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 - au groupe / artiste John Zorn
 - au label Tzadik

John Zorn - The Bagatelles (Jeudi 11 Juillet 2019 - New Morning)

par (N°6) › samedi 13 juillet 2019


Style(s) : jazz / musique classique / avant garde / jazzcore / contemporain

A quelque chose malheur est bon. On ne connait jamais la portée des évènements qui se produisent. John Zorn et sa bande devaient se produire à la Salle Pleyel à Paris le 11 Juillet dernier pour interpréter les Bagatelles, nouvelles compositions de l'infatigable new-yorkais. Et puis le concert est annulé une semaine avant, pour "raisons techniques". Au-delà du lol magistral, de quoi être dégouté. C'était sans compter l'éthique de Zorn, qui n'est plus à démontrer mais qui quand même faut chaud au coeur. Pas question pour lui de ne pas jouer devant son public à Paris le jour dit, donc voilà qu'il se replie en catastrophe au New Morning, petit club de jazz culte un peu craspect mais délicieusement vintage au coeur du Paris populaire (si, ça existe encore). Avec un prix à l'avenant. L'annulation de Pleyel se transforme ainsi en bénédiction...

... d'autant que pour la majorité des spectateurs arrivés pour l'ouverture du club, le concert se fera assis. C'est la cerise sur le gateau. Pas question d'entasser le plus de monde possible, les conditions doivent rester bonnes pour l'auditoire, et on est là pour une longue soirée. Ceux qui restent debout en arrière profitent ainsi d'une vue dégagée sur la petite scène où vont se succéder 14 formations/artistes différentes. Au lieu de la majesté un peu formelle de Pleyel, c'est dans un cadre totalement intimiste que va se dérouler la soirée, d'autant que la plupart des musiciens vont squatter les banquettes des deux côtés de la scène, Zorn en tête de banc qui ne quittera pas son poste, assis en tailleur dans ses fameux pantalons de camouflage, tel un grand-papa couvant fièrement toute sa tribu. Donc concrètement j'ai John Zorn à cinq mètres devant moi pendant trois plombes (un peu plus en comptant les pauses), ainsi que le reste de la bande et c'est un plaisir de les regarder réagir (ou pas) à ce qui se passe sur la petite scène, Mark Feldman se bouchant les oreilles quand le son devient trop agressif, Ikue Mori qui dodeline de la tête, Trevor Dunn qui kiffe attentif et qui ressemble vachement à Alexandre Astier aussi, Kenny Wollesen qui semble taper la sieste entre ses nombreux sets...

Le concert ? Bah j'ai vu Masada jouer dans un petit club à juste quelques mètres de moi, vous avez vraiment besoin de mon ressenti ? Seulement trois morceaux, certe, car il faut laisser la place aux autres, ça s'enchaine si bien qu'on ne peut pas s'ennuyer une seconde, mais putain MASADA quoi. En chair et en os. Zorn/Douglas/Cohen/Baron. Ca pouvait aussi bien s'arrêter après ça, j'aurais eu mon soûl.

Mais ça n'était que l'introduction. Après ça arrive sur scène le génial duo/couple Sylvie Courvoisier/ Mark Feldman au piano/violon, toujours aussi captivant, à la hauteur de leurs fabuleux albums de la série Masada. Puis le Mary Halvorson Quartet et son jazz d'avant garde intense et complexe, la jeune guitariste accompagnée d'une seconde guitare et d'une section rythmique assez infernale (c'est ce même groupe qui a eu l'honneur de clore la série du Book of Angels avec un des meilleurs volumes). Puis le sublime duo de violoncelles Erik Friedlander/Michael Nicolas qui démontre qu'il en faut finalement peu en terme de moyen pour produire des choses incroyables, un seul instrument suffit pour peu qu'on sache quoi en faire. Et puis pour finir cette première salve, les explosifs Trigger qui ont tenté une expérience sismique (la basse a due être ressentie au-delà du périph tellement Simon Haynes la malmenait) à base de jazzcore de gros taré.

Après ça, fallait bien une pause. Tiens, voilà Mathieu Amalric en espadrilles qui vient faire coucou à la petite bande. Ca y va les hugs dans tous les sens. Bien sûr en temps normal ça se passerait dans les backstage mais ici c'est juste à côté, dans l'allée, pendant que les zicos sont au bar à se commander des bières. Pas de séparation franche et nette entre les artistes et les spectateurs (une mince cordelette qui délimite l'espace des banquettes). Ambiance croisière Tzadik un peu.

Et ça repart avec le jazz-lounge bien secoué du Nova Quartet, avec ce grand foufou de Kenny Wollensen au vibraphone, sa chemisette multicolore et sa casquette de vendeur de bagnole d'occasion qui lui font un look en totale contradiction avec sa virtuosité élégante et néanmoins à la cool. Il y aura aussi le fabuleux duo de guitaristes acoustiques Gyan Riley (le fils de qui-vous-savez) & Julian Lange qui malgré un niveau sonore naturellement plus ténu s'imposent à force de beauté pure dans un club attentif, un set qui s'écoute les yeux fermés. Puis le quasi jazz-funk explosif à orgue du John Medeski Trio, avec nul autre que Calvin Weston à la batterie et ça se sent (pour rappel, Ornette Coleman, James Blood Ulmer, vous les remettez ?). Enfin, l'impressionnant Craig Taborn seul au piano pour finir cette deuxième partie avec une interprétation forte en tension pour encore un grand moment.

Re-pause, ceux qui ont peur de rater leur métro vont nous lâcher. On croise Alex Dutilh (monsieur Open Jazz et grand zornophile qui avait obtenu une longue et rare interview il y a quelques années) en pleine conversation avec un musicien près du bar...

Et c'est reparti avec le Brian Marsella Trio, tout en acoustique piano/contrebasse/batterie avec un Trevor Dunn qui swingue comme il faut. Ikue Mori passe gentiment en coup de vent, elle a trois millions de sons dans sa banque de données mais ne clique toujours que sur les mêmes dix ou douze on dirait (c'est ça les vieux ils racontent sans arrêt la même histoire) mais bon je taquine, mamie fait toujours de très jolies choses. Plus le temps de lambiner, le quator d'avant-garde de la pianiste Kris Davis s'installe, où on retrouve l'excellente Mary Halvorson, trop mimi avec son sac à main sur scène et ses petites lunettes (mais aussi son putain de set de pédales, si vous voulez brancher des trucs c'est la bonne personne à contacter), pas facile d'accès mais absolument fascinant. Puis Peter Evans et sa trompette magique, on ne lui reprochera pas de n'avoir joué qu'un morceau vu la déglingue totale du truc, Zorninou avait l'air tout fier et émoustillé. Et pour en terminer en beauté (je sais pas si c'est le mot exact), la méga-décharge dans ta face de Asmodeus, soit Dunn-Kaamelott, Marc Ribot qui ressemble de plus en plus à ton praticien généraliste (il a moins la tête à torturer une guitare électrique qu'à te demander ta carte Vitale) et le batteur Kenny Grohowski qu'on dirait directement revenu du Hellfest, dirigés tranquillou par Zorn lui-même pour une série de déflagrations hallucinantes (Dunn avait l'air de bien s'éclater, Kenny a essayé d'assassiner sa batterie, je sais pas comment Ribot fait pour ne pas péter ses cordes). Sacré Zorn, qui n'en a jamais fini avec le bruit et la fureur.

Soirée absolument fabuleuse, dans un cadre intime au-delà même du simple rapprochement d'avec la scène, car les musiciens étaient pour ainsi dire tout le temps dans la salle. On sentait ainsi bien l'atmosphère de troupe constituée autour de Zorn, on imagine une ambiance un peu familiale, avec une grande diversité d'âge également, des petits jeunots aux côtés de vétérans. Un détail aussi, le tarif à l'avenant du club : 30 balles. Pour plus de trois heures de musique hors-norme avec ces grands musiciens du jazz d'avant-garde. Et une présentation sans le moindre chichi. Tout pour la musique, en somme. D'ailleurs, Zorn aura demandé avant le concert de laisser tomber les portables, pas de photo ni d'enregistrement, "la musique qu'on joue ce soir est pour vous uniquement et pour personne d'autre sur la planète." Une certaine idée de remettre au centre de l'attention la musique elle-même, au moment où elle est jouée. Être complètement dans l'instant, et quel instant incroyable, qui s'est prolongé sans jamais la moindre lassitude (ça aurait pu continuer toute la nuit, même après trois heures).

Anecdote finale : en faisant mon chemin vers la sortie, je croise le regard de Calvin Weston dans l'allée, je ne peux quand même pas ne pas lui dire à quel point c'était génial, le remercie pour la musique et le mec me sert la paluche et me remercie, moi, d'être venu (à l'américaine quoi). Calvin MOTHERFUCKING Weston.

Voilà, soirée inoubliable, dans un contexte improbable pour une telle configuration. La merveille de l'inattendu.

(merci encore au Grand Ancien Nicko de m'avoir rencardé sur cette reprogrammation de dernière minute complètement inespérée car il est fort possible que sans ça elle me soit passée sous le nez)

Mots clés : Zorn, Tzadik, Masada, Bagatelles, New Morning, free-jazz et improvisation

Dernière mise à jour du document : samedi 13 juillet 2019

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