1972, le punk n’existe pas, loin s’en faut, même si aux USA les Stooges et le MC5 ont déjà préparé le bûcher. Ailleurs dans le monde, n’y pensons même pas…Vraiment ? En Allemagne, un certain Rio Reiser, musicien autodidacte, fonde en 1970 avec avec trois potes un groupe du nom de ‘Ton Steine Scherben’ fortement marqué par une politique d’extrême-gauche (Mai 68 ne date que de deux ans) qui les rend très vite populaires dans le milieu des squats berlinois. Leur comportement provocateur ajoute au tableau notamment lors d’un festival en cette même année 1970 où les musiciens n’ayant pas été payés, Rio invite le public à tout casser. En 1971, lors d’un concert dans un hôpital inoccupé, un militant du nom de Georg Von Rauch est tué; le groupe compose aussitôt un titre pour lui, ‘Rauch-Haus-Song’, qui accroit encore sa popularité dans ces milieux. Ce morceau et tous les meilleurs du combo figurent sur un second album sorti sur leur propre label, ‘David Volksmund Produktion, celui dont je vous parle. Il serait bien sûr prématuré de parler ouvertement de punk rock et pourtant…Moins pop que les singles précédents, il sonne aussi punk que pouvait sonner le Nina Hagen Band sur leur premier disque. Très rock, avec des influences blues sales, parfait support pour le chant de Rio, il s’aventure pourtant déjà dans des tonalités plus froides et menaçantes qui ne sont pas si éloignées du punk des débuts qui n’était rien d’autre que dur rock accéléré ou avec une attitude. Ainsi l’excellent ‘Wir müssen hier raus’ qui n’a pas pris une ride, ‘Schritt für Schritt ins Paradies’ ou ‘Kein Macht für Niemand’. Les textes de Reiser, forte tête, homosexuel assumé même si non revendiqué, du genre qui ne s’en laisse pas compter, y sont bien sûr pour quelque chose, fortement gauchistes et flirtant goulument avec l’anarchisme, de même que son timbre légèrement rocailleux, capable de passer d’une colère froide (‘Rauch-Haus-Song’) à des touches plus ironiques, voir tristes (‘Der Traum ost aus’). La musique sonne plutôt classique mais dégage néanmoins quelque chose qui préfigure nombre de compositions punk allemandes quelques années plus tard. Nous sommes loin du goût pour le cabaret situationniste de Floh de Cologne, la musique de Ton Steine Scheiben évoque les endroits enfumés, les petites salles, et si l’instrumentation est classique, les arrangements le sont un brin moins, une légère influence Krautrock s’y ressent même par instant. Les musiciens sont bons mais cela n’empêche nullement un ton direct qui, je n’en démords pas, préfigure clairement certains des premiers essais du punk teuton (et puis, bon, le look des musiciens s’en rapproche quand même un peu). ‘Keine Macht für Niemand’ reste une pierre à part de la discographie du groupe qui dès le disque suivant variera ses influences en incluant des arrangements jazz et folk. Les paroles se feront plus sophistiquées, moins acerbes, même si Rio Reiser ne se départira jamais complètement de sa ligne de conduite anti-système, ce qui lui vaut toujours, vingt ans après sa mort, un statut culte dans la scène rock allemande en général. Pochette blanche voilée dans le noir libertaire…