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William Gibson - The Peripheral (2014)
par Rastignac › jeudi 7 novembre 2024
Style(s) : electro / punk
Les romans de William Gibson semblent être jugés de manière ambivalente : l'auteur nous offre des horizons devenus cas d'école dans la catégorie dystopique de la science-fiction, tout en ne faisant parfois pas trop d'efforts pour être compréhensible, sa popularité étant paradoxalement de "niche" et massive à la fois. Si vous ajoutez à cela les traductions en français qui peuvent rajouter des couches ésotériques, et on a comme résultat des livres souvent difficiles à suivre malgré les paysages imaginaires qui sont devenus classiques dans le domaine... mais, malgré tout, William Gibson, je reviens vers toi ! Faut croire que j'aime souffrir ?
Des années après avoir lu avec douleur Neuromancien, douleurs causées par les obscurités citées plus haut, je me remets dans la sauce "cyberspace / cyberpunk" d'un auteur qui a contribué à la création de ce genre littéraire désormais banal vu la surexposition du mythe du hacker à capuche et lunettes de soleil re-popularisé ensuite par les Wachowski ou le studio CD Projekt Red, et d'innombrables films, BD ou jeux vidéos remixant l'esthétique de Blade Runner, Tron ou The Terminator, au choix.
A vue de nez, on a ici le début d'une trilogie comme l'auteur à l'habitude d'en faire, le premier volume d'une série autour du "jackpot", synonyme d'"effondrement" en français chez les fans de Pablo Servigne ou de Mad Max, à savoir l'installation irréversible d'une situation apocalyptique pour l'humanité, mais une catastrophe qui arrive à bas bruit, par petites touches inaudibles de troubles politiques, guerres périphériques, d'effets dominos liées à des changements technologiques, des pandémies, des perturbations des écosystèmes, etc., dont on a du mal à suivre le fil, la continuité, je ne vous fais pas un dessin, vu qu'apparemment c'est un sujet d'actualité me disent les journaux. William Gibson semble donc voir dans ces problèmes un réservoir d'angoisse et d'anticipation qui tombe pile-poil avec des thématiques récurrentes dans ses œuvres : la disparition du bien public dans l'intérêt des oligarchies ploutocrates, les figures d'altérité qui ne sont pas celles auxquelles on pense tellement le brassage des identités ou des sensations est numériquement simulé ou aidé, l'hybridation de l'humanité avec la machine, la création d'êtres très cyniques, experts dans les relations de pouvoir et dont les stratégies de survie sont aiguisées comme des rasoirs face aux innombrables simulacres à l’œuvre. Dans "The Peripheral" on touche beaucoup à la ludification de nos activités, et à la domination des machines pour la création et l'accompagnement (ou la mort ?) de toutes les activités spirituelles, créatives, sanitaires, sociales ou professionnelles, nous offrant un constat froid parfois amusé de tendances actuelles.
Si on la résume à sa plus simple expression, voici donc l'histoire d'une jeune femme (Flynne), issue d'un milieu populaire, au fin fond de l'Amérique rurale dominée par des mafias et cultes, où les services publics sont vus comme seulement intrusifs ou tatillons, et où donc la violence et la démerde sont hyperprésentes, que ce soit pour les civils, comme pour les vétérans des innombrables guerres que ce pays entreprend depuis sa création. En parallèle nous suivons quasiment un (court) chapitre sur deux quelques personnages se situant dans un futur possible, environ cent ans après l'époque de Flynne l'héroïne principale, qui elle semble vivre dans un futur relativement proche du notre, se situant en gros autour de 2050. Ces deux "timelines" vont vite se croiser, interagir, et se transformer sous leurs influences respectives, dans le contexte de ce fameux jackpot à venir pour Flynne, apocalypse passée par contre pour Netherton, le contact d'un certain futur, middle man qui va devenir l'employeur de Flynne, et employé de forces économiques, diplomatiques, policières dont les objectifs et intérêts réels ne vont jamais être clairement expliqués.
Cette histoire comme prévu va être embrumée par la joie que Gibson porte à nous balancer des paysages, sociétés, mœurs, jargons divers, technologies exotiques sans beaucoup de précisions, sans définitions, sans lexique, mais qui petit à petit, à force de répétitions, arrivent à être compréhensibles. Comme dans Neuromancien il faudra prendre pour évident des termes incompréhensibles, un peu comme si l'on était un touriste dans un pays où l'alphabet latin n'est pas utilisé, ou bien comme si on était à la place de Flynne qui essaye sans cesse de comprendre dans quoi elle s'est fourrée, que veulent dire ces communications via simulation de ces personnes du "futur", et ce jusqu'à la fin du livre, et ça : je trouve ça malin. Le texte en devient léger, et parie sur les capacités du lectorat à ne pas vouloir être trop guidé, à être livré à lui-même, à tenter avec plaisir un jeu open world, mais sans tous les bidules d'ATH ou mini cartes qui permettent d'être pris par la main grâce à la bienveillance calculée des studios de jeux vidéo. Non, ici on est tout seul, on tâtonne et petit à petit on est happé par ce récit reprenant à la fois des thèmes récurrents dans l'histoire de la littérature (édens lointains, enfers craignos, peurs millénaristes, paranoïa et besoins de liberté...) et des petites touches d'actualité des angoisses contemporaines autour des capacités des outils numériques à nous brider dans un sens déterminé par des algorithmes créés par des entreprises tout sauf philanthropiques, de la surveillance biométrique généralisée, des traces qui ne disparaissent pas ou alors des passés, mémoires, images, textes, sons pouvant être tellement triturés que le Vrai s'échappe, à la grande joie de manipulateurs professionnels, médiatiques, politiques, religieux, la liste est longue... le tout baignant dans une terreur de la fin de toute humanité, héritière des traditions apocalyptiques d'antan.
Au bout du compte, ce roman est d'une obscurité fantasque, donnant l'impression que tout est déjà écrit, et que les seules façons de changer le cours de destins ou de trajectoires collectives suicidaires et d'avoir le pouvoir, ou de le prendre d'une manière ou d'une autre, un pouvoir qui est imbibé de technologies chez Gibson, toujours aussi traumatisé par le côté irréversible des destins humains, et des malheurs divers engendrés par des choix qui semblent libres, mais... qui ne le sont pas tant que ça.
En NB : préférez le livre à la série, vraiment. Amazon a fait en sorte de non pas rendre accessible une histoire ou des procédés techniques très bizarres dans le livre mais d'épurer un maximum l'histoire, les relations entre protagonistes, qui fait de cette série un ersatz un peu fade de "Buffy contre les vampires"...
Mots clés : cyberpunk, william gibson, dystopie et SF
Dernière mise à jour du document : jeudi 7 novembre 2024
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