Compilations - Divers › Gittin' to know y'all

On salue souvent les artistes pour tout le mal qu'ils se donnent et tout le bien qu'ils nous procurent au travers de leur musique. Mais à force de vivre dans un quotidien qui n'admet plus rien d'autre si ce n'est le rendement, nous en sommes arrivés à oublier qu'ils ne sont pas les seuls à qui l'on devrait adresser notre gratitude éternelle. Prenez Joachim Ersnt Berendt par exemple ; critique émérite de la mouvance jazz, c'est grâce à lui que des personnalités hors normes telles que Sun Ra purent envisager de se produire sur le sol européen. C'est aussi sous sa seule impulsion que se tint, et ce dès 1967, le Baden Baden Free Jazz Meeting Festival en Allemagne, où l'on se bousculait presque pour venir écouter quantité invraisemblable d'artistes à la pointe de l'avant-garde. C'est encore et toujours grâce au même homme si l'enregistrement dont je suis sur le point de vous parler existe, produit par ses soins. "Gittin' to Know Y'All" est un disque énorme. Le fait qu'il propose quatres formations différentes ne devrait pas vous décourager car il s'agit là avant tout d'un témoignage audio tout simplement exceptionnel. Faites comme moi et parcourez de votre regard curieux le line up qui officie sur ce disque. Oui, vous ne rêvez pas ; Berendt est parvenu à réunir deux des courants majeurs du free jazz de son époque, à savoir l'école européenne menée par Albert Mangelsdorff et l'AACM de Chicago avec, en tête, Joseph Jarman, Roscoe Mitchell et Lester Bowie de l'Art Ensemble. C'est sur un thème de ce dernier, qui par ailleurs donne son titre à la présente compilation, que s'exécute ce qui fût pour un soir le Baden Baden Orchestra. On retrouve sur les deux mouvements de "Gittin' to Know Y'All" toute la furie et toute cette générosité communicative qui vous prend aux tripes propre aux formations élargies qui nous ont déjà livré - ou sont sur le point de le faire - des monuments comme "Free Jazz", "Machine Gun" ou "Seasons"... Les trois autres titres mettent en évidence le groupe de Terje Rypdal, les expérimentations vocales de Karin Korg et enfin un duo entre Willem Breuker et John Surman. Moins passionnés mais plus réfléchis, moins expansifs et plus abstraits, ils viennent en parfait contrepoint illustrer progressivement d'autres aspects de la musique free jazz dans le cadre de ce festival prestigieux mais oublié.