Georges Aperghis (1945) › Sextuor

Depuis les fameuses "Récitations", il est clair que Georges Aperghis a trouvé son cheval de bataille : le théâtre musical, avec une prédominance de la voix. "Sextuor" ne fait pas exception. Tout ce formidable matériau lettriste teinté d'OULIPO et de dada, on le retrouve ici, dans ce spectacle pour cinq voix de femmes et un violoncelle, sous-titré "L'origine des espèces". Présentée comme une sorte d'oratorio, avec une récitante, un continuo instrumental assuré par le violoncelle, et des solistes qui prennent tour à tour la parole dans des arias ou des ensembles, cette oeuvre, par-delà son côté absurde et délirant, peut être vue comme une vaste fresque musicale qui met en parallèle l'étude des débuts de la vie sur terre (l'essentiel du livret est un résumé du célèbre livre de Darwin) avec des petites vignettes décrivant le côté tragique de la vie moderne (la naissance, l'amour, l'enfantement, la mort... peints au travers d'expériences individuelles), dans une perspective vertigineuse ; lequel aspect vertigineux est bien entendu renforcé par la musique d'Aperghis : outre le chant de la partie "darwinienne" des textes, qui en occupe la plus grande part, ce sont des tourbillons de syllabes qui sont entonnés par le choeur accompagnant ; tout à coup, la chanteuse déraille, soutenue par un violoncelle grinçant et pointilliste, part dans les aigus extrêmes, ou retombe dans des râles indescriptibles. Le texte aide bien dans cette folie : des chants atonaux sur ce genre de choses : "Les Trilobites ont disparu, mais quelques Crustacés, Unirames et Chélicérates, sont demeurés après que furent décimées la plupart des espèces disparates du schisme de Burgess !" Et ça continue une heure durant jusqu'à l'apparition de l'Homme. Ce qui soutient constamment l'attention de l'auditeur, c'est la variété des moyens mis en oeuvre par le compositeur pour donner de l'expression au texte : les circonvolutions du violoncelle, l'alternance de différents types de chants et de récitations, de solos, duos... jusqu'aux tutti les plus furieux, les jeux de lettres, de gorge et de langue... On s'ennuie d'autant moins que c'est tout connement... instructif ! Ecouter de la musique contemporaine en prenant connaissance des théories darwiniennes... Que demande le peuple ? Sérieusement, si l'on peut louer, là encore, l'extraordinaire virtuosité de l'interprétation, renforcée par toute une série de représentations ayant précédé l'enregistrement, il me manque toutefois ce petit quelque chose qui fait d'une pièce de folie (car folie il y a) une grande oeuvre.