Unsane › Wreck

Je suis un peu rangé maintenant, gamin. Alors arrête de me traiter de couille molle, j'ai encore une mandale bien charnue qui mijote pour ta face, au cas où, dans ma poche droite. Je joue du post-hardcore, de l'emocore, du noise rock aussi, tu piges pas ? T'as pas vu comment je déstructure mes riffs ? Je suis noisy, petit ! C'est violemment dissonant, et y a de l'ironie... c'est alternatif ! C't'un truc d'adulte, tu saisis pas, t'es trop jeune, un jour tu comprendras. Je rentre chez moi à 20 heures pour le dîner maintenant. Je prends des petits déjeuners complets, je vais à la salle de sport, je suis passé aux transports en commun, je paie des impôts. Tout est calculé et bien rangé dans le classeur comme les factures de gaz. Tu me diras, tout ça me pendait déjà au nez quand je suis passé chez Ipecacolac, alors que tu me trouves "tout tarabiscoté et un peu chiant" comme tu le dis si aimablement, j'en ai rien à cirer, je suis toujours moi-même bordel : ce son, c'est moi non ? Ce hurlement, c'est aussi moi ? Alors qu'est-ce tu m'fais chier ? Qu'est-ce qui te dérange tant ?... Gnmmmf... bon allez, OK, on arrête... j'avoue tout gamin... c'est pas tant que je sois marié ; ça, c'est acquis, je le suis depuis dix ans. Non... c'est pire : je suis amoureux. Pas de Bobonne, petit idiot ! De l'autre ! Elle est jeune, elle est mignonne, elle sent la vanille de synthèse, me susurre des "Chrichri chéri" au creux de l'oreille, me donne des idées, me dit que je suis un artiste, un emocoreux, que je transmets des émotions... les potes à côté de ça, tu penses, c'est peanuts : j'ai tourné la page. Je mérite mieux que de me visser une casquette et de tendre mon cou pour pousser des hurlements... J'ai besoin d'être aimé, tu comprends ? Putain, à quarante berges, j'ai le droit, merde ! J'suis désorienté mais j'ai pas complètement oublié d'où je viens, hein, je suis encore là, tout près, dans le quartier résidentiel, juste faut pas me faire chier avec vos conneries de virées nocturnes, c'est fini ce temps-là... j'en ai la larmiche, hein, "Decay" comme je dis. Et pis t'as vu : je fais encore du bruit hein, je suis sauvage, et j'ai pas effacé mes tatouages sous les ordres de Bobonne, ils sont encore là, délavés, turquoises, mais là !... Quoi ça t'impressionne plus, ça te les gave ? OK, mffff... J'm'en fous de toute façon, d'être HxC ou pas, je fais des reprises d'un dauphin mec ! C'est ça d'avoir de la culture ! Et je me marre, ha ha ha... je me marre pour oublier que ces connasses me les brisent. Pour oublier que j'ai de plus en plus envie de me remettre aux virées sordides. Pour oublier que le seul liquide rouge que je fais couler c'est le cabernet dans des verres en cristal de Bobonne. Pour oublier qu'il faudra que je jarte cette pisseuse, aussi. J'ai quand même de plus en plus la sensation tenace d'être manipulé. P'têtre que je devrais vérifier, elle a quand même pas mal de copains de son âge qui tournent autour... des fois je pense passer à l'improviste à son appart, avec mon fer, qui dort toujours sous les chaussettes. Juste pour vérifier. Au cas où. Ma bagnole ? Owwww, 'culé... elle est dans le garage ouais... je pense la revendre, depuis des années. Mais je la garde quand même... Au cas où. Tiens : l'autre matin, je passais prendre la tondeuse, pis j'ai frôlé le drap qui la recouvre (bobonne me surine de la revendre depuis des années, depuis qu'on prend les transports en commun et qu'on a l'utilitaire tout confort en fait)... et puis sans faire gaffe en passant devant la tire poussiéreuse, furtivement comme on dit, mon regard a croisé son phare droit, qui dépassait... Quelque chose m'a traversé l'esprit... Comme un frisson...