Alan Shorter › Tes esat

En dehors du milieu jazz, il y a déjà hélas trop peu de gens à mon goût pour s'intéresser au brillantissime Wayne Shorter. Alors, combien pourrons s'essayer à son grand frère, Alan, alors que même parmi les mélomanes acquis à cette cause, peu en définitive avaient connaissance de l'existence d'un tel frère, au point d'aller jusqu'à l'ignorer, voire à le rayer des encyclopédies ? D'emblée, mis à part le nom de famille, il est utile de préciser qu'il n'y a absolument aucun point commun entre les deux. Si Wayne Shorter a timidement tâté de l'avant-garde avec "The All Seing Eye" auquel il fit d'ailleurs participé son frère aîné, ce disque a des airs d'exercice pour enfant de coeur en comparaison des deux seuls titres publiés par son frère Alan, "Orgasm", réédité par Verve il y a quelques années, et à présent "Tes Esat", la pièce manquante du puzzle. Il y a une sauvagerie dans la musique de Alan Shorter qui contraste violemment avec l'écriture raffinée de son cadet. Au sein d'un quartet complètement allumé, on trouve aux côtés du trompettiste le saxophoniste ténor Gary Windo, membre du Brotherhood of Breath et dont le souffle acide prend ici des envolées bien plus extrêmes qu'il ne pouvait le faire en temps normal. Le multi instrumentiste John Dyani n'est pas en reste quand il maltraîte sa contrebasse à coup d'archets assassins ou quand il frappe son piano en long, en large et de travers, rivalisant de trouvailles percussives avec le batteur René Augustus. "Tes Esat" dégage une forte odeur de danger, de menace qui, là encore, permet au présent disque de se distinguer des autres albums de la collection Free America. Car, en effet, si tous s'abreuvent du langage free, aucun ne semble aussi vital que celui-ci, vital dans le sens où chacun des musiciens présents ici se donnent à fond comme s'il en dépendait de leur vie. Cette débordante énergie trahit sans doute un rapport beaucoup plus juvénile, autrement dit nettement moins mâture et réfléchi qu'un Steve Lacy, par exemple, mais en aucun cas nous pourrions lui reprocher son manque total d'honnêteté.