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- au groupe / artiste John Dowland (1563-1626)
John Dowland, bookes of songs and ayres, petit guide des interprétations
par Sheer-khan › vendredi 3 janvier 2020
Style(s) : musique classique / baroque / renaissance
La seule intégrale des airs de John Dowland est celle que Anthony Rooley a réalisé dans le cadre de son intégrale des oeuvres du maître anglais pour L'Oiseau Lyre. Cette somme extraordinaire n'est toutefois pas ce que je conseillerais en priorité pour approcher l'oeuvre vocale de Dowland. Rooley a choisi une interprétation majoritairement à plusieurs voix et si le résultat est d'une beauté harmonique, contrapuntique et polyphonique merveilleuse, ce parti pris, couplé à une vision un peu surannée de l'époque elisabethaine, déforce le potentiel proprement mélancolique de ces oeuvres.
SOPRANO :
l'enregistrement du "First booke of songs or ayres" par la soprano Grace Davidson et le luthiste David miller (Signum Classics, pochette 1) constitue selon moi, et sans aucun doute possible, le sommet de la discographie consacrée aux chansons de John Dowland. La soprano y conjugue une voix d'une pureté exceptionnelle à une sobriété salvatrice. Son interprétation allie l'émotion et la maîtrise, la grâce et la subtilité, la moindre de ses inflexions est une leçon de justesse. Discret et irréprochable, David Miller est le parfait accompagnateur de ce miracle vocal. On se prend à rêver que ce disque ne soit que le premier d'une intégrale à venir.
Dorothée Mields (soprano), Hille perl (viole de gambe) et Lee Santana (luth), accompagnés des Sirius Viols, "In darkness let me dwell" (Deutsche Harmonia Mundi). Ce recueil mélant pièces intrumentales extraites des Lachrimae et de l'oeuvre pour luth avec des chansons des divers livres de Dowland est une très belle réussite. Optant pour une orchestration alliant le luth et la viole de gambe et opérant un choix de pièces remarquable, ce disque, merveilleusement interprété, est une très belle exposition, plus complète que celle de Davidson, de l'art peiné du compositeur anglais.
Emma Kirby, accompagnée par Anthony Rooley "Honey from the hive" (BIS records). Interprétation un peu surannée, sans doute, mais Emma Kirby a la classe. Déconseillé à ceux qui cherchent l'aspect le plus triste, le plus plaintif de Dowland. Il faut ici aimer les bonnes manières, éventuellement un peu forcées.
Parmi les autres Soprani dont j'ai eu l'occasion d'écouter les recueils (Maria Skiba, Valeria Mignaco, Siphiwe McKenzie, Kristin hurst, Roberta Invernizzi) aucune ne me semble digne d'intérêt après les lectures de Davidson pour la pureté, ou de Kirby pour le maniérisme, mention spéciale néanmoins pour Valeria Mignaco. Je ne conseille pas le disque "Whose heavenly touch" (Naïve), enregistré par la nouvelle coqueluche du baroque Mariana Flores, pourtant accompagné par l'immense Hopkinson Smith. Elle s'y montre maniérée, trop lyrique, joue l'espièglerie là où la musique se suffit à elle-même (en clair : pas la peine d'en rajouter), accentue les accents (!!) rythmiques, et pêche par un accent trop approximatif, ce qui, ici, ne pardonne pas. Sa voix, qu'elle impose pleine et puissante, ne trouve pas la légèreté indispensable au rendu des émotions. J'attendais peut-être trop de ce disque? Toujours est-il que l'on est face à deux cabots qui finissent par étouffer sous leurs propres gesticulations une musique dont la clarté d'écriture ne doit pas servir de pretexte à l'ornement... bien au contraire.
TENOR :
Les deux recueils de Paul Agnew avec Christopher Wilson au luth (Metronome) sont parmi les meilleurs enregistrements de la musique de Dowland par un ténor (avec peut-être Burwood, voir plus loin). Agnew y montre parfois une certaine préciosité, mais elle sert une émotion dont la sincérité ne fait aucun doute. Son timbre profond, sa maîtrise naturelle de l'accent et son aisance technique en font un des interprètes majeurs du grand Dowland, un des seuls à conjuguer aussi parfaitement l'émotion véritable et la courtoisie maniérée propre au répertoire. Ces disques sont malheureusement quasiment introuvables aujourd'hui.
Justin Burwood (ténor), Rosemary Hodgson (luth) "Sorrow stay" (ABC). Un excellent choix de pièces reparties sur les 4 recueils, et qui fait la part belle à la tristesse. Justin Burwood est juste, sobre, son timbre limpide s'étirant avec une grande délicatesse au long des mélodies plaintives du maître anglais. Dynamique et volontaire quand il faut, posé sinon, il réalise ici un très beau disque.
David Munderloh (ténor), Julian Behr (luth), "Awake Sweet love" (Ars produktion). Une voix peut-être moins pleine que Burwood, quelques approximations dans la justesse, et surtout un luthiste avec lequel je n'accroche pas (son presque metallique, toucher très sec, fluidité empêchée dans le délié des accords), mais ce disque n'en demeure pas moins un bel exemple de musique de Dowland. Le chanteur est porteur d'une belle émotion et évite le cabotinage, en tout cas dans les airs les plus peinés. Ses approximations précédemment évoquées l'empêchent néanmoins de prétendre à l'excellence des deux premiers.
Parmi les autres ténors dont j'ai eu l'occasion d'écouter les recueils (Nigel Rodgers avec Paul O Dette, John Elwes avec Matthias Spaeter, Rufus Müller avec Christopher Wilson, Rogers Covey -Crump avec Jakob lindberg) pas d'alternative, selon moi, même si Covey-Crump ne démérite pas (John Potter et Michael Slattery sont évoqués plus loin dans la rubrique "Adaptations")
CONTRE TENOR :
Impossible d'évoquer Dowland et les contre-ténors sans évoquer Alfred Deller, accompagné de Robert Spencer au luth et du consort of six "Luth Songs" (Harmonia Mundi, pochette 2). Le phrasé particulier de Deller ainsi qu'une certaine limite technique apparaissant dans ces dernières années de vie peuvent très légitimement rebuter certains. Deller n'a pas ici le souffle ni l'incroyable précision des contre ténors de la dernière génération, et sa prononciation forcée peut déranger... il n'empêche : personne, dans toute la discographie, ne fait ressortir la mélancolie de Dowland avec autant d'éclat et d'humanité. La fragilité de la voix, le timbre inimitable du légendaire chanteur mène la musique de Dowland jusqu'à des confins de tristesse inégalés (if my complaints, In darkness let me dwell...). Les airs chantés sont régulièrement agrémentés de pièces intrumentales pour consort de viole ou pour luth seul, parfaitement choisies, faisant de ce double CD réédité dans la collection Hm Gold un des plus grands sommets de la discographie consacrée au compositeur anglais.
Andreas Scholl "Go crystal tears" (harmonia mundi). Même si le disque n'est pas entièrement consacré à Dowland, mais assez largement, difficile de ne pas citer ce remarquable enregistrement dans lequel le chanteur allemand prouve, une fois de plus, sa suprématie, aussi bien du point de vue technique que du point de vue émotionnel. Pureté de la voix, maîtrise des moindres inflexions, sobriété d'interprétation, il tire le meilleur des pièces, par ailleurs très bien choisies.
Dominique Visse (Contre ténor), Renaud delaigue (basse), Eric bellocq (luth), Fretwork (ensemble de violes) "tunes of sad despaire" (Satirino Records). Le toujours étonnant Dominique Visse assume ici le versant le plus triste, le plus sombre, de la musique de Dowland, et choisit une orchestration plus soutenue, alliant les violes et le luth. Il se fait également plusieurs fois accompagné du chanteur basse Renaud Delaigue. Rien à redire au niveau de l'accompagnement : le parti pris est non seulement conforme aux possiblités laissées par le compositeur lui-même, mais aussi particulièrement bien réalisé. Profondeur et richesse harmonique accrue, mélancolie magnifiée, acoustique complexe, le travail des violes donne une ampleur supplémentaire à la démarche du contre ténor. La présence de Renaud Delaigue est aussi à saluer. Ligne travaillée en contrepoint et non en simple doublage, elle impose une gravité presque religieuse qui, conjuguée à la richesse de l'accompagnement instrumental fait sortir les airs de Dowland du cadre de la complainte purement soliste pour les hisser au niveau du madrigal (ce qui est d'ailleurs l'objectif initial du dernier recueil de Dowland "A pilgrimes solace"). Quant à Dominique Visse, le naturel de sa voix, comparé aux textures très lisses et cristallines de la plupart de ses collègue, fait merveille.
Damien Guillon (contre ténor), Eric Bellocq (Luth) “Dowland Luth Songs” (Zig Zag Territoires, réédition par Alpha Classics). Une approche comparable à celle de Burwood : limpidité, évidence, simplicité. Le contre ténor français fait preuve d'une parfaite humilité, rendue possible par une qualité technique et une pureté vocale irréprochable.
Parmi les autres (Doron Schleifer, Steven Richards, Daniel Taylor, Gérard Lesne, James Bowman), une petite mention pour Doron Schleifer (format numérique uniquement, à ma connaissance) et Daniel Taylor, tous les deux recommandables. Le premier dans une approche très épuré avec un choix très axé sur la mélancolie (comme beaucoup il est vrai), le second dans un programme tout aussi lacrymogène mais laissant plus de place aux pièces instrumentales (il est accompagné par l'ensemble de violes "les voix humaines")
STING :
Sa voix aurait pu rendre justice, avec finesse, aux mélodies. Malheureusement la lecture de Sting est lisse , rectiligne sur les pièces lentes, et, à contrario, ses coquetteries rythmiques sur les pièces plus joyeuses sont assez gauches. Son interprétation est par ailleurs très handicapée par une prononciation forcée dont on ne comprend pas bien l'intention, à croire qu'il a enregistré tout en bouffant des chamallows.
ADAPTATIONS : parmis les interprétations prenant des (parfois petites) libertés, signalons les suivantes :
Trio Extempore : "Songs of John Dowland" (Starfish Music) Support numérique uniquement, à ma connaissance. Le trio extempore se compose d'un luthiste, d'un saxophoniste soprano et d'une chanteuse soprano ( Jan Grüter, Peter Dahm et Maren Böll ). La petite particularité de ce disque réside donc dans l'ajout d'un saxophone alto, et son approche un peu cool jazz nocturne. C'est pour moi une très belle réussite. Le saxophoniste privilégie l'atmosphère à la démonstration, y compris lors des passages purement intrumentaux où il déploie de longues notes bleutées. La musique de Dowland s'y exprime dans toute sa douceur et sa mélancolie, y révèle sa beauté lunaire, servie par une chanteuse impeccable, et l'acoustique conjuguée du luth, de la voix et du saxophone dans la reverb' naturelle de l'église où a eu lieu l'enregistrement fait merveille. Le doublage de la chanteuse par une voix masculine (Unquiet thoughts...) où l'apparition de percussions (Shall I sue...) constituent de petites curiosités supplémentaires.
John Potter (ténor) a enregistré pour ECM un disque "In darkness let me dwell", accompagné d'un luthiste, d'un contrebassiste, d'un saxophoniste/clarinettiste et d'un violoniste baroque. La musique, notamment dans sa structure, y est ici plus bousculée que dans le disque du trio Extempore. Une grande place est notamment laissée à l'improvisation, ce qui, malheureusement, se ressent. Les tempi sont ralentis à l'extrême, le grand Potter apparaît de ci de là entre deux complaisances intrumentales qui ne séduisent que lors des deux ou trois premières écoutes, avant de lasser, faute de matière musicale véritable. Le choix de la dissonance semble parfois prometteur mais ne transforme jamais véritablement l'essai (et puis ce violon aigre et pleureur est vite agaçant.) Il s'agit trop souvent de notes allongées à l'excès, d'instruments se satisfaisant de leur seule beauté acoustique... John Potter lui-même ne semble pas à même de trouver sa place, n'exprimant aucune véritable émotion, sinon l'ennui. Les chansons de Dowland sont des miracles de constructions mélodiques; en les désossant ainsi, les musiciens font voler en éclat la grâce et la magie du compositeur, et n'arrivent pas à les compenser, ni par l'audace, ni par la beauté acoustique. Malgré quelques passages subjuguants, et une démarche prometteuse, ce disque se révèle à la longue tout simplement chiant.
Michael Slattery (Ténor) avec l'ensemble instrumental La Nef "Dowland in Dublin" (Atma Classique). Dowland à la mode irlandaise, tout simplement. Flûte, violon, violoncelle, luth, cistre et Shruti box. Alternant intrumentales et chansons, ce disque présente une lecture réussie et rafraichissante. Malgré la présence d'instants à la mélancolie poignante (Slattery est magistral de naturel et de retenue, très loin du chanteur lyrique conventionnel), ce disque reste tout de même une vision plutôt dansante et joyeuse du compositeur, intimiste et chaleureuse. A écouter.
Dernière mise à jour du document : vendredi 3 janvier 2020
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