Hubert-Félix Thiéfaine › Suppléments de Mensonge

Le Thiéfaine d'après la chute, Volume I. Pour l'anecdote Thiéfaine se paie deux poses photo totalement goth' dans le livret de cet album au titre d'inspiration nietzschéenne (La Gaya Scienza), aux références entremêlées de littérature, de philosophie et de folklore. Avec sa capuche baissée, avec son corbac sur l'épaule, et avec du khôl, contrastant-collant avec-à la façade torse-nu-presque-bien-dans-sa-peau de vieil ado. Hachèfeté, qu'est-ce que tu nous mijote encore, brigand ? Pas un album romantisme noir, non. Ou plutôt pas exactement. L'ami Hubert-Félix évolue avec prudence, lui... Même si le romantisme est là, il est propret, balisé, sans grand danger. Sans gouffres comparables en quoi que ce soit à un "Alligator 427". Le noir est délavé ; c'est du Poe au lait, du Thiéfaine mieux dans sa peau et qui se caresse la madeleine dès l'intro. Autre moment de sa vie, autre approche. Dès cette "Ruelle des Morts" mélancolique, inquiétude manifeste, ou plutôt confirmation d'une évolution musicale plus amène aux oreilles tièdes : arrangements Yann Tiersen, nostalgie franchouillarde, évidemment ce n'est pas du Bruel (qui désormais lui fait des compliments à la télé, comme si cela allait racheter ses nombreux crimes radiophoniques) mais tout de même malgré la mélancolie sincère - ou plutôt enfantine - qui s'en dégage quelque chose d'assez 'confiture Bonne Maman' et un peu tarte, un goût de nouvelle chanson fanée... Automnal, comme cet album en somme. Fané... affadi par ces guitares acoustiques quelconques et cette ambiance ritournelles de jardin d'hiver. Donc pas vraiment ma came. Un Thiéfaine un peu trop bobo à mon goût, peut-être est-ce la proximité avec les médiocres nouveaux chanteurs français ou des tièdes comme Bertignac et des fâcheux comme Saez qui l'ont conforté dans cette musique sans éclat, peut-être devrait-il s'entourer d'artistes plus inspirés, peut-être n'a-t-il plus envie de faire de chansons ayant de la persistance. Pourtant les paroles et le chant restent pur Thiéfaine jusqu'au bout des syllabes. Avec lui, juger les paroles est aussi aisé que de savoir si les éléphants à pattes de girafe sont une bonne idée, ou si De Chirico aurait dû peindre avec plus de couleurs chaudes. On ne peut : Thiéfaine reste imparfait mais assez seul dans son ravin fleuri. La promo médiatique assez fournie qui suivit sa sortie (l'effet "retour") m'avait quelque peu refroidi de l'écouter, pas par snobisme anti-populo ou peur de lier une écoute relaxée de HFT à l'abominable tête mongoloïde de ce présentateur du service public saisi de spasmes à chaque ricanement, non, juste parce que je pensais à tort à un album très aseptisé, avec un son de variété, un album de vieux chanteur qui doit encore vivre de sa plume et de sa voix. Et je n'avais pas bien tort. Après tout, il a fait un duo avec Cali dans les années 2000, le Hachèfe, et ceux qui vont aux Eurockéennes doivent bien confondre Alambic/Sortie Sud avec ce genre de disque. Supplément de Mensonges est un peu plus coquet que ça pour l'amateur, même s'il s'attachera surtout aux mots, la musique étant sans aspérités (on y décèlera surtout de la gratouille facile et de la ballade raplapla). Un album qui louvoie. Louvoyer : verbe inventé pour Thiéfaine... comme tant d'autres. Un album qui agace aussi, comme sur "Garbo XW Machine" écrite par un des Innocents (pitié maman, pas encore "Colore", pitié !) où Thiéfaine sonne laid et gauche, comme cela lui arrive parfois depuis quelques années. "Les Ombres du soir" aurait pu être magnifique, ça n'est hélas qu'une tentative là où un autre réussira "Comme un Lego". Suppléments de Mensonge n'est pas une déception, non, à moins d'avoir oublié quelques précédents albums médiocres de Hubert-Félix, l'homme qui ressemble de plus en plus à un Harvey Keitel avec un regard à la Charlotte Rampling et qui sonne plus que jamais comme un chanteur de plateaux guindés malgré son imagination toujours aussi fertile. Juste une vérification, mi-réconfortante mi-tristouille. La confirmation que plus rien n'aura le même cafard désormais, sauf électrochoc inattendu. Je ne retiens de morceaux de poids que "Ta vamp orchidoclaste", pour la saveur de ce néologisme taquin (je l'ai cru initiateur, n'ai pas vraiment vérifié), la ballade "Petit matin 4.10 heure d'été", et "Lobotomie Sporting Club" où je retrouve enfin le mordant et le caractère obsédant du Thiéfaine que j'aime. C'est assez maigre.