Les rééditions, c’est cool. Ca permet de découvrir des tonnes de trucs qui seraient restés sur les bas-côtés. Les rééditions, parfois, c’est trompeur aussi, surtout quand d’un coup une scène devient « à la mode », même au sein d’un cercle réduit. Parfois, ça vend un peu la peau de la vessie sous forme de magnifique lanterne. Ah, le cas Bunalım… La pochette évoque plus un bon gros gras groupe garage rock bien fuzz que la scène Anatolian Pop. Ca tombe bien, c’était le cas. En live en tout cas, la formation menée par le guitariste Aydın Çaku était apparemment très portée sur un blues rock à la Blue Cheers avec vumètre au rouge vif. Manque de bol, des enregistrements live de Bunalım, y en a pas. Dommage, parce qu’on sent bien au vu de leur premier single, le seul qui témoigne de cet aspect de leur musique, que ça devait envoyer le paté (d’agneau, on est en Turquie) sévère. Alors le premier single, il est réparti dans cette compilation sur les pistes 5 et 6. Bon, déjà, c’est pas parce qu’à l’époque les labels turcs sortaient des compiles mélangées un peu n’importe comment qu’il faut faire la même chose en 2006, surtout quand on parle d’un groupe qui n’a de fait sorti qu’une poignée de singles sous son propre nom, le reste étant attribué à trois vocalistes pour lesquels Bunalım faisait office de backing band. C’est que Bunalım reste avant tout la chose d’un putain de guitariste rock, Aydın Çaku, le reste du casting voyant défiler quelques noms qui joueront chacun leur petit rôle dans le développement de la scène Anatolian Pop. Trois singles sous leur propre nom, pas plus, c’est peu. D’autant qu’après le tout premier où on trouve le classique « Taş Var Köpek Yok », grosse boucherie garage signée Cem Karaca, et une reprise bien fumée d’un classique blues version Iron Butterfly, le groupe doit se conformer un peu plus au marché qui ne goûte guère une musique à ce point occidentale, au désappointement de son leader qui n’a que faire de cette pop anatolienne issue du folk turc. Un deuxième single instrumental bien goutu (pistes 1 et 3, tu sens en peu l’entourloupe ?) fait encore rugir un rock garage plus teinté de musique turque, y compris acoustique, notamment sur le très vaporeux « Bunalım », mais c’est surtout derrière des vocalistes que Aydın Çaku et son gang de chevelus vont enregistrer désormais. A commencer par l’ancien chanteur des Moğollar, Aziz Azmet, pour un mélange proto-hardos-türkü qui s’inscrit dans la droite lignée de Cem Karaca ou Erkin Koray (avec lequel Aydın Çaku enregistrera un single fameux sous le nom de Ter, malheureusement non inclus dans cette compilation, on se demande bien pourquoi au final vu que le guitariste est globalement le seul point commun à tous les titres ici présent). Les titres enregistrés avec Rıfat Öncel sonnent encore plus folk-rock, bien que Çaku arrive à placer ici ou là un gros riff bien senti, on sent à la comparaison avec les singles précédents que le pauvre garçon bout un peu, voir s’emmerde (d’autant que le fade-out flingue le solo qu’il avait réussi à dégainer finalement). C’est comme ça, on ne fait pas toujours ce qu’on veut, hélas, on n’en a jamais pour son argent. Avec le très expressif Fikri Takbak, c’est clairement plus rock, voir l’intro explosive de « Bir Dünya Da Bana Ver », la vraie patte de Bunalım ressort à nouveau même si le chant modulé inscrit cette musique bien loin du garage rock crasseux qu’affectionne plus que tout Aydın Çaku (qui finira métalleux au Etats-Unis pour lesquels il s’exilera dès la fin des seventies). Pour autant, « Aşk Senin Bildiğin Gibi Değil » est une synthèse parfaite entre hard blues et Anatolian Pop, une idée de ce qu’aurait pu être le hard-rock turc si il s’était éloigné un peu plus de ses influences traditionnelles folk (c’est à dire aussi un peu moins singulier peut-être si non moins efficace et prenant). C’est en solo, alors que le guitariste assure le rôle de chanteur, que le groupe sort son dernier single avant de se séparer, pour livrer une dernière fois une version nettement plus portée sur un hard-blues teinté de mélodies orientales lancinantes. De quoi faire la légende du guitariste qui en voulant jouer du garage rock dégueulasse aura apporté sa pierre à l’édifice de l’Anatolian Pop un peu à son corps défendant et aura fédéré autour de lui une poignée de musiciens qui s’éparpilleront ensuite autour des grands noms de la scène. Et laissé une poignée de singles plus ou moins mémorables et importants (« Taş Var Köpek Yok », indiscutablement), regroupés dans une compilation n’importe comment, comme à l’époque. C’est ça aussi, les rééditions.