Muslimgauze › Citadel

‘Citadel’ fait partie, à mon avis, des travaux plus accessibles de Muslimgauze. Tout d’abord de par la longueur raisonnable des morceaux qui facilitera l’écoute des auditeurs réfractaires aux longues structures, ensuite car les atmosphères y sont variées. Bryn Jones y expérimente diverses approches avec, comme à son habitude, une base de percussions vaguement ethno, tantôt lentes, tantôt plus dynamiques qu’il mêle à des climats plus ambient (‘Ferdowsi’, ‘Masawi wife and child’), plus proches de la techno (‘Opel’) ou simplement plus ethniques (’Citadel’). Des titres comme ‘Infidel’ et ‘Shouf balek’ incluent également davantage de mélodie dans leur composition. Un album assez varié mais légèrement moins prenant car il perd quelque peu en cohérence ce qu’il gagne en diversité.

Nous sommes il y a plus de 10 ans ; je suis depuis longtemps un discret lecteur de GoD, et intéressé par la curieuse discographie de Bryn Jones, je cherche un guide à travers les écrits de Shelleyan. Un, peut-être plusieurs passages vers la substantifique moelle d'une œuvre culte mais labyrinthique... J'ai écouté « Coup d'Etat/Abu Nidal », « Narcotic » et quelques autres ; j'ai failli abandonner, car ces disques ne me parlaient pas. Surtout, j'étais loin d'avoir compris que l'oeuvre de Muslimgauze est un immense nuancier, chaque couleur représentant la nouvelle variation de la démarche obsessionnelle de son auteur ; qui comme une substance psychoactive, ne réagit pas de la même manière avec l'organisme de chaque auditeur.

Ce « Citadel » aurait pu passer inaperçu : la note mi-figue mi-raisin de Shelleyan aurait dû me dissuader d'en tenter l'écoute. Ce serait oublier cette pochette, qui m'a fasciné comme un serpent devant le pungi d'un charmeur... Et son morceau-titre qui sera un choc. « Citadel » m'évoque un pèlerin pris de soubresauts mystiques devant la mosquée du Prophète, son âme qui vacille et le marbre éblouissant sous un soleil écrasant. Je pourrais décrire ses batteries tribales, ses synthés tourbillonnants, ses effets sonores qui évoquent un mirage, sa structure hermétique ; la vérité est que ce morceau a simplement su parler à mes tripes, et provoque les mêmes frissons au moment où j'écris cette chronique que la première fois que je l'ai écouté.

Le reste du disque ? Shelleyan l'a parfaitement cerné : « Citadel » est varié et accessible, un Muslimgauze pas encore stabilisé en matière de sonorités. Bryn Jones allait bientôt ne plus utiliser ces batteries électroniques faiblardes et trop peu travaillées. Il me convainc ici plus sur ses tentatives techno, relativement ramassées et efficacement hypnotiques, que sur ses morceaux tribal ambient, un peu désincarnés à mon goût. Bryn Jones est encore trop peu subtil dans son orientalisme ; surtout, il n'a alors pas encore réussi à enfermer sur disque les mânes de la malédiction qui lui colle à la peau et allait finir par l'emporter – vous y avez vraiment cru, à cette histoire de maladie du sang rarissime et fulgurante ? La suite sera plus sombre ou plus maniaque, selon la direction dans laquelle on regarde (côté « Mullah Said » versus côté « Izlamaphobia »). Reste une étape intéressante à découvrir, plus agréable d'écoute pour moi que d'autres travaux contemporains qui vont trop loin dans la répétition, et un morceau-titre anthologique. Un album pour les fans ? C'est probable.