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Trilogie du Bas-Lag, de China Miéville

par Saïmone › vendredi 26 avril 2013


Style(s) : ovni inclassable

Je ne sais pas par où commencer pour vous faire part de l'amour que je porte à l'endroit du citoyen Miéville. Déjà que je m'autorise de moi-même cette tribune que je suis le seul à exploiter (pour l'instant), j'ignore complètement comment attiser votre désir de vous attaquer à l'envergure Miévillienne.

Son nom ressemble à Melville. C'est un hasard, qui prend du sens. Le sens de la démesure, du burlesque, de l'aventure.

Son univers – du moins pour ce qui nous interesse ici – c'est le Bas-Lag. Topographie imaginaire, qui redonne enfin tout son sens à ce mot : imaginaire. Littérature de l'imagine. À prendre dans son sens le plus massif. À savoir : tout est plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Pourtant avec ses tomes de 700 ou 800 pages, il y a de quoi être méfiant. Déjà que je déteste la fantasy... Sauf que point de fantasy, ici, monsieur. Malgré les autocollants, et la collection dans laquelle on trouve Miéville dans les rayons des librairies. C'est de l'imaginaire, ici, qui se fout des limites, des frontières. Il y a un terme, pour ça : le « new weird ». Ça lui va bien.

Car Miéville est ouvertement SF, autant que Steampunk, que Fantasy, que tout ce que tu veux. Les trois romans forment un ensemble autonome, il n'y a aucune interdépendance entre les uns et les autres, hormis quelques liens tenaces, et bien sûr l'univers des personnages fantasmagoriques.

Fantasmagorique, le mot est lâché. L'imagination de China (bon sang quel prénom...) n'a pas de bornes. Il recycle le cyberpunk et ses cyborg, ses modifications corporelles informatiques et robotiques pour en faire des cyborg steampunk – à savoir que la robotique est remplacée par des engrenages, qui fonctionne au charbon. Il remplace l'intelligence artificielle par des artefacts automates. Ici, on déchire le tissu de la réalité pour se déplacer plus vite – on se téléporte, quoi. On se cache dans les angles impossibles de la géométrie – on se rend invisible, quoi. La politique est omniprésente, entre Milice et Fédération – double lecture de l'impérialisme, du capitalisme, et de la lutte perdue d'avance. Miéville établit des utopies, pour mieux les écraser, sous le vernis de la réalité.

Les hommes et les femmes du Bas-Lag, de sa ville centrale Nouvelle-Crobuzon, sont d'étranges agrégats de bêtes mêlées. Bestiaire formé de tête de scarabée, de tête d'aigle (avec les ailes!), d'hommes cactus énormes, d'hommes grenouilles. Des hommes coagulent instantanément, des thaumaturges forment des golems d'air, de lumière, de cadavres. Des monstres dévorent vos rêves, des super-combattans se faufilent entre les mailles du temps.

Avec un sens de la formule qui tape – ici, point de narration alambiquée, c'est linéaire, efficace, comme un roman d’aventure – Miéville abreuve le lecteur de néologismes dans la grande tradition de la science-fiction. Avec un vocabulaire précieux, l'écriture de Miéville brille, parfois dans l'excès. L'excès est d'ailleurs le seul reproche (?) qu'on pourrait lui faire : il est trop bavard. Car des longueurs, il y en a ! L'ennui rôde parfois, car le temps doit s'éprouver. Certaines pages sont lourdes, répétitives, et bien que ça serve à développer l'univers de l'auteur – à tel point qu'il en devienne familier – chaque « tome » aurait mérité d'être élagué d'une bonne centaine de pages.

Sous couvert d'histoires assez simples et gentillettes – très « jeu de rôle » - Miéville cache pourtant ici et là, dans ses recoins, des pièges d'atrocités. Des humains modifiés d'horribles façon (agrégats de corps, de bras de bébé, de fusion d'avec des marteau piqueurs !), torturés, des combats d'une violence inouïe, des morts par centaines. S'il peut donner l'illusion d'un périple tranquille, d'aventure classique, c'est très largement réservé aux cœurs bien accrochés.

Pour faire vite – pour ceux qui ne liront que cette dernière phrase, pour avoir un avis rapide sur la question – c'est magnifiquement écrit, c'est passionnant, c'est bourrin, magique, magnifique, plein d'idées, fantastique, improbable et parfois drôle ! Un monde trésor, une cathédrale gothique et grotesque. Après ça, Miéville offrira au monde l'un de ses meilleurs polar avec le succès que l'on sait...

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Dernière mise à jour du document : jeudi 15 mai 2014

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