3 Hür-El (prononcez « utchurel »), c’est un peu les Tri Yann de l’Anatolian Pop. Comme leur nom l’indique, ils sont trois. Comme leur nom l’indique, ils s’appellent tous les trois Hürel. Mais 3 Hür-El, c’est pas tout à fait comme les Tri Yann non plus. D’abord, ce sont des frères, des vrais. Et puis contrairement aux trio nantais le plus célèbre du renouveau breton, ils ont une spécificité qui les place bien à part dans la scène turque de l’époque : ils ne font pas de reprise de traditionnels folk. Feridun Hürel, le guitariste/chanteur, compose mélodies et paroles (à part deux textes signé Onur) sur la base de la tradition mais sans prendre la peine d’adapter. De la création pure et simple, un cas unique pour l’époque. Issus d’une famille modeste mais plongés dans la musique depuis leur plus jeune âge, les trois frères Hürel font partie de plusieurs formations avant de se fixer en une formule en trio plus minimale mais suffisante pour se faire remarquer le temps d’un single avec le bientôt fameux chanteur Ersen Dinleten. Obtention de contrat pour un premier album que voici, comme souvent composé de singles déjà sortis mais aussi de nouveaux morceaux. Un son sans fioriture, un folk-rock aussi bien acoustique qu’électrifié, guitare ou saz. Les textes, pour autant que je sache, restent sur des thèmes traditionnels, des histoires d’amours malheureuses, de séparations d’avec le pays, le village, la mère, la femme. Et puis parfois aussi la mort qui se pointe et qui souille les robes de mariage. Putain mais on se croirait en Bretagne, comme quoi mon analogie liminaire n’était pas si tirée par les cheveux que ça. Contrairement à moi, les 3 Hür-El sont concis, juste assez d’espace pour laisser la section rythmique se lâcher le temps du redoutable instrumental percussif Anadolu Dansı ou sur l’intro en stop/start de Ve Ölüm. Un son de guitare qui sonne forcément un peu psyché parfois, mais plus parce qu’elle est fidèle à son époque et que les effluves orientales qu’elle exhale, couplées au saz, se prêtent à ce qualificatif. Mais ne pas chercher d’effet psychotrope de studio ou de gros fuzz qui tâche, 3 Hür-El pratique encore un artisanat dont la nouveauté ne se mesure pas à l’épate, c’est étonnamment mesuré y compris au niveau du chant. Certainement pas par là qu’il faut aborder l’Anatolian Pop si on cherche le choc révélateur, ça s’apprécie d’autant mieux au fil des écoutes. Mais la richesse y est, ne serait-ce que par le refus de s’appuyer sur des morceaux existants, la musique étant d’ailleurs souvent délestée de toute scorie pour laisser toute son importance à la voix claire de Feridun et ses textes. L’air de rien, les frangins sont en plein défrichage, ils savent très bien ce qu’ils font et leur musique est à leur image, précise, totalement au cordeau mais d’une grande liberté, réécoutez-moi ce formidable « Pembelikler » final, à l’emballement de percussions qui succède à une balade qui ne déparerait pas sur le troisième Velvet (oui, ça m’est venu spontanément cette association lointaine). Le nom du groupe est d’ailleurs une sorte de jeux de mots un peu foireux signifiant « trois mains libres » à partir de leur nom de famille, pour autant que je puisse en juger avec mon niveau merdique dans la langue d’Atatürk. Bon ben plus je relis ma chronique, plus je me dis que je n’ai sans doute pas réussi à retranscrire vraiment la qualité de cet album, alors que plus je l’écoute et plus elle me saute aux oreilles. Des références incongrues jetées pêle-mêle, des anecdotes relativement ennuyeuses comme une fiche Wikipédia et des traductions aussi aléatoires qu’une recherche Google Translate. Oui, décidément, « 3 Hürel » mérite beaucoup mieux. Bon, si vous aimez le folk-rock seventies, le saz et les percussions orientales, voilà un album classe qui n’en fout pas partout. Et sur le suivant, Feridun dégaine sa guitare/saz à double-manche ! C’est pas du teasing ça ?