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Ture Rangström (1884-1947) › Ballade pour piano et orchestre

cd • 3 titres • 55:40 min

  • Ludvig Norman (1831-1885)
  • 1Pièce de concert pour piano et orchestre op.5414:48
  • Ture Rangström (1884-1947)
  • 2Ballade pour piano et orchestre (1909-37)22:03
  • Adolf Wiklund (1879-1950)
  • 3Pièce de concert pour piano et orchestre n°1 op.118:39

informations

Enregistré du 7 au 10 juillet 2011 au Umea Concert Hall.

chronique

Le piano commence seul... il le sera souvent. Six notes graves et profondes qui s'amassent et qui grondent, et que viennent couronner les quatre gouttes de pluie d'un accord étoilé. Le son ample et puissant de l'instrument résonne dans le ciel alentour, comme une menace d'orage... dès les premières secondes s'impose cette évidence, la force fondamentale qui émane de cette pièce : le silence comme décor... si on tend bien l'oreille, on peut s'apercevoir que des timbales lointaines sont venues secrètement assister le tonnerre. Nous sommes bien chez Rangström. Une ballade nous dit-il, une pièce évocatrice comme à son habitude, et dont le déroulement rélève une fois encore de la fantaisie capricieuse. Une oeuvre qui se structure autour de ces longues plages de clavier solitaire, ces minutes sans orchestre, où le piano s'écoule dans le désert sonore, s'éparpille, martèle un accord noir, hésite, attend. C'est fou comme le silence est un décor changeant. Quelques notes de piano et il est comme une grotte, tout au coeur des montagnes, où l'on entend le chant de la roche qui s'égoutte; si l'instrument hésite, avance à petit pas, un accord puis un autre, deux trois notes qui se suivent, un accord à nouveau, il devient une forêt dans la nuit inquiétante, où le héros perdu hésite à pénétrer. Si c'est la nostalgie qui guide les harmonies, un discours plus posé, fluide et mélancolique, alors c'est la campagne, les prairies et le givre. Rarement l'espace qui lie la résonance des graves à l'éclat des aigus n'aura été aussi sensible qu'ici, aussi nu. Le piano sans personne, seul face à ses questions, libre de ses ruisseaux comme de ses rêves sauvages; une errance virtuose, imbrication savante d'harmonies joaillières, de mélodies pluvieuses, et de fragments de vide où perdurent des échos. C'est d'ailleurs l'image qu'on en garde, longtemps après l'écoute; le souvenir persistant d'un instrument souverain et aux multiples frasques, dont la vaste présence scintille dans le néant. Pourtant l'orchestre est là, quelque part, toujours prêt à surgir, à jaillir, à faire naître l'océan, un ciel lourd de nuages, un horizon lointain vibrant au crépuscule; avec Ture aux manettes, l'orchestre est un théâtre aux décors oniriques, une machine aquatique aux ténèbres puissantes, un paysage tranquille de campagne et de brume, de terres et de forêts. Et lorsque c'est la nuit, il se tient en retrait, mêlant ses lueurs éparses aux cristaux du soliste, ses vibrations subtiles, ses effets narcotiques. Nombreux sont ces moments où le calme nous enivre, où le lent balancement des notes les plus étranges, des harmonies magiques nous mène au creux des songes. Une ballade, nous dit-il, succession contrastée de lieux et d'atmosphères, traversée de moments singuliers, soudains, parcourue de ténèbres, baignée de clair-obscur, et secouée de violence. Car nous sommes chez Rangström, le rêveur versatile, le chercheur d'or funeste qui ne craint ni le vent, ni l'ombre ni l'océan, qui se joue des bourrasques, des esprits et des doutes, traversant les périls d'une nature déchaînée comme il parcourt les plaines et les brises sous la lune, avec son panier plein de poudre d'escampette et de noirs sortilèges. Version retravaillée, transposée et recomposée d'une pièce de jeunesse dont il ne reste rien, cette promenade revisite les lieux emblématiques de l'oeuvre du suédois. Les forêts mystérieuses habitées de pénombres d"In memoriam", la campagne nostalgique et la terre de "Mitt Land", les rêves océaniques du "chant sous les étoiles", ses flots tumultueux et ses lumières fantasques, les instants recueillis, ermitages élégiaques venus d'"Invocatio". La partition soliste est gorgée d'eau; eau de pluie, eau de mer, eau vive... larmes, à l'occasion. Une vallée nébuleuse d'émotions et de songes, chargée de notes ruisselantes, qui dévalent les montagnes érigées par les cordes, ou miroitent dans la nuit, ces espaces prodigieux que lui ouvrent en grand les absences de l'orchestre. Il y a ces longs moments où des accords austères interrogent le silence, ponctués de notes perdues, des errances tourmentées, expression laborieuse d'une musique qui se cherche, d'une colère qu'on retient.
Dans ces emportements de l'humeur du soliste, cette force grandiloquente qui guide parfois sa main, dans les teintes automnales, cette émotion lourde et triste, ces lentes suites d'accords, collines mélancoliques d'altos et de violons, Rangström se montre sans doute plus romantique que jamais. Une ballade commencée en 1909 dans la quête d'une personnalité à trouver, et qui s'est poursuivie presque 30 ans plus tard, dans les éclats harmoniques complexes, la richesse impressionniste et la maîtrise des timbres. Un étrange équilibre entre la solitude et l'intensité orchestrale, et toujours cette formidable liberté avec laquelle s'enchaînent les bouffées fantasmatiques, les chutes de sons soudaines, les fanfares drolatiques dont l'énergie pressante et les mélodies noires transfigurent l'atmosphère, les longues parties solistes sous la nuit brasillante, les tumultes maritimes propulsés par les cuivres et des cordes tournoyantes, et les havres endormis. Comment fait-il? D'où vient cette alchimie de rêves et de ténèbres? Dans quelle substance magique puise-t-on l'inspiration qui sert à fabriquer ce mélange d'étoile pure et de fragment de lune, ce prodige musical qui nous prend par la main à la 15ème minute et nous mène sans un bruit au milieu des lucioles, des esprits et du vent? Rangström croise des lutins qui dansent autour du feu, dont la liesse se démasque d'un peu de malveillance et beaucoup de folie; Rangström croise un violon, perdu dans sa forêt et qui vient pour séduire le piano qui s'est tu; Rangström ne croise personne, au bord de la rivière, le long de ces chemins que l'on prend pour partir, bordés par des prairies aux barrières de bois brut. Que grâce lui rendue, à cet homme de musique, qui a fait des pénombres un monde aux doux miracles, aux visions fantastiques, qui a fait de l'étrange la plus belle des matières, la plus riche des étoffes, qui peut suspendre le temps, balayer en un geste les plus intenses fureurs pour peupler le silence de merveilles harmoniques, noctuelles et feux follets, de fumées mystérieuses, effervescence légère, les rêveries aérées d'un piano qui clignote, d'une flûte libellule, et des cordes éphémères, aux notes en suspension dans le froid et la nuit. "Och'Lannan, fils d'Usnah, joua de sa flûte de saule sur le rivage : écoutez, les phoques hurlent des légendes à vous glacer le sang, bien plus sombres que la nuit"... un poème gaélique dont le compositeur fera l'obscure devise de cette oeuvre lunatique, avant de préciser : "cette devise n'a d'autre objet que de signifier la tension dramatique, le caractère lyrique et sombre de la légende. Il n'existe en fait aucun programme réel". Bienvenue chez Rangström, le rêveur versatile, l'orfèvre du mystère, le faiseur de ténèbres... le suédois amoureux de son pays sauvage, terre d'eau et de forêts, à la nature rêveuse et aux légendes nocturnes.

note       Publiée le lundi 3 février 2014

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