Brigitte Fontaine › Vous et nous

Résumons ; en 1968, "Brigitte Fontaine est Folle", sous un éclairage décadent et fantasmagorique, bouscule l'idée préconçue que l'on pouvait se faire jusque là de la chanson française. De 1969 à 1973, la chanteuse se piqua tantôt au jazz ("Comme à la Radio"), tantôt à la musique de chambre ("Je ne connais pas cet homme") pour donner une dimension encore plus surréaliste à des textes qui étaient loin d'en être dépourvus. Enfin, "L'Incendie", puis "Le Bonheur", respectivement en 1974 et en 1976, reléguèrent un instant cette culture du mystère aux oubliettes pour révéler une artiste sensible, capable de très belles choses ; des choses simples. "Vous et Nous", vous l'aurez deviné, est l'étape suivante. Et le maître mot est dualité. Double : Brigitte Fontaine et Areski Belkacem, encore. Vous et nous. Double. Vous et nous : un double album. Un double album de Brigitte Fontaine ? J'en connais qui pouffent déjà et font les yeux gros comme ça à la simple idée de devoir se coltiner plus d'une heure de poésie déjantée, de voix murmurées qui se déchirent ou s'accrochent sur des mots images, et des musiques... Parlons-en des musiques ; "Vous et Nous" cristallise des années de dévotion à l'égard des musiques folkloriques, de Bretagne ou d'ailleurs. De la world music avant même que le mot soit inventé. Les guitares et les percussions restent les seuls phares d'une musique qui fondamentalement charrie le vague à l'âme. En ce sens, "Vous et Nous" ne fait en réalité que prolonger cette démarche entamée dès "L'Incendie". Et Areski de faire songer plus que de coutume à Georges Moustaki. Et Brigitte Fontaine à Marie Laforêt. S'en dégage fatalement un côté plutôt vieillot qui les rattache malgré eux à une certaine tradition de la chanson française (les derniers titres étant particulièrement affligeants ; "Les Roses sont Farouches" ou "Les Muzdus", banjo et harmonica en prime, aux bon souvenirs de Hugues Aufray). Comme souvent, il y a toujours une exception pour confirmer la règle : placé en début d'album, "Patriarcat" soulève de faux espoirs, avec ses arrangements plus modernes (boîte à rythme, mini moog)... Une piste intéressante hélas non exploitée. Car en effet, "Vous et Nous" est peut-être un peu trop long, d'autant plus que pour la circonstance, le duo n'a pas specialement songé à présenter des titres à l'exposé plus conséquent ; on se retrouve donc avec une succession de titres courts qui favorisent plutôt une écoute aléatoire, comme un recueil de poèmes sur lequel on peut revenir à sa guise, sans se plier à un ordre précis qui pourrait avoir raison des plus impatients.