Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) › Requiem

Une révolution a eût lieu. Entre la renaissance et aujourd’hui (Biber compose son requiem vers les années 1680, soit cent ans après celui de Guerrero), un certain Claudio Montervedi publie en 1610 une partition «Vespro della beata virgine» qui atteint les plus hauts sommets de l’art de la renaissance, et figure la virtuosité contrapuntique et instrumentale baroque. En 1640, ce même personnage publie son immense «Selva morale et sipituale», recueil de messes, psaumes, vêpres etc… et qui compile toute la science et tout l’art du maître de Mantoue, musique ancienne, renaissance et surtout, déjà, le vocabulaire baroque. Ce requiem de Biber montre comment les instruments ont évolués, comment ils ont pris de l’importance, pour devenir peu à peu musique à part entière aux côtés des chanteurs. Ce n’est pas encore, tout à fait, le cas ici. Les cordes encore tendues habillent les polyphonies toujours très en avant, des accès de vivacité montrent l’orchestre sophistiqué, brillant, digne accompagnement de lignes de plus en plus mêlées, complexes et nombreuses. Ce requiem, par ailleurs, est à 15 voix. Les trompettes peuvent entonner un chant soliste ou lead à l’occasion en relance structurelle, les accès de percussions comme des entrées de cour font leur apparition. La musique est devenue un art complexe et ce notamment grâce à la nouvelle ampleur des instruments, mais aussi par les règles toujours plus poussées et sophistiquées de la polyphonie et du contrepoint. Encore représentatif d’une période plutôt médiane voire jeune de l’âge baroque, le requiem de Biber en possède déjà les contraintes d’élégance, de bienséance et de virtuosité, qui en écho à la luminosité toujours inhérente à une messe des morts réservent des moments de pure joliesse enjouée, bien éloignés de la peine et de l’affliction. Mais il possède aussi, et largement, ses recueillements intenses, ses lenteurs ténébreuses où les voix se lamentent. Baroque, il utilise aussi la nouvelle (et relative) puissance instrumentale à l’usage dramatique, pathétique, comme sur l’Introïtus, par exemple. Le principe du continuo est souvent laissé à l’orgue ce qui accentue le sentiment mélancolique. Introïtus ou Kyrie sont peinés et pesants. Tout en s’inscrivant entièrement dans la logique baroque, à coup de cantates trompettistes et joyeuses, à coup d’Amen pompeux et convergeants mais sans direction vraie et qui laissent entrevoir le règne de la forme pure, Biber retient aussi son souffle, le souvenir des anciens, celui du disparu… et s’autorise surtout à noircir les saillies. Mais il suffit d’écouter les premières mesures de la Sequenz, sur les vers du Dies Irae, pour se rendre compte qu’il faut désormais savoir louer Dieu, bien sûr, et flatter l’oreille, respecter le bon goût et réjouir les exigences des esthètes en mal d’orfèvreries nouvelles. Le «Dies Irae» qui se trouvera être justement le vers où Mozart déchaînera le plus violemment sa sombre passion. Mais il suffit aussi d’écouter ce sequencia jusqu’à son terme, et notamment ses longues dernières minutes, toutes de voix profondes, affligées et têtes basses, sur fond de cuivres graves, pour retrouver le noir, qui sied mieux à la mort.