Henri Tomasi (1901-1971) › Requiem pour la paix

Que voilà une œuvre déstabilisante. Le français Henri Tomasi composa en 1945 ce «Requiem pour la paix», pièce très contrastée et qui allie la grâce aérienne de l’apaisement à la noirceur dérangeante du souvenir de la guerre. Ca démarre sur des cuivres austères et puissants lâchés sur roulements de timbales et descente de violoncelle. Le thème un peu gauche qu’ils expectorent sera le leitmotiv pénible et sombre de l’œuvre, revenant nous incommoder l’oreille, alors qu’on se laissait aller à la plénitude des douceurs célestes qui parcourent ce requiem. Car c’est bien aussi brutalement qu’est construite, dans ses grandes lignes, cette partition : une alternance rigoureuse de douceur, mélancolique, radieuse, mystérieuse, et d’agressivité, sonore, mélodique et rythmique. L’épouvantable mélodie hurlée par le chœur du Sanctus Dominus me surgit régulièrement dans le crâne à n’importe quel moment du jour depuis que je connais cette œuvre (ce qui est aussi absurde que désagréable…), et celle du Dies Irae, intronisée par le thème initial, est tout aussi odieuse . Il y en a d’autres, des lâchés de chœur, gros et lourd, aux tournures mélodiques laides et agressantes. Qu’est-ce donc là… lorsqu’en césure de ces douloureux moments se logent de véritables champs de beauté musicale. L’inspiration mélodique de Tomasi s’y révèle riche, originale et prenante, aussi délicat dans la joliesse et la mélancolie que fin dans les nouvelles harmonies impressionnistes qui ajoutent à la beauté le voile de l’étrange et du mystique. Le violon, la harpe, la voix de cristal de la soprano cherchent le ciel et la plénitude. La flûte, le hautbois et le baryton s’articulent sur un chœur susurré comme une brise, annonçant une tempête, et le chant pathétique de la mezzo-soprano prépare de ses envolées lyriques une explosion toute proche. Ayant perdu la foi au spectacle de la guerre, Henri Tomasi délaissera son œuvre après sa création. On la sent de fait torturée, partagée, indécise… déchirée. Entre l’horreur, la laideur, et la volonté de croire encore à quelquechose, ici sobrement nommée «Paix», Tomasi sur la fin de son équilibre livre cette déroutante partition.