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- aux groupes / artistes Kim Gordon, Sonic Youth
Kim Gordon - Girl in a Band : A Memoir (2015)
par Rastignac › jeudi 4 juillet 2024
Style(s) : lo-fi / noise / ovni inclassable / punk / rock alternatif
Kim Gordon, sa vie, par elle-même : voilà ce que propose ce livre, "a memoir", et donc une sorte de journal intime en format abrégé, montrant le labyrinthique parcours d'une artiste à plein-temps depuis son adolescence.
La plus grande partie du livre va nous parler d'elle avant Thurston Moore, et donc avant Sonic Youth, l'autre petite moitié du livre parlant de sa vie avec lui, par l'intermédiaire de quelques pensées rétrospectives sur les albums sortis depuis les années 1980, ainsi que les nombreux artistes croisés sur la route. L'artiste formera donc l'image sacrée d'une alternative au couple rock and roll, cette fois ci "stable" (les guillemets seront ajoutés par l'autrice, beaucoup de guillemets). La tendance Gala-Voici des punks, noise rockeux, expérimentaloux divers verra ainsi chez eux un modèle à suivre hors-norme qui se fracassera dans une ruine insoupçonnée, comme toutes les idoles, comme tout le reste…
Kim Gordon voit les années s'amonceler, des années et des années à trimer pour vivre de son art, tout d'abord sous la forme plastique, graphique, la jeune Kim ayant eu une vie avant Sonic Youth complètement engagée dans l'art contemporain, fréquentant à Los Angeles, puis Toronto et enfin New York de nombreux noms ayant laissé leur empreinte jusqu'à nos jours… elle ne pourra pas non plus s'empêcher de trainer avec des punks après avoir un peu vu de près l'agonie hippie des années soixante et vécu de très près l'ambiance particulière de ces canyons où l'on pouvait le même jour boire un coup avec son voisin roadie de Neil Young puis prendre en auto stop un mec barbu et bien trop bavard, serinant son monde sur une théorie vaseuse à propos de la chanson Revolution 9 des Beatles… le livre suit donc la jeune Kim, vivant à la fois dans une famille très typique américaine intellectuelle, subissant un frangin dont l'ombre portera sur toute sa vie, par son emprise enfant sur elle puis par sa maladie qui le condamnera à vivre aux franges de la société… Quelle fut donc ma surprise de voir que Kim Gordon fut très longtemps considérée comme une hippie californienne introspective par de nombreuses personnes, la voyant jusqu'à aujourd'hui comme consubstantielle de New-York City, l'une des icones avec, allez, Patti Smith, Joey Ramone ou Jean-Michel Basquiat d'une ville complètement chaotique, violente mais aussi un phare culturel à tous les niveaux. L'autrice reviendra bien souvent sur le changement drastique de cette ville, épurée, nettoyée de toute pauvreté, bizarrerie, ne laissant place qu'au commerce de l'art plutôt qu'à l'art tout court.
Ce livre, composé de petits chapitres parle également beaucoup, beaucoup de ses relations, puis dans une deuxième partie de la discographie de Sonic Youth en réverbération de sa propre vie, de son intégrité artistique, puis sur la gestion de la célébrité, de la maternité, de la destruction d'une partie de sa vie et de sa ville après Giulani et Al-Qaida, du fait d'être une "fille" dans un groupe, référence directe à la performance de Dan Graham "Opposing Mirrors" ou plutôt son adaptation avec un éphémère groupe dont Kim Gordon sera une des membres ; la performance, en quelques mots, relevait l'importance du lieu dans l'installation d'une œuvre d'art, l'importance du spectateur, du regard, et plusieurs fois elle reviendra sur le fait d'être depuis Sonic Youth au centre et loin à la fois d'un groupe de mecs, en dessous, en surplomb, spectatrice active d'une machine faite pour "faire", comme les hommes "font" des maquettes, des ponts, des régimes politiques, le regard dénué de charge sexuelle entre eux pour s'unir dans le point de vue, la vision, la construction d'un artefact en débranchant tout sous-entendu affectif… comme on fait un album, un concert, une B.O. de film… un chronique de disque… Bref, le livre est rempli de réflexions sur l'art contemporain, le fait de grandir au milieu du chaos, du changement des mœurs aussi, sur la brièveté de la vie, le nombre de morts étant spectaculaire autour d'elle, ce qui est normal quand on raconte sa vie à la fin et non au début… C'est l'occasion aussi d'entendre quelques anecdotes sur la scène hardcore californienne avec des rendus dantesques de concerts de Black Flag par exemple, sur des concerts improbables comme le dernier de Sonic Youth dans un énorme festival au Brésil ou une generator party au milieu du désert dans les années 1980.
De squats en salles d'expositions, de drames familiaux en pugilats médiatiques, Kim Gordon donne dans ce livre dense une critique sur elle, sur le business de la musique, sur l'art, sur la créativité, la marchandisation du monde, la jeunesse, l'Amérique et bien d'autres choses. Un témoignage qui doit être pris comme tel : brut, pas littéraire pour un sou avec quelques fulgurances qui font ruminer pas mal de choses et franchement ça se lit tout seul ces successions de tracts, de flashs sur des bouts d'existence, de relations évanescentes, de lieux… tout tourbillonne, tout s'en va, ne restent que des bribes de voix hantée, parfois aussi belle que celle de Kim Gordon déclamant ses textes si personnels, s'annulant tous seuls comme cette no wave qu'elle vit crever au moment où elle n'est (pas) née.
Mots clés : sonic youth, kim gordon et autobiographie
Dernière mise à jour du document : mardi 9 juillet 2024
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