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 - au groupe / artiste John Dowland (1563-1626)

John Dowland, l'oeuvre pour luth, petit guide des interprétations

par Sheer-khan › vendredi 3 janvier 2020


Style(s) : musique classique / baroque / renaissance

Chronique

INTEGRALES :

Il existe à ce jour trois intégrales de la musique pour luth de Dowland. Elles sont chacune le fruit d'interprètes remarquables, et il serait bien hasardeux de vouloir établir un podium.

Jakob Lindberg (Bis, réédité à prix bas chez Brilliant Classics) est le plus métronomique, le plus mécanique, le plus direct et austère. Pas de lenteur affectée, ornements réduits au minimum, une prise de son brut et sans reverb' (la caisse est pour ainsi dire absente), les notes se détachent les unes des autres avec une rigueur crue. L'éclat harmonique de chacune en ressort incontestablement renforcé, son importance, remarquablement exprimée. Entièrement au service de la partition, le suédois livre ainsi la lecture la plus désincarnée, épurée, certains diront cosmique, de l'oeuvre du maître anglais. L'émotion, incontestable, repose ici entièrement sur le génie d'écriture de Dowland, là où les autres se montrent plus enclins à user de la liberté, prévue par le compositeur et comme cela était d'usage, à orner et travailler la matière première selon leur propre sensibilité. Pour le dire de manière un peu simpliste sans doute : Lindberg exécute, là où North et O'Dette interprètent. S'il est peut-être celui à la technique la moins brillante, son approche pointilliste expose comme aucune autre les éclats harmoniques secrets de l'écriture de John Dowland.

Paul O'Dette (harmonia mundi). L'intégrale du célèbre luthiste américain reste une borne référentielle (même si O'Dette a son lot de détracteurs), et pas seulement parce qu'elle fût la première issue d'un seul et même interprète. Technicien à la virtuosité infaillible, il traverse les partitions avec une fluidité et une aisance parfaite, fondant ses ornements et variations au déroulement général avec un naturel insolent. Si cette souplesse constante tend à uniformiser (très légèrement) l'ensemble des pièces, ceci est partiellement nuancé par la rigueur contextuelle avec laquelle O'Dette appréhende chacune des compositions. Le son est plus organique que chez Lindberg, la caisse y est plus perceptible même si elle reste légère, un équilibre acoustique qui permet de saisir toutes les subtilités et nuances propres à chacune des constructions harmoniques. Dans les paysages de John Dowland, O'Dette est celui qui se promène, léger et sûr de lui.

Nigel North (Naxos). Le plus émouvant, le plus humain, et pour moi le plus poétique des trois. Un son plein et boisé, une caisse profonde et des cordes rondes, au service d'une interprétation où l'attention émotionnelle est constante. Là où Lindberg regarde le ciel et questionne l'univers, North s'assoit au bord du ruisseau, et prend le temps d'écouter.

S'IL NE PEUT Y EN AVOIR QU'UN

Un seul disque? Vraiment? Au prix où sont les intégrales de Lindberg ou North? Ah bon...
Pour Lindberg ce sera « Selected Lute Music » (Bis),
pour O'Dette « My favorite Dowland » (Harmonia Mundi), où le souriant barbu réenregistre ses pièces favorites et bénéficie d'un son plus plein... les critiques qui lui ont parfois été adressées, ou peut-être tout simplement la maturité, 20 ans après l'enregistrement de son intégrale, le poussant par ailleurs à plus de profondeur.
Quant à North, son choix d'une répartition thématique par volume m'amène à conseiller en priorité au gutsien son volume 2 « Dowland's tears » (pochette 1), qui propose le versant le plus mélancolique de l'oeuvre de Dowland (le volume 1, plus porté sur l'imaginaire, est une alternative à envisager).

J'avoue n'être sorti de ces trois intégrales que pour m'en aller chez Hopkinson Smith, « A dream », Naïve (pochette 2). Le luthiste américain, comme à son habitude, approfondi à l'extrême le travail de chacune des pièces qu'il interprète, multipliant les ornements et les libertés, mais avec l'incroyable subtilité, et la virtuosité magistrale qu'on lui connait. Incontestablement la lecture la plus chargée, mais jamais lourde, grâce à l'exigence musicale et à la finesse incomparable du toucher de Smith. Un son magique, complexe, presque flûté, une vision subjective mais d'une pertinence incontestable, Hopkinson Smith réalise un enregistrement d'une beauté absolument extraordinaire, volubile, virtuose et fantasque.

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Dernière mise à jour du document : vendredi 3 janvier 2020

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