). Une navette se chargera de les monter. L’ascension, pour nous – pour tous les festivaliers – se fera à pieds. Il ne passe pas plus d’un véhicule à la fois, sur cette route. Un panneau la donne d’ailleurs pour fermée, le temps du festival. Et de toute façon, toutes mécaniques, sans doute, ne sauraient parvenir en haut, question de puissance, traction, tenue de route… Nous voilà donc en marche. Nous passons un pont. Dans la petite commune, c’est d’abord un panneau "ralentir enfants", aux effigies – affreusement mal imitées – de Titeuff et Nadia, qui nous accueille. Puis un… épouvantail. Un autre. D’innombrables dans les ruelles, jusqu’à une place. Il doit y avoir quelque kermesse, en préparation. Nous passons la limite des jeux-de-mots-interdits. Un dernier, allez, sur le thème sûrement de la taille ou de l’étroitesse de l’endroit… Bon. La route devient vite escarpée. Le soleil tape. Les potes – déjà venus, eux, l’année d’avant – essayent de repérer, pour me l’indiquer, la falaise. Concluent que d’ici, sont-ils étourdis, on ne peut pas la voir. Nous croisons la navette. Elle s’arrête. Camille-aux-cheveux-désormais-prune – l’une des membres de l’association – en descend pour nous saluer. Agréable impression, familière – dans cet environnement qui, par ailleurs, continue de s’incliner sous chacun de nos pas. Nous repartons. Le minibus vers le bas, nous vers le site en lui-même, en haut. Très vite le goudron cesse, remplacé par une blancheur crayeuse, cailloux poudreux. Le "décor" change, aussi. Ce ne sont plus des épouvantails à tailles d’enfants. Mais à la place, des silhouettes, squelettes animaux ou humains fantastiques – cette femme aux allures de troll sylvestre qui pousse sans fin son rocher immobile, enraciné – faits de bois, souches, morceaux de nature sèche assemblés, parfois à peine re-disposés. À un moment, dans le creux d’un arbre, un vieux poste à transistor diffuse du reggae, vieux dub à la Linton Kwesi Johnson ou de ces environs là. Nous longeons, perdons, retrouvons la rivière – petit torrent, ruisseau. L’arrivée sous les arbres, m’annoncent les autres, indique que nous ne sommes plus loin de la destination. En effet, voici l’entrée du site. Les gens du Dôme nous y proposent de l’eau. Nous remercions, passons, entrons plus avant dans la vallée. Dans la cour de la ferme, nos bagages nous rejoignent bientôt… Les deux autres me font visiter rapidement. Il y a, en contrebas, le Théâtre de Verdure. Scène posée sur une eau – disais-je – parfaitement immobile, en apparence, et bordée au fond par le filet de la rivière. Gradins en tronc et en herbe, en terre. C’est là que joueront, dans quelques heures, tous les musiciens programmés ce premier soir. Pour le moment, il fait encore jour. Nous nous mettons en quête d’une place où planter nos tentes. Toute la vallée nous est ouverte, à vrai dire. Nous décidons de monter, grimper la pente verte pour nous établir loin des terrains les plus évidemment plats, pratiques, déjà bien peuplés, certains couverts de toiles dès maintenant. D’autres, d’ailleurs, se nichent dans les moindres recoins – entre deux arbres, derrière des bosquets, à l’abri d’un tas de pierres… Nous grimpons encore. Une étendue presque plane nous semble à notre convenance, à la lisière d’un petit bois de sapins. Nous établissons le campement. "Plus qu’à", de là… Néanmoins il faut se préparer. Nous savons qu’à un moment, il nous faudra avoir sous la main tout le nécessaire, sans délai. Il fera noir, sous peu. Et puis… Nous nous doutons bien qu’il y aura moyen de s’égarer. Autant tout faire pour que ça se passe bien. Chacun range dans un sac, à portée, sa lampe, un vêtement chaud – "c’est la montagne", nous avaient rappelé dans leurs messages, plusieurs fois, les organisateurs – quelques provisions selon ses fantaisies et puis de l’eau, aussi. Nous concoctons un repas simple. Légumes froids découpés, huile d’olive et sel. Et avant ça – puisque tout est prêt, que nous voilà parés – un ingrédient spécial, qui se prend à part ; inodore, incolore mais pas là pour rien… Le repas s’achève, la vaisselle est rincée. Le jour commence à décliner. D’en bas, les premiers sons s’élèvent.


PREMIÈRE NUIT : ÉCHOS ; "Mais elle est où, l’Étoile du Nord ?" ; La terre est chaude et la Falaise me parle… ; "Mais si, je te dis : il y a une route, là-derrière".

"Les couleurs commencent à devenir bizarres, non, là ? - Ah non, c’est toi qui… Oh nom de… Si, si, tu as raison. C’est vrai qu’il ne vibrait pas comme ça, avant, ce vert".

Le jour semble n’en vouloir pas finir de décliner. Nous cherchons l’étoile du Berger. À établir le Nord. L’ouest rosit, jaunit, s’irise et s’allume à mesure que le soleil passe derrière la montagne. La lune, à l’est, s’est montré il y a déjà un moment. Les premiers points de lumière commencent à percer le ciel. Aucun de nous trois ne connaît les constellations. Nous inventons, chacun, cherchons en toute bonne foi le juste azimut. Nous sommes à quelques mètres seulement, en contrebas, de notre campement. Nous avons l’impression d’avoir quitté une enceinte, franchit la limite de sa zone. La molécule court en nous. Nous nous sommes assis, de concert. Pris d’un rire qui a duré… Combien de minutes ? Peu importe. Elle agit, de plus en plus fort. Le ciel est toujours plus magnifique, perspective où les étoiles semblent grossir, sourdre en halos. Je sens la chaleur du sol, de l’herbe. Elle circule, s’exhale. D'autres giclées, rayonnements de feu, semblent jaillir de l'hémisphère droit de ma tête, tout en haut, presque au centre, me traverser tout le corps jusqu'au nexus du ventre, se couler jusqu'au bout de mes orteils. Autours de nous monte le chœur des criquets. Il se mêle aux premières notes envoyées, en bas. Impossible à vrai dire – sans voir – qui est en train de jouer. S’il s’agit d’un instrument seul ou d’un groupe, d’acoustique pure ou d’électronique. En logique retrouvée, le lendemain, ce pourrait être Michel Doneda et ses vents, colonnes et mécaniques, saxophones. (Il est même plus probable, avec le recul, qu’effectivement il se soit agit de celui-là, plutôt que de Loïc Verdillon ou Pali Meursault, avec leurs autres instruments et dispositifs ; je prie mes lecteurs, les musiciens et les organisateurs de m’excuser pour ces imprécisions qui – "circonstances d’écoutes" aidant, ou simplement, plutôt, modifiant quelque peu son cour et le souvenir persistant qu’il m’en reste – reviendront en plusieurs occurrences, au long de mon récit). Cela sonne, en tout cas, comme des appels. Répétés, remis, merveilleusement espacés. Un dialogue, véritablement, qui s’établit avec cette falaise, cette vallée. Les son, répercutés, attaques et filés, parcourent véritablement l’espace, nous entourent – à trois cent trente mètres par seconde. Sensation qu’ils passent par dessus nous. Le corps vibre. Celui, vaste, accidenté, du site. Le mien, d’où je ressens tout ça. Tout s’intensifie. Lentement ou pas, je ne sais. Il est des états où les secondes paraissent s’étirer, se dilater en heures. Je suis bien certain que le volume augmente, de la pièce jouée, de cette improvisation avec la nuit qui vient. Nouvel accès hilare, "collectif". Je ne sais combien de temps, encore une fois. Le son se fait plus dense, les traits se resserrent, les timbres en même temps éclatent. Sa vibration emplit. Enveloppe. Traverse. En bas – vers le bar, le théâtre donc, et la ferme – d’autres sont massés. Me vient l’idée – un peu étrange – que c’est une liesse médiévale, la population d’un bourg né ce soir là seulement et qui ne durera que jusqu’au lendemain. Je pense "animaux de la ferme, viandes fumées, foire". Je caresse l’idée qu’on descendra plus tard, que pour le moment pas question, que notre perchoir est sûr, qu’il y fait trop beau. Il y a un moment ou ce premier concert cesse.

(Épisode un peu flou, ici, chamboulé, fragmenté et remonté dans un drôle de désordre, dans sa réminiscence. Je ne sais plus si nous avons décidé de bouger, de changer de point d’écoute pendant la première performance ci-avant relatée, ou au point juste où elle a pris fin. Toujours est-il que pendant que nous marchons, un autre musicien commence. Est-ce donc Loïc Verdillon cette fois ? Ou bien déjà la violoniste Patricia Bosshard ? Je leur renouvelle à tous mes excuses… Et je les remercie, au fait, d’avoir peuplé ce noir. Bon… Évidemment, à un moment, nous nous perdons. Tournons ce qui nous semble une heure – probablement, dans les faits, pas plus de quelques minutes – avant de regagner la couverture laissée en partant entre nos trois tentes. Nous sommes deux, au même moment, à entendre passer une voiture, la lumière de phares striant en même temps un court instant l’espace… "Attends ! Mais il y a une route, je te dis ! Il doit forcément y avoir une route !". En pleine montagne ?! Nous nous promettons d’éclaircir ça le lendemain. Pour le moment, hors de question de traverser le bois. Pêle-mêle, l’un des deux frangins tente de grimper dans un arbre. La frontale du deuxième révèle qu’il n’en était qu’à la plus basse branche. L’un des deux propose un jeu de société intuitif. J’ai oublié le principe du truc. J’observe vaguement la partie. Je crois que c’est la violoniste, maintenant, qui a commencé. À un moment je saute, je crie : j’ai pris une ombre un peu trop ronde pour un animal, petit et plus sombre que tout autours, qui aurait fuit à toute vitesse en passant devant "mon" sapin – comprendre celui-au pied de quoi j’avais établie ma toile).

Nous sommes en bas, maintenant, dans le théâtre de verdure. Puisque nous la voyons, nous en somme sûrs, cette fois : c’est à ce moment Patricia Bosshard qui joue. Violon, micro. Coups d’archets infimes ou brutaux tour à tour ; grincements, textures des cordes rendues audibles. L’espace et le temps étant ici ce qu’ils sont – inhabituels, donc, pour le moins, au risque de me répéter – le moindre frottement, changement d’angle du crin, prend la dimension d’une grande brisure à même la roche, tonnerre, chute, trébuchement, jaillissement à même la nature. C’est un peu effrayant, par instant, cette plongée dans l’entraille du son. Presque "trop" exact, précis, détaillé, le parcours par quoi elle nous mène, à ses reliefs, chausse-trapes, anfractuosités. C’est extrêmement agréable, aussi, passionnant, séduisant pour le, les sens, jouissance perceptive. Dans n’importe quel état, j’aime énormément sentir ainsi le son, sa matérialité autant que sa volatilité. Encore un fois, cela pourrait – cela a pu, ça n’a sans doute pas – durer des heures. Sur les gradins, nous changeons de point d’écoute. Je crois que nous nous en éloignons, y revenons. Dans le silence retourné, plus tard, nous y reprenons place.

Des gens sont ivres, autours. D’autres, visiblement et à l’oreille, ont dû gober certains euphorisants. Pas mal semblent "sous rien de plus" que les quelques pintes qu'on prend aisément entre deux groupes, les nuits de concerts plus ordinaires. Quelques-uns sont probablement sobres tout court. Nous sommes tous en petits groupes, disposés sur les terrasses bordées de rondins (matériau, aussi, des escaliers qui mènent jusque là : bois, terre, herbes, toujours). Deux hommes arrivent, côté scène, à un moment. Ce sont Yvan Étienne et Yann Gourdon, les deux vielleux du Verdouble. Ils se mettent en place, ajustent, commencent à tourner brièvement leurs roues. Réglages. Je m’éloigne de mes deux camarades, qui restent en amont, pour m’approcher de la scène, juste devant. Des familiers du groupe sont allongés en bas, sur les planches, attendent ; roulent, allument et font tourner un énorme joint – entre eux, et aux musiciens. Ceux-là commencent à jouer… Une sorte de vision – mais lucide, avec la pleine conscience de ce que l’image a, aussi, de grotesque : Gourdon, les jambes croisées, chaussé de ses drôles de bottines à boucles, m’apparaît comme le diable, ou une espèce de diable. Un diable très ancien, en fait, peut-être appelé ainsi parce que d’avant le culte au dieu unique. Qu’on m’entende bien : nulles cornes à son front, pas l’épouvantail aux âmes – encore ça, tiens… mais ceux-là, nous les avons laissé au village. L’un de ces esprits, plutôt – êtres à vrai dire physiques – qui sont une présence parmi l’assemblée, dont la fonction, le but, la raison d’être est de la, de nous emmener. Un qu’en Bretagne – j’ignore le nom qu’on donne à ceux-là en Centre France… on doit bien y trouver de semblables ou comparables histoires - on appellerait par exemple Ankou. Trêve de divagation… Le Verdouble joue. Tourne. Fréquences qui farandolent et enflent. C’est tout de suite intoxicant. L’effet de l’épice-sans-teint plus tôt prise est loin d’être retombé. Je sens même comme un regain. Je me déplace plusieurs fois dans le théâtre de verdure. Il y a quelque chose d’une mécanique vivante impossible à stopper, une fois qu’elle est lancée, dans ce que met en branle et tient le duo. Qui ne s’arrêtera que sur un signe d’eux seul connu, qu’il importe finalement peu qu’on sache. Je le disais dans ma chronique de leur disque : aucun motif, mélodie, pas de ritournelle, ici. Pourtant, le folk y demeure, y a changé mais s’y tient lové et – lorsqu’ils commencent – y entame et y roule son mouvement. J’ai l’impression qu’ils ne se soucient guère de ce que renvoie la falaise. Elle renvoie, pourtant. À certaines hauteurs des terrasses, ça tourne au pur bourdon. À un mètre près, ce sont d’autres fréquences qui font orbite. J’ai cette sensation – habitude ancienne sans doute de souffle, aussi, gardée d’une autre vie où je fréquentais les tatamis – que le moindre changement de position modifie le chemin par quoi le flux me parcours, me traverse. Un peu plus droit, un peu plus calme, et tout est mieux. Je dois avoir les iris à peu près écartelées. Il me semble qu’il ferait jour ; je sais que pas du tout, qu’on est encore au creux des heures les moins éclairées ; et sous cette frondaison, en plus. Fin des cycles tournés. Applaudissements. Peu d’hésitation. Gourdon lâche comme une évidence, de sa voix particulière "Bon, deuxième tour, alors". je vis celui-là plus apaisé, encore, et le ressens pourtant plus fort. Quand je me retourne, mes camarades ont disparu. Ils me diront plus tard qu’ils étaient simplement partis au bar, prendre une bière. Pas de malaise… Je vais me promener un peu en attendant la suite – ou ne me souciant pas trop s’il y aura ou non une suite.

Bien entendu – et cette fois seul – je m’égare sur la pente. Le son a recommencé. Des grondements, grincements, sons d'humain et de machines. Des échos dont je ne suis pas sûr que tous proviennent de la roche, de ses courbes et reliefs. J’ai l’impression que le dispositif, déjà, les brise et les redistribue, les dilate ou les guide. C’est… Organique, ce qui s’est mis en mouvement. En quelque sorte, aussi… Vocal. Je marche en trajectoire sinon circulaire, pas tellement assujettie à la logique des droites. Je sens que je ne trouverai pas tout de suite – et pourquoi ai-je envie d’y aller – l’endroit où sont les tentes. Je m’assoie en pleine pente. Il me semble qu’ici les herbes sont très hautes. Quelques minutes passent. Ce que joue le type en bas – c’est un homme seulement ; et ce que m’en raconteront les autres, le lendemain, revenus entre temps devant la scène, me décrivant un jeu de magnétophones, de bandes, de delay et réverb analogiques... me permet de dire avec certitude qu'il s'agit de Lionel Marchetti – prend de plus en plus l’espace, l’envahit… Mais non, ce terme n’est pas tout à fait juste. Car il n’y a pas dans tout cela, on n’y entend, on n’y sent pas l’intention d’imposer, d’effrayer – rien qui soit intrusif. C’est seulement que partout, tout paysage, toutes dispositions d’éléments recèlent zones mates, dangers, gouffres. Et que la nuit, à cette heure, est devenue bien épaisse. Je me lève. En quelques pas – je m’en étais douté – je regagne le campement. Au moment où je m’établis sur la couverture, Marchetti décide de ralentir ce complexe de fréquences et résonances qu’il tenait, en boucle, depuis un moment. Effet inouï ! L’impression de me concentrer encore plus, conscient de mon échelle minuscule d'humain. D’être, aussi, ce grain vivant – et pleinement – planté et mobile, aux exactes coordonnées de l'expérience… Et là encore : sans aucun déplaisir, sans me sentir dépossédé ou amoindri. Au micro, tout en bas – ça aussi, ce sont les autres qui me le confirmeront le jour d’après - Marchetti chuchote, à peine, un "Eh". Cette voix voyage et grossi, rebondit. M’interpelle. Autre, même interjection discrète, répétée, rendue énorme. Je sais très bien d’où ça me vient, ce qu’il y a là-dedans de déformé, d’amplifié par tout. Mais je me dis avec exultation – avec amusement : "maintenant ça y est, la falaise a parlé". Et je me sens enchanté d’avoir entendu ce murmure… Silence. Je crois la soirée finie. J’entre dans ma tente. "Ça risque d’être difficile de dormir". J’entends du bruit dehors, pas lourds, artificiellement réguliers. Je percute immédiatement : c’est l’un des potes, passé voir, qui essaye de me faire flipper, façon Blairwitch. "Arrête tes conneries, je t'ai grillé". (Je ne sais plus si je l'ai articulé, ou seulement pensé). Il me dit que c’est loin d’être fini, plus bas dans les arbres. Je me rechausse, nous redescendons.

(Ici, encore une zone de vague, entre ce retour au théâtre de verdure et le début de la performance suivante. Je suis presque sûr qu’elle avait commencé, en fait, juste avant que le camarade soit remonté).

Je crois – pardon encore une fois pour cette incertitude – qu’il s’agit de Pali Meursault. Dispositif cette fois purement électronique. Ordinateur, pads… Lui use de sons percussifs, volontiers – mais joués disparates, sans tenter de marquer un rythme – aux attaques très perceptibles, qui font parfois choc, répercutées qu’elles sont. Des basses, aussi. Son plein, solide, même si là encore mouvant. C’est parfois comme un orage, presque. La chimie, au-dedans, commence à agir avec moins d’intensité, à tout doucement ralentir sa ronde et ses excitations. Mais on se prend tout de même de plein fouet ce que le gars envoie. Nous, on tient moins en place. On change encore plusieurs fois de point d’écoute. Bref silence à la fin de son jeu. Enfin, pas si bref…

(Je propose une autre bière – pour moi, en fait, la première de la nuit. Il me semble, en tout cas, que c’est à ce moment là que je le fais).

De retour vers la scène. Nous passons derrière, un sentier le permet. La mise en place du dernier groupe de la nuit – en ai-je, décidément, oublié ?! – prend un certain temps (nos perceptions par ailleurs déjà un peu moins déboussolée quant à cette dimension ; plutôt, déjà un peu plus fluctuante, avec des retours à la sensation normale de cet écoulement là ; et puis d'autres à des laps où l’on n’en sait trop rien – on ne s’en soucie toujours guère). Nous revenons devant eux. Ce sont donc les Italiens – pourquoi donc étions nous si persuadés qu’ils fussent russes ou des Balkans ? – du Jooklo Duo, qui s’installent, assez longuement. Virginia Genta teste ses saxophones, clarinettes, autres tubulaires plus folkloriques, nous semble-t-il ; et David Venzan, tout un arsenal de cloches, percussions aux allures "rituelles", objets sonnants ; il lance une boucle, aussi, après les tâtonnements, sorte de bourdon électronique qui renvoie tout autant aux psalmodies de moines tibétains qu’à un étrange didgeridoo qui aurait poussé ailleurs, loin de l’ile australe. Il semble que ceci, d’ailleurs, déclenche le début véritable du concert. Genta alterne motifs courts – encore une fois aux allures folkloriques intraçables mais entêtantes – et manières de souffle continu, tenu, circulaire… Effet assez fascinant, une fois qu’ils sont parvenu à lancer tout ça réellement. Venzan, à un moment plonge un jeu de cloche dans une bassine pleine. Cela fait une résonance très belle, dans la vallée, cette eau qui avale le son. Ça nous "relance", aussi. Un peu lassés de l'enceinte, nous partons écouter ça d’ailleurs. Nous nous rendons auprès de la trompe basse – colossal objet, décidément –, tournons autours d’elle, quelques temps. Au moment, en plus, où ils décident de jouer des fréquences les plus graves. Quoi qu’en disent les quelques-uns allongés là, devant – y étaient-ils depuis le début de la soirée ?! – c’est littéralement trop fort, aussi magnifique soit cette vibration, projetée et pourtant si présente, localisée, à hauteur de terre. Au sortir d’un bois moins haut – il a fallu le traverser encore – débouchant dans l’aire aux alentours du bar, nous constatons que le jour est en train de poindre. Assez éberlués. Il va sans dire qu’aucun de nous, à aucun moment, n’avait eu l’incongru réflexe de consulter montre ou téléphone portable. Nous avons encore nos verres, voulons les rendre à la consigne. Celle qui nous accueille au débit – on se croise souvent, à Lyon ; je crois, pourtant, que je n’ai jamais su son nom – les récupérant, nous propose à la place un autre demi, le prix desdites consigne s’élevant à celui de la boisson. D’accord. Il paraîtrait en effet presque déplacé d’ouvrir la caisse et de manier de la monnaie, en ce début d’aube. Nous partageons. Elle sort de l’enceinte du bar pour que nous nous entendions tous mieux. Nous discutons un moment. Le son, la musique, se tait puis repart – est-ce toujours le duo ? Considérations sur le meilleur endroit, près des trompes, question de quelques degrés, pour entendre toutes les fantastiques fréquences. Très agréable fin de nuit, que ces mots quelques minutes échangés – je me rends compte que nous n’avions pratiquement, dans les heures précédentes, parlé qu'entre nous, seulement (et souvent assez peu). Le jour continue de monter doucement. Nous, nous sommes bien redescendus. La fatigue gagne. Nous saluons et repartons, pas trop vite. Tout le monde est ravi de cette nuit qui s’achève. C’est la fatigue seulement, cette fois, qui fait que les tentes sont loin. Une fois couché, je m’endors dans la minute. J’imagine qu’il en va de même pour mes deux compagnons. (Mais nom d’un… L’avons nous donc hallucinée, cette route plus loin que le bois ?).


DEUXIÈME JOUR : OMBRE RARE/ERRANCES INCERTAINES/TROMPES MUETTES

À vrai dire – à considérer l’heure à laquelle nous avions fermé – nous nous réveillons tous assez tôt. Vers dix heures – à cause surtout du soleil. Il tape, encore. Et sa lumière est vive. Pas plus, un peu moins de quatre heures de sommeil, donc. Nous avions prévu la fatigue du lendemain, le besoin d’absorber de la fraîcheur. Ce sont donc, après une petit déjeuner un peu plus "normal", des tournées de gaspacho, encore agrémentées de légumes découpées. À l’ombre, dans une clairière du bois de sapins. Nous rediscutons d’ailleurs de la fameuse route. Nous sommes deux à l’avoir entendu, ce moteur, a avoir vu les phares. En montant un peu entre les arbres, nous débouchons sur un ruban crayeux. On n’avait donc pas rêvé. On en est presque un peu déçus… Sans doute est-ce une des voitures de l’orga, qui nous avait surpris. Pas de condiment spécial, aujourd’hui. Pour le moment, l’apéro même ne reste même pas envisageable… On se dégourdit les jambes. Il est prévu que certains festivaliers – qui s’étaient inscrits pour cela auparavant – puissent essayer leur instrument dans le système-son si particulier du site, en fasse passer les timbres par les trompes. Malheureusement, il y a une avarie. Les trompes ne fonctionnent plus. Un incident a dû survenir aux heures où nous dormions. Quelques festivaliers jouent donc en acoustique, "tels quels" des instruments qu’ils avaient prévu d’entendre autrement, multipliés par la montagne. Il y a parmi eux un gars qui joue à l’archet d’une plaque de métal… Ça sonnerait sans doute bien renvoyé par la falaise mais là, nous sommes au moins trois à trouver ça assez pénible. Plus tôt, dans le théâtre de verdure, des gens dont un enfant jouaient à taper sur le clavier et sur les cordes du piano défoncé qui y git en permanence. Un technicien, qu’on questionne, nous dit que l’accès aux amplis est malaisé. Une partie du système est enterré. On n'entendra finalement pas – le doute persiste longtemps – les trompes, ce jour. J’avoue que la journée est bien longue. Nous cherchons l’ombre, le frais. Et à nous occuper. La fatigue n’aide pas mais il fait trop chaud pour penser à reprendre, pour le moment, quelques heures de sommeil. On suit un peu, on explore mollement le lit de la rivière. On traverse "le camping" - comprendre : l’espace le plus parfaitement plat du site, où sont plantées des dizaines de tentes, serrées. On s’y arrête pour parler à des gens – encore des têtes souvent croisées à Lyon, dans le concerts – qui, eux, ont nommé le lieu "Le Vortex". Sur un rocher près de l’eau, où il fait meilleur… On s’envoie finalement une première et légère lampée de genépi – j’avais amené la flasque dans mon sac, "à tout hasard". Le soir paraît un peu moins loin. Idée à la con, toutefois : regagner le chemin en coupant par la pente. C’est de la craie, ça glisse, ça roule. Ça nous prend une éternité pour poser pied enfin sur le chemin. Et on manque plusieurs fois, chacun, de se vautrer dans les ronces. En fait, nous sommes tous trois bien éclatés. Nous remontons aux tentes. La chaleur commence quand-même à se dissiper un peu. Le soleil descend, il y a des coins d’ombre qui naissent. L’un des deux autres se met dans le hamac qu’en arrivant il avait tendu entre deux arbres. L’autre gagne sa tente, enfin passée en zone moins chaude. Je tire la couverture au pied de "mon" sapin. Siestes tardives et générales.

Au deuxième lever, tout va bien mieux. Organisation, encore : nous avons un appareil à gaz ; nous préparons le seul repas chaud que nous avions prévu pour ce séjour. Les pâtes-sauce-tomate c’est tout con mais ça fait du bien, à de telles heures. On se risque au pastis, aussi. Il nous reste un peu de temps avant que ça commence, plus bas. Cette fois les concerts auront lieu à l’altitude du bar. On se remet un peu vaillants… Allez, l’heure approche. On descend.

...

DEUXIÈME NUIT - LE BAL : PETIT BONHOMME/FRANCE/(... et SALSA - rendez-vous manqué pour cause d'épuisement)

Tout de suite – c’était de toute façon évident – il apparaît que l’ambiance, ce soir, sera toute autre. Notre hôtesse des dernières minutes, d’ailleurs, la veille, nous avait prévenus : "Demain, ça sera plus festif… ". Elle avait dit aussi, "Mais ça va être bien aussi, hein". De fait, sous l’auvent en dur, ce n’est pas qu’une scène, qu’ils ont installé : c’est une piste de danse. La lumière décline, encore. Le premier des musiciens à jouer ce soir est finalement en place.

Petit Bonhomme, donc. Ce qu’il est littéralement ! Un type assez jovial. Qui vient, semble-il, de La Suze – dans la Sarthe, je crois. Un curieux décor, sur ses instruments et autours, sorte de musée brut. Peluches et pantins pas tout-neufs, mappemondes qui pèlent… Des sortes de fétiches ? Des signes rieurs et usagés pour faire territoire ? … Quant à la musique : des éléments de batterie joués, tous, avec des pédales – grosses caisses, caisses claires, un charleston d’une drôle de taille… Aux pieds, oui, forcément. Car dans les mains, le type tient un banjo. Et quelle machine ! … C’est parti. Ça ne s’arrêtera pas de sitôt. Ritournelles courtes – fréquemment assez, vraiment belles ; parfois aux inflexions berbères, orientales ; d’autres fois d’une rusticités de terroirs plus proches de nous. Rythmes sommaires qui soudain se syncopent… Et cette énergie ! Il semble inépuisable. Et nous, et l’auditoire, soudain, aussi. Je ne dirais pas que "ça groove". C’est un autre genre d’entraînement, de ronde. C’est en quelque sorte plus "raide" que ça. Martelé, comme ce qu’il imprime a son bric-broc, avec ses semelles et – bien fort – ses talons. Quand il y a envolée… C’est qu’il enclenche l’effet, sur le banjo : la DISTORTION ! À un autre concert où le même avait joué, l’ami Dariev l’avait trouvé "presque black metal". Je suis un peu plus d’accord, maintenant, là-dessus, même si pas complètement. Il y a ces trémolos ultra rapides, ce son d’une dureté de gravier craché en jet, qui arrache, écorche… Le public est pris par cette folie, ce truc frénétique, cette fête et cette tempête des nerfs. Nous avons décidé de nous en tenir à un verre de liqueur verte – pour ceux qui en auraient envie – par musicien ou groupe qui passerait. Je crois que nous avons à peine outrepassée la dose (voire pas tous, allez). Mais l’ivresse gagne vite, avec ce tranquille agitateur, trublion, diablotin joyeux. (Décidément, je vois partout des diables, ce week-end). C’est épuisant. Et parfaitement réjouissant. J’avoue toutefois que je me serais bien passé des rappels. (Il nous fait comme la fois d’avant le coup du "Ah ben j’en ai plus… Bon, je vais rejouer le premier… Ou alors le troisième, là. Le slow"… Devinez si celui-là s’emballe). Il finit par cesser. Il n’y a pas grand monde qui se sente de retomber.

(Un autre verre de liquide herbacé).

Et le temps de changer le plateau, voilà que déboulent France. Comme d’habitude, les trois s’installent non pas sur scène mais au centre de l’endroit, pour jouer en plein public. On les attend toujours avec impatience, France, quand on sait qu’ils vont jouer. On sait qu’ils n’ont qu’un morceau. Sur une note. Un seul rythme. C’est une machine, encore, en quelque sorte – un machine chaude, avec des muscle, des foies, et puis… Imprévisible, avec ça, malgré tout. On sait ce qu’il vont jouer – donc ; on peut chantonner même ce motif obsessionnel, curieusement en ne se trompant pas sur la hauteur, le ton, par avance. Mais jamais combien de temps. Quand ça va s’arrêter, une fois parti. Ils ont cette présence. L’un des compagnons disait la veille, en voyant Gourdon – qui paraît-il jouait de la vielle au bar, après sa performance avec Yvan Étienne (Le Verdouble, voir plus tôt dans mon récit…) : "Putain, c’est le James Dean du trad', ce mec". Et il y a de ça, un côté rocker, agité, rentre-dedans, aussi. Mais surtout avec France, à vrai dire, complètement outre-folk, hors canons, qu’ils sont (seraient-ce ceux qu’on pourrait supposer, nouveau, aux groupes du collectif La Nóvia). Et puis… Du trio, ce n’est pas le seul. C’est un bloc. Et ce sont trois qui font face, bravement, et provoquent. Mathieu Tilly, à la batterie, tient sa battue invariable – le coup de cymbale seulement tombant à sa guise sans qu’on sache quand il va claquer – avec un acharnement, une concentration qui tiennent de la hargne, du maniement maniaque d’un empoigneur de nerf-de-bœuf. Et Jeremy Sauvage - ce nom, déjà – le longiligne, interminable bassiste, avec ses pâtes, a toujours l’air d’un Mod désireux d’en découdre. Il bouscule, et le son de son ampli une fois réglé, ce soir, il balance spécialement rond et lourd. Ils sont en forme, ça s’entend dès l’instant qu’ils y sont vraiment. Et presque tout de suite… Le Jooklo Duo - ceux-là qui avaient le matin même accompagné le jour naissant – se joint à eux. Il faut quelques minutes, en revanche, pour qu’eux trouvent le pas, le ton, l’assez peu et le suffisamment, pour que leurs sons se mêlent à ceux de l’habituel trio, fasse la masse adéquate. Mais lorsqu’ils y arrivent… Le percussionniste, enfin, abandonne tout idée d’orner. À son tour – comme Tilly, et en motif tout aussi court – il s’obsède d’une seule frappe, la tient comme entre les dents. Et la saxophoniste, qui d’abord essayait de jouer des motifs, des mélodies, rejoint les régions spectrales de Gourdon enveloppes déchirées, fréquences en nuages d’orage magnétique. Cycles, encore. Ça joue fort, et longtemps. Là encore ça ne veut pas cesser – et puis pourquoi faudrait-il ! Nous sommes tous attrapés. Ça se déchaîne. Danse collective, mais chacun campé. Pris dans une aura, attirés vers ce pivot inamovible, cercle mouvant et dense aux limites qui vibrent. Densité, oui, vraiment. Tout est saturé. On n’est pas abruti mais on ne peut pas cesser la secousse. Et puis… Et puis encore pire : Yvan Étienne, l’autre vielleux du Verdouble, vient en remettre, s’ajouter, épaissir encore l’onde, le flot inépuisable. Ce n’est pas qu’il reste de la place : c’est qu’ils l’étendent, la font déborder d’elle, de nous-mêmes. Foutu bal galvanique… Ça ne cessera donc jamais, décidément ? Pas plus mal, ou faisons avec. De quelque manière, nous voilà encore tous ivres. Je reconnais des visages, certains que je n’avais pas encore croisés, ces deux jours. Tout le monde a l’air d’humeur forte, et lâchée, exaltée. Ça pousse, ça touche épaule à épaule, ça se serre autours du foyer de sons. Mais pour l’instant, personne ne tombe… Il faut bien pourtant qu’à un moment – on ne voit pas comment, autrement – ça s’arrête. Comme d’habitude, ça s’interrompt comme ça s’était emballé. D’un coup. On reste tous flottants. Gourdon disparaît. Moments d’hésitation. Les autres ont l’air de se trouver bien, ici. Le Sauvage lâche sa basse, prend l’un des instruments à percussion de la moitié masculine des Jooklo – une sorte de tambour sans corps, peaux transparente tendue sur un cercle. Ils tâtonnent un moment. C’est parti, allez, pour une impro, cette fois. Je commence à ressentir la fatigue accumulée – et puis tout ce que je viens de brûler dans leur tour de danse. (Un des autres présents, recroisé plus tard à Lyon, et qui avait enregistré le concert, nous dira que cette fois, ils l’ont joué une heure et six minutes durant, leur fameux morceau unique). Là… Ça peine un peu. Je vois une fille – qui n’était pas loin et se remuait autant que nous, quand on y était tous – vaciller puis tomber dans les pommes, dans les bras d’une de ses copines. Chaleur, alcool peut-être bien, épuisement… Ça ne trouve pas encore, côté musique. Les potes remontent aux tentes. Je reste un peu. Ça prend, puis ça lâche, puis ça revient… Impro, disais-je. Cette fois, et après "ça", moins consistante, pour le moins. Je crois que c’est l’Italienne, avec son sax soprano, qui lance la partie où ça veut bien se maintenir. Et où partant, ça monte enfin. Mais moi, je ne tiens plus trop. Je rejoins à mon tour ma tente. La longue pente ne m’avait jamais semblé si pentue et si longue, si haute. Il fait nuit très noire – et cette fois, contrairement à la veille, les étoiles gardent toutes leurs places fixes, sans que des lignes se tracent, s’effacent, se tirent autrement entre elles, géométries impermanentes… La fin de l’impro m’accompagne, jusqu’en haut. Quand elle cesse, je ne dors pas encore. Il me semble qu’elle se conclut en beauté… Je ne tarde pas à sombrer, toutefois, à basculer dans un agréable sommeil, bien mat et continu jusqu’au matin. (Je rate donc – pardon à eux – le concert de Salsa, duo électronique, même techno, projet des membres de Deux Boules Vanille, dont j’avais une autre fois, ailleurs, plutôt apprécié la musique bien minimale, analogique, dansante, encore, et elle aussi sans fin… Je pense qu’il me sera donné, tôt ou tard de les revoir – et cette fois ci, de veiller).

Le lendemain, nous prenons le temps d’émerger. Nous ne voulons pas, pourtant, trop nous attarder. Petit déjeuner, posé – il reste ce qu’il faut, tout juste. Impressions échangées. Tri de ce qui est encore consommable, il reste des légumes – bref – et de ce qu’il faut jeter. On les rassemble, nos poubelles. Penser à remplir une des bouteilles d’eau, pour la route. Vers onze heures trente, les tentes sont pliées, les sacs bouclés. Nous descendons une dernière fois. La même Camille qui nous avait salué, en premier, à notre arrivée, nous dit que la navette, si on veut, pourra prendre nos bagages jusqu’en bas, d’ici trois quart d’heures. Nous décidons de ne pas attendre, des au-revoir rapides s’échangent et nous voilà partis, tout chargés, sur le chemin blanc vers le village. Il nous semble plus long. Il fait très chaud. Nous ne croiserons pas la navette avant d’atteindre la voiture – c’est un regret de moins ! Mais au fait… Non, il n’y en a pas, de regret. On est tous claqués mais heureux d’en avoir été. Il reste bien des heures, c’est vrai – elles sembleront un peu trop élastiques, l'autoroute comme extensible, et les départementales, avant – de là jusqu’à Villefranche, où nous rendons la voiture ; et puis d'ici, de la maison et de la pause rafraîchissement – merci à ces hôtes-ci encore – jusqu’au quai, et au train. Ensuite jusqu’à Lyon. De l’autre quai, à l’arrivée, débarqués, dans les transports jusqu’à nos domiciles. Allez… Rarement j’aurais trouvé douche froide aussi bonne. Et puis ça ne fait pas de doute : dans un an, s’il se peut, j’y retournerai !


ÉPILOGUE : LES TROMPES VIVENT/TOUS LES ESPOIRS SONT PERMIS

Mon récit enfin clos, je tiens à souligner encore l’efficacité de l’équipe des Échos, son organisation impeccable. Outre la sympathie de tous, nous autres festivaliers – quatre cents personnes tout de même, éparpillées en pleine nature – avons trouvé réponses à toutes nos questions et requêtes. Tout était accessible, en quelques minutes, de n’importe où sur le site – les toilettes sèches et le point d’eau, le bar, le stand de nourritures pour ceux qui n’avaient pas amenées leurs propres provisions, aux heures des repas. Et ce fameux service de navette, aussi, qui nous a permis l’ascension d’un pas plus libre et plus léger. On notera, aussi – ce n’était pas gagné – que nuls tas d’ordures ou autres souillures ne traînaient sur l’herbe, dans la forêt… Nulle part, en fait, nos regards n'ont accrochés à de telles traces au moment de partir. C'eut été triste, vue la beauté du site. Les grands sacs-poubelles accrochés un peu partout et régulièrement renouvelés tout aux long des deux journées/soirées y ont sans doute contribué (outre peut-être une certaine autodiscipline – pas toujours attendue – de tous ces campeurs provisoires, visiblement d’âges, milieux, états endocriniens, couleurs de poils, ce-qu’on-est-venus-y-trouver divers et contrastés). Ah ! Et aux dernières nouvelles, les trompes ont été réparées. L’équipe, même, les a munies – ou va le faire – de nouveaux haut-parleurs. Merci à eux, encore – aux musiciens, aussi, bien sûr, pour cette expérience exceptionnelle. À bientôt, pour certains (si jamais ils nous lisent…). Et souhaitons – j’insiste – qu’il y ait l’été prochaine une édition quatrième. Le propre de l’Écho, après tout, est de se prolonger longtemps.

(PS : S'il se trouve parmi nos lecteurs des festivaliers/festivalières présents à cette édition des Échos, qui en aient pris des images et qui souhaiteraient voir celles-ci illustrer cet article - qui en manque cruellement... Que celles et/ou ceux-là n'hésitent pas à me contacter en message privé. Merci !).

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Dernière mise à jour du document : lundi 26 juin 2017

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