Nemo › Présages

Je m'en vais chroniquer Némo, tiens... c'est vrai, c'est loin d'être le groupe le plus expérimental ou barré de la scène prog, mais entre le pessimisme de leurs textes et leur trop rare sincérité dans un monde truffé de branleurs, j'ai envie de m'y coller. Et quelque chose me dit que si c'est Proggy qui s'en charge, il va pleuvoir des 2/6. (c'est complexe, un proggy...). Némo fait du prog : pas du progressif, pas du rock symphonique, pas du prog metal ou du néo prog... non : il fait du prog, tout simplement. Une musique aux racines hard rock et au groove en avant qui se déploie régulièrement en passages instrumentaux bien plus soucieux de rythmes et de syntaxe que d'atmosphères, entre pêche et fusion, un poil de symphonisme, Dream Theater et Uzeb, mais avec un sens particulièrement aigu, et rare, de la non-démonstration. Bah oui... ce qui m'a toujours sauté aux oreilles avec ce groupe, c'est la simple passion de ces gars-là pour la musique. Némo, ils n'admirent pas ce qu'ils font, ils ne se vantent pas de ce qu'ils font, ils ne se contemplent pas à travers ce qu'ils font : non, beaucoup plus sainement que tout cela, ils aiment ce qu'ils font. Moralité, ils font ce qu'ils aiment... voilà pourquoi Némo ne sonne pas avant-garde, voilà pourquoi Némo ne dissout pas sa sincérité dans une recherche absconse de la nouveauté, voilà pourquoi Némo travaille son style de l'intérieur, album après album, avec comme maxime quelquechose qui pourrait être : "Mais pourquoi devrions-nous réinventer quelquechose qui est déjà excellent??" ... et force est de constater que cela se tient, à défaut de révolution. Ce que va chercher la musique du quatuor, à travers ses méandres typiquement classic-prog où mesures impaires et mise en place de jazzeux font bon ménage, c'est le plaisir. Plaisir du son, plaisir du rythme, plaisir du discours musical et de ses circonvolutions. C'est très exactement là que se situe le truc qui les distingue du flot fadasse de groupes pénibles au milieu desquels évolue leur sous-marin; c'est aussi cela qui les rend si percutants sur scène. En production Némo ne cherche ni esbrouffe, ni puissance exagérée, ni densité inutile; guitare chaude, basse ronde et boisée, piano : c'est un son typé, acoustique et propre, parfaitement équilibré que le groupe travaille sans cesse, patient, méticuleux et cohérent. Deuxième album du combo, "Présages" voit l'arrivée d'une des composantes essentielles de ce "son" Némo : Jean-Baptiste Itier, batteur à la frappe parfaite et au groove de doctorat qui n'a d'autre besoin que des arrangements simples et justes pour montrer comment il touche grave sa race. Percutant, sophistiqué et inspiré, c'est un deuxième album d'équilibre, dans lequel la formation installe aussi bien ce groove inimitable ("Générateur", "L'oeil du cyclone" ou "Cavalerie") qu'une inspiration progressive et mélodique ("La mort du scorpion" ou "Les nouvelles croisades"), celle-ci dans son incarnation la plus convainquante à ce jour. Loin des représentants en banques de sons à la Jordan Rudess, Guillaume Fontaine s'attache plus à trouver des notes que des nouvelles textures; un piano electrique, un son de nappe et l'orgue qui va bien constituent l'essentiel de la palette avec laquelle il choisit de travailler; la discrétion par la justesse restant son principal objectif de musicien. Racines hard rock, sens du riff, organiste sérieux; le groupe doit de fait peut-être plus encore à Deep Purple qu'à Dream Theater; artisans du rock dans le sens des premiers, friands d'instrumentales comme les seconds. Un peu terni par une première piste en deça du reste, "Présages" est ainsi particulièrement symptomatique des qualités, comme des défauts, du groupe français. Ouvriers amoureux d'un son qu'ils travaillent sans fléchir, techniciens sérieux à l'interprétation particulièrement élégante, musiciens généreux, friands de groove, Némo est un groupe aussi sincère et attachant que très fortement connoté; Némo n'invente rien, mais il donne tout.