Anthony Braxton › Donna Lee

Vu l'immensité de la production d'un des derniers géants du jazz moderne encore en vie, inversement proportionnel au contenu de mon compte en banque, j'aurais bien du mal, même si la volonté y est, intacte, palpable et réelle, de vous faire un compte rendu dans le détail de son oeuvre, d'autant qu'Anthony Braxton est un expérimentateur chevronné, si bien que l'on est en droit de se demander quel aspect insolite ou inédit le saxophoniste/pianiste n'a pas déjà essayé et qui rendrait automatiquement caduque toute tentative esquissée par des musiciens sans culture ? Sur les quinze titres de la collection Free America publié fin 2004, deux albums de l'artiste sont proposés. Le premier, "Donna Lee", est pour moi une vraie découverte. Jusqu'ici, je ne connaissais de Braxton que sa fascination pour les structures mathématiques, son approche radicalement avant-gardiste qui le rapproche en définitive beaucoup plus des musiques contemporaines que du jazz dans son sens premier. Une espèce de prolongation du third stream avec de vives couleurs free. Ici, Braxton s'attaque à ce que l'on peut appeler deux standards en compagnie de deux autres titres de sa plume. La virulence de son propos dans l'interprétation époustouflante de la plage titre, attribuée à Miles Davis, s'impose d'emblée comme une étape à franchir et qui pose la question sous deux formulations différentes : "d'où venons nous ?" mais aussi "où voulons nous aller ?" plutôt que "où allons nous ?". Et c'est bien loin qu'Anthony Braxton nous emmène, au-delà du concevable, au-delà de lui-même, au point qu'il arriverait à effrayer à ne point en douter les amateurs d'Ornette Coleman. "You Got to My Head" garde pourtant ton son impact mélodique derrière ses entrelacs complexes, impression renforcée par la présence d'un réel groupe en support, un contexte dans lequel on le retrouvera par la suite assez rarement. On peut voir aussi en "Donna Lee" comme une entrée en matière plutôt engageante à l'oeuvre du bonhomme, chacun des titres défendant des approches différentes mais pourtant toutes intimement liées à la vision panoramique du compositeur.