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Miles Davis › Bitches Brew

cd1 • 2 titres

  • 1Pharaoh’s Dance19:58
  • 2Bitches Brew27:00

cd • 4 titres

  • 1Spanish Key17:27
  • 2John McLaughlin4:24
  • 3Miles Runs The Voodoo Down14:02
  • 4Sanctuary10:53

informations

Enregistré les 19, 20 et 21 Août 1969 à New York, Produit par Teo Macero.

line up

Don Alias (batterie), Harvey Brooks (basse Fender), Chick Corea (piano électrique), Miles Davis (trompette), Jack DeJohnette (batterie), Dave Holland (basse), Bennie Maupin (clarinette basse), John Mclaughlin (guitare électrique), Wayne Shorter (saxophone soprano), Lenny White (batterie), Larry Young (piano électrique sur 1,3,4 et 5), Joe Zawinul (piano électrique sur 1,2,3 et 6), Jim Riley (percussions)

chronique

  • jazz électrique possédé

Je l’ai examiné de la tête au pied : pas une blessure, pas une piqûre, aucune plaie… rien. Je crains que la fièvre ne dure ; son regard est toujours aussi fixe et halluciné, et son front perle encore… je ne sais pas où il regarde mais il est en proie au délire : regardez son visage, il est ailleurs… terrifié, fasciné… par moments il gémit, son torse se cabre comme pris de tétanie et dans ses yeux énormes, des dieux, des sorciers, la déesse de la mort et la peur faite folie… il n’a aucune blessure, ni piqûre, aucune plaie… j’ai beau ne pas croire en ces choses, ça n’est plus de la fièvre : cet homme est possédé. Dieu seul sait combien de temps il a erré dans cette maudite forêt avant qu’on ne le trouve, au petit matin tropical, enlacé par des lianes et presque entièrement nu. Il avait des restes de raison et il nous a parlé ; son langage était fou, de l’anglais, du papou et du peuhl, et les dialectes étranges des tribus indigènes qui peuplent la forêt. Il a parlé d’un sanctuaire, de la nuit qui y mène, de la peur qui l’entoure… il dit que les mauvais esprits ont dansé cette nuit-là, dansé durant des heures, dansé sans s’arrêter, encore et encore, que sa tête lui fait mal et qu’il a tournoyé dans le ciel sous la lune jusqu’à en perdre l’esprit, drogué jusqu’à la transe et perdu sans repère au milieu d’harmonies d’étoiles et inhumaines, le cerveau assailli de pianos électriques tandis que dessous lui, dans la jungle inconnue roulaient fûts et tambours, feulaient saxo et clarinette et qu’une basse panthère noire s’y promenait comme une ombre, prenant la nuit en chasse. Des quatre coins de la forêt s’élevaient des chants rituels, certains tout proches, d’autres plus loin : cette nuit là les peuplades n’ont eu qu’un seul langage, et chacune dans leurs cases, elles ont chanté l’amour, la passion et la mort… il dit que leurs délires se sont joints en un seul au dessus des palmiers où grouillaient les batteries, les toms et la panthère, et qu’au centre du feu, insensible aux brûlures et tranquille comme un dieu, se tenait Le sorcier qui les dirigeait tous. «Sorcerer ! ! Sorcerer ! ! ! !»… je le revois alors, appuyé contre l’arbre où nous l’avions assis, répétant ce seul mot, levant les mains au ciel, laissant ses yeux nous dire qu’il partait pour de bon… «Sorcerer ! ! Sorcerer ! ! ! ! »… et depuis il est là, agité par la fièvre et ruisselant de sueur, le regard traversé de sortilèges atroces et de visions vaudous. Ce fût son dernier mot, depuis je l’examine pour tenter d’en apprendre. Ses jambes sont à bout de force, tremblantes, ses muscles sont bandés comme un écorché vif et son rictus relève de l’extase pétrifié. Il ne fait aucun doute que les tam-tams l’ont poursuivi, traqué et pourchassé. Les sons et les lumières de la jungle cette nuit-là ont du être terribles, sublimes et incroyables : Corea, Zawinul… il a cité des noms de maudits indigènes qui ont semé sa route de folies et de transes, il a dit que leur art du bout de leurs dix doigts sentait la magie noire, et que ce fût par eux que la fièvre est entrée. Ils ont levé leur mains au-dessus de leurs têtes, dans la jungle tout autour se pressaient à l’affût les ombres et les sauvages, les rythmes endiablés et les tambours sans cesse qui couraient en tous sens, masqués par la nuit moite, et de leurs doigts tombèrent tout le temps de cette nuit des éclats verts et or, des poudres étincelantes aux couleurs inconnues et vapeurs narcotiques… oui, il dit que c’est par eux que la fièvre est entrée. Ce qu’il ne peut pas dire, ce qui l’a emporté, peu importe ses paroles : ce mal je le connais. Car le chant du Sorcier qui s’élève dans la nuit illumine jusqu’au ciel de son éclat d’argent. J’étais au dispensaire, cette nuit-là, enfermé. J’ai entendu Sa voix limpide et pure comme l’eau… j’ai vu ses notes sublimes quitter les arbres humides pour s’en aller s’ouvrir à la clarté lunaire, et alors j’ai compris qu’au plus profond du noir, dans la jungle éveillée, les peuples et les esprits grouillaient à son appel. Sorcerer a chanté, gémit, pleuré encore ; il y avait la rumeur de la jungle possédée et un halo de feu émergeait des hautes palmes ; mais de là où j’étais je n’entendais que Lui, je ne voyais que la nuit et la lune ondulante… lors du complot des chiennes, j’ai vu le chant de Miles prendre place dans le ciel et y peindre des lignes étincelant de pureté. Il les conduisait, les dirigeait, les dominait… de sa trompette prêtresse il éclairait les lieux, les points d’eau et les temples où ils devaient aller, et malgré leurs folies, Il les tenait. Quand le jour est revenu et que le chant s’est tu, nous sommes sortis, et nous nous sommes aventurés un peu dans la forêt. C’est là que nous avons trouvé le pauvre bougre, et que nous l’avons ramené. Depuis il est là, perdu comme au matin… et depuis il est là, ça fait 34 années. La fièvre n’a pas bougé, son rictus est le même et la sueur coule encore. Déjà 34 années et la transe dure encore ; combien d’années encore, puisqu’elle durera toujours. Ce qui l’a traversé l’a transformé à vie… cette nuit-là, à jamais, a changé la musique. Un rituel pour l’éternité ; Il ne se taira pas ; Il possédera encore, Il prendra à nouveau… au milieu du grand feu, Miles Davis officie… divinité terrible, sublime et immortelle… pur esprit, pure musique… au milieu du grand feu le Sorcier officie, rendant la lune esclave de ses chants hypnotiques, conduisant les tribus, aliénant les esprits : un feu sacrificiel qui brûla la musique et ne faiblit jamais : Il est là, Il voit tout… regardez le danser, invoquer et sévir : le génie tout-puissant, vénéneux et tranquille : chaque nuit sous la pleine lune les chiennes complotent encore… chaque nuit et pour toujours : Sorcerer est vivant !

note       Publiée le lundi 17 novembre 2003

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Note moyenne        52 votes

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Aladdin_Sane Envoyez un message privé àAladdin_Sane

Après l'épisode Stevie Wonder, il est temps de se replonger dans cette époque formidable (l'album et les sessions qui vont avec)

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Fryer Envoyez un message privé àFryer

Indépassable oui.

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Sartoris Envoyez un message privé àSartoris

Toujours aussi diabolique et envoûtant

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SEN Envoyez un message privé àSEN

"Pharaoh’s Dance" ! Ce morceau a été ma porte d'entrée dans l'univers de Miles Davis !

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Coltranophile Envoyez un message privé àColtranophile

« Pharaoh’s Dance », éternelle redécouverte tout en étant un compagnon, un familier. Un labyrinthe évident.

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