Une musique, on peut l'écouter pour satisfaire sa curiosité personnelle ou pour le besoin presque naturel qu'elle nous procure en rassasiant de décibels nos pavillons gourmands. Mais une musique, en fonction des circonstances, peut également figer l'instant pour ne faire plus qu'un avec notre quotidien, devenant ainsi la partie insécable d'une expérience - bonne ou mauvaise - que l'on va porter en nous le temps qu'il faudra avant que nous élisions tous domicile, pour l'éternité et comme il se doit, dans nos tombes. Lightning Bolt, trio américain devenu duo depuis le départ de leur chanteur, est à jamais gravé dans ma chair et dans ma mémoire comme l'empreinte tenace et détestable d'un mauvais trip. Et force est d'admettre que cela leur va plutôt bien. Sur leur second disque, "Ride The Skies", le groupe impose sa marque de fabrique ; une musique noise, puissante, bruyante sous ses aspects brouillons, une furie malsaine, une course à perdre haleine contre une fatalité destructrice qui marche sur nos pas. La basse de Brian Gibson ressemble à tout sauf à une quatre cordes, planquée derrière son rack d'effets tous plus pourris les uns que les autres. La distortion est telle qu'alternativement on croit entendre une guitare, un clavier, une hélice d'hélicoptère, une tronçonneuse, au choix, et pas nécessairement dans le bon ordre. Brian Chippendale - ça ne s'invente pas - dynamise le tout par un jeu de batterie sec et frénétique, limite épileptique, qui rappelera la débauche d'énergie de leurs compatriotes de Hella. Mais si "Ride The Skies" est un aller sans retour dans la galaxie des abominations auditives contemporaines, Lightning Bolt sait faire preuve d'humour, comme l'attestent leur interprétation toute personnelle de "Frère Jacques" ou encore le délire vocal de "Wee Ones Parade". Cela ne déforce pas leur propos, cela ne le rend pas plus léger. Cela permet juste de prendre tout cela avec un peu de recul car, comme dans la vraie vie, une touche d'ironie permet parfois d'éviter de sombrer dans l'insalubrité mentale.