Interstate Ten, California. Santa Monica vers l’Est, jusqu’en Arizona. De la mer droit au désert. Assez d’essence pour traverser les comtés de l’Etat, et faire la route de nuit. Les insectes dans les phares. Couvrir le bruit du moteur avec le groupe de Palm Desert le plus sombre, le plus agressif, le plus lourd, un jam band métallique au nom de rigueur : Ten East. Si on devait attribuer l’invention du stoner, de ce desert-rock plombé et psychédélique, c’est bien à Gary Arce et Mario Lalli que l’honneur reviendrait. Et voilà qu’ils sont rejoints par leur plus grand fan, Brant Bjork, pour une nouvelle mouture de rock instrumental torché au surf recuit. Mais là où Yawning Man ouvre sur de grands espaces, avec ce touché presque jazz à la batterie, Ten East est compacté le long du ruban d’asphalte. C’est plus brut, plus menaçant, plus compact. Lalli empoigne sa guitare qu’il fait plus noisy, alors que la touche surf-cramée inimitable de Arce semble se dilater de distortions. Des thèmes improvisés au fur et à mesures de longs jams hypnotiques qui cassent la tête, sur lesquels les deux guitaristes se répondent, se tirent la bourre, se donnent des bourrades tranchantes alors que Bjork (perdu ! à la basse cette fois !) et Stinson assurent un déroulé bien linéaire, suivez la ligne blanche et tournoyez autour tels les moustiques s’écrasant au pare-brise. Pas le temps de s’arrêter dans un quelconque motel, Ten East, ça se fait sur la durée, quitte à choper des maux de têtes quand les jams de fin roulent un peu à vide. Mais avant ça, y a du fuel dans le moteur, du stoner-métal sous le capot, même si ça commence pédale douce, histoire de quitter les rives du Pacifique tranquillement, d’imprimer ce style de drôle de quartet à guitares, un Yawning Man doublé en sons surf, juste assez rocailleux pour donner le change. Et puis sur « Aqua Beard » la machine s’emballe, prend un rythme de cavalerie, avec un duo de pas manchots qui jouent sabre au clair, dans le noir, éclairant de faisceaux de lumière abrasive, érosive, la route qui défile sans le moindre ralentissement. Arce, Lalli, duel fraternel, comme un Point Break de l’autoroute, à la recherche du riff le plus cinglant, à coup de répétitions incessantes. « Scrapping the Barrel », c’est la troisième phase, l’engin roule tout seul, Monument Valley n’apparait que sous forme d’ombres gigantesque, les truckers filent dans le noir, les motels et leurs enseignes poisseuses déformées par la vitesse semblent iréels, extraterrestres, c’est le salaire de la peur, la mort aux trousses, le bad trip d’avoir déjà trop roulé. Rythme de croisière sous speed, « Draggin Balls «  (see what they did there ? Au lieu de Dragon Balls. Je traduis ou pas ?) où dix minutes approximatives de question/réponses en mode free-rock lancé en oubliant les zones de freinage, ça dissone, ça dérape, manquant de perdre le contrôle, juste le temps de se reprendre, respirer un coup la fenêtre ouverte et repartir, la paire Mario/Gary ne laissant que peu de répit à la machine. Faudra encore traverser la réserve indienne et après ça, appuyer sur le champignon, ou en reprendre, sur « Spiritual Hangover ». De toute façon, une fois parti sur sa lancée, sur l’Interstate Ten, vers l’Est, plus possible de s’interrompre, rouler, jusqu’à épuisement.