Si Luce Sia qui adore produire des cassettes nous sort un cd, c’est qu’il y a une bonne raison. Et effectivement, c’est du lourd, Runes Order, rien que ça ! ‘RE: MURDERS’, c’est la face la plus obscure et expérimentale de cette étrange entité, une unique pièce aux multiples rebondissements qui ondule entre le mystique morbide, l’ambient grinçant, une touche martiale en bonus. Rien que pour la première partie, l’achat en vaut la peine. Lourde et funèbre, elle débute sur une infrabasse avec un son de cloche métallique comme pour une procession; des vocaux noyés d’échos annoncent bien vite pourtant qu’il ne s’agit pas d’une voie vers la méditation. Des nappes d’orgue en boucles se lèvent créant une forme de transe glauque dans laquelle se greffent des percussions martiales. Enterrement ? Mise à mort ? On n’est sûr de rien, d’autant que le chant féminin maladif rend l’atmosphère plus terrifiante encore. Une forme de messe noire post-apocalyptique ? Non, un état de grâce sur plus de sept minutes. Puis les percussions et les nappes lourdes se taisent, le climat se fait plus intriguant, plus souterrain également…Les coups ne se sont pas tus mais ils battent dans le lointain, presque étouffés, tandis que des nappes aux sonorités blafardes occupent le devant en torsions malsaines. Quelle richesse de sons ! Des dizaines de détails composent cette trame comme une tapisserie industrielle qui nous hypnotise et nous asphyxie à la fois (les débris de voix calqués sur une scansion robotique dégagent quelque chose d’angoissant). Les sonorités de basse mènent la pièce comme un tsunami au ralenti, écrasant et inéluctable. Alors qu’on approche du premier quart d’heure, un son d’orgue ponctué de grincements nous ramène dans les ruines d’une cathédrales en ruines lardée de fumées toxiques. On baigne provisoirement dans un sentiment d’éphémère ‘sécurité’ mais la voix s’élève à nouveau, prêchant; l’auditeur devine que des temps difficiles sont à venir. Effectivement, l’impression de rouleau compresseur se tisse imperceptiblement mais sûrement. Du grand art et une belle maîtrise de la modulation des couches. Le timbre parait aspiré dans un vortex, ses paroles résonnant comme un avertissement ultime et inutile, ce qui ne réchauffe pas l’ambiance. Nous sommes à la moitié du morceau et sa seconde partie va s’articuler vers un axe nettement plus indus ambient avec un travail sur les nappes, les torsions soniques, les projections fugaces de notes plus claires noyées d’écho, comme pour une messe désarticulée. Toujours cette impression souterraine mais avec un danger cette fois omniprésent, avec des instants plus calmes mais sans répit puisque la voix revient, chuchotante, comme pour s’assurer que personne ne baisse la garde. Ce deuxième segment de ‘RE.MURDERS’ s’avère le plus rêche et le plus éprouvant, comme si le départ funèbre procédait d’un rituel de purification avant l’épreuve ultime. A aucun moment pourtant les Italiens ne cessent à la facilité, aucun remplissage (même si les cinq dernières minutes sont un brin longuettes), les sonorités sont en perpétuel mouvement, mutant de manière ininterrompue comme des cellules cancéreuses. Une fois encore, je salue l’extraordinaire travail effectué quant à la création sonore et la production, sans oublier l’adéquation parfaite entre le chant et la musique. Une oeuvre pas forcément facile (40 minutes d’une traite requiert une certaine préparation physique et mentale) mais assurément du très grand Runes Order !