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The Art Ensemble Of Chicago › Fanfare For The Warriors

cd • 7 titres • 38:33 min

  • 1Illistrum8:09
  • 2Barnyard Scuffel Shuffle5:07
  • 3Nonaah5:38
  • 4Fanfare For The Warriors8:08
  • 5What’s To Say3:57
  • 6Tnoona6:20
  • 7The Key1:14

informations

Enregistré aux studios Parangon, Chicago, par Christian Sabold, en septembre 1973. Produit par Michael Cuscuna.

line up

Lester Bowie (trompette, flugelhorn), Malachi Favors (basse), Joseph Jarman (saxophones alto et ténor, flûte), Roscoe Mitchell (saxophones alto et ténor, piccolo), Don Moye (percussion)

Musiciens additionnels : Muhal Richard Abrams (piano)

chronique

Encore ces percussions qui tout de suite vous y jettent. Ces cuivres qui vocalisent, qui sifflent, qui appellent et geignent – rhombes et bêlements et grenouilles et oiseaux, cette fois. Et puis crécelles qui lancent la ronde. "Odawalla ! ... Vint parmi le Peuple du Soleil, à travers la Brume Grise des Mondes Fantômes". L’une de leurs cosmogonies, de leurs légendes inventées. Histoire de Gong Silencieux qui guide hors du brouillard. Symbolisme mi goguenard, mi impénétrable. La suite du cycle, en fait – l’album précédent, Bap Tizum, enregistré en concert deux ans auparavant, s’achevait sur le nom de ce même héraut dont ils nous content, ici, la saga continuée. Affinée, aussi, ses repères et détails plus subtilement déplacés. L’Art Ensemble, en studio – le son, ici, est au passage particulièrement précis, défini – se doit de changer de stratégie. De déployer, en même temps qu’il induit doutes et questions, qu’il démet les certitudes, une certaine forme de séduction, d’autres moyens, toujours, pour saisir l’attention. Un foisonnement de timbres, une poétique moins âpre, plus intrigante, plus effilée pour piquer au vif l’entendement. En l’absence des costumes, des ballets polychromes, il faut tout faire passer – magie pratique de la synesthésie – au plan des vibrations, en fréquences audibles. Texturer mieux le son, donc, plus en profondeur, plus finement, en investir l’espace selon des angles plus précis, pour que ne s’égarent pas les trajectoires, que touchent les projectiles. L’Art Ensemble et l’Afrique, en musique et en histoires – je vous le disais à propos de Bap-Tizum – c’est toujours ambigu. Un jeu riche mais toujours double – au moins ! – où la beauté est aussi qu’un folklore, une tradition, s’inventent dans l’instant, toutes absences admises des parts manquantes, effacées, regagnées ou ignorées, où rien de ce que s’y donne n’est explicité comme tel ou tel, ligne apprise et reprise ou fantaisie forgée au moment de la livrer. Un jeu, encore, qui se refuse au plat didactisme, ne fige rien en déférence, n’étiquette pas sarcasmes et hommages – qui laisse à qui l’observe et qui s’y mêle toute marge d’interpréter, de recevoir les scènes toute pertinence et tous sens en alerte. L’Afrique, oui, histoire, histoires, musiques. Mais on pourrait en fait étendre l’observation. Ces méthodes, en effet, ces perspectives, ce questionnement des évidences et des zones enfouies, l’Art Ensemble les imprime à tout ce dont il s’empare. À la Great Black Music dans son ensemble – telle que définie par l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians) à sa création, pratiquement dans ses statuts, quelques années plus tôt. Le jazz, d’abord, évidemment – cette épine dorsale de la musique américaine, ces mille esquilles en germe dans les chairs du pays. Les embrasements, transports et affres qu’il pousse sous toutes sortes de peaux. Ses provinces louées, secteurs réservés, communes semi clandestines, ses quartiers mélangés aux limites poreuses. Et puisqu’on parle d’Amérique : la somme des vols et des emprunts, des idées maquillées, des formes appropriées, échangées, transformées de parts et d’autres des multiples barrières officiellement niées, abolies : de couleurs, de classes, de degrés appliqués à la reconnaissance des citoyennetés. Tout ce qui passe par ces mains-là – fanfares de la Louisiane, séquelles de Bop, fracassements free, jazz dit Latin, Jive du Cap, Swing, Twist aux rotules déboîtées, même rock’n’roll distendu, cinglé – se mêle en soudures et tissages tour à tour exhibés en contrastes criants ; ou bien se fond en pièces aux teintes franches, détachées mais dont les noms resteraient à inventer, qui instillent le doute quant à toute origine, à toute destination, à toute légitimité d’état civile. Le quintet, rejoint sur celui-là par le pianiste Richard Muhal Abrams – fondateur précisément de l’AACM – élargit encore la gamme, l’arsenal, les ressources en harmonies et éclats, en tintements luisants, brillants, aveuglants et en nappes étales, abysses opaques ou frémissements feutrés. Retourne – ou est-ce le contraire – le sarcasme en hymne à l’horizon ouvert, en captivante beauté plastique. Modèle ses brisures en éruptions de grâces. Impulse aux cahots l’énergie qui porte et soulève et projette. Use en maître d’aigus qui tracent leurs traits de feu – sur le morceau titre, par exemple – à ces hauteurs sifflantes où si facilement ils frôleraient brouilles et discordances. Aux soubassements du spectre – Tnoona – en roulements où frottent des souffles dont on ne sait s’ils s’exhalent ou cherchent à pénétrer, nous ravit en serein qui-vive, captivés, concentrés, flottés dans l’attirante pénombre. Partout, l'Ensemble nous happe, nous rebondit aux saisissantes sautes de dynamique, fait descendre de ses voûtes les charmes apaisants, nous talonne dans la seconde, les sirènes ayant clamé qu’on se déloge. Donne de la voix collectivement – The Key – et c’est encore une autre énigme que ce falsetto curieux, que ces croassements ou presque, s’agencent en bizarre cohérence, en poème bref AVEC quoi l’on sourit plutôt que de s’en moquer, de ricaner de son grotesque. La Fanfare pour les Guerriers – parfaite métaphore, au fait, parmi d'innombrables possibles, pour qui voudrait décrire l’art de l’Ensemble, son territoire ou son terrain… Cette force sonore qui, en toute audace, enjambe les gouffres, bondit entre les bords. C’est la danse sur les flancs de l'obstacle, des tertres et des pics qui culminent et cachent – jusqu’au sommet ou bien en route vers les vallées. Elle vous fait face et vous déborde. Elle s’élève dans la liesse, ébranle la conscience. Elle est souplesse et basculements. Car ce guerrier n’est pas soldat et ses courses sinuées, ses grêles imprévisibles, dispersent les phalanges qui avanceraient au pas.

note       Publiée le mardi 3 septembre 2013

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    Coltranophile Envoyez un message privé àColtranophile

    "Tnoona" ou le sacre du souffle. Muhal, père fondateur en guest, ne fait pas grand chose mais il le fait incroyablement bien. La discrétion comme expression du génie (sur le tire "Fanfare.....", également).

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    Coltranophile Envoyez un message privé àColtranophile

    Reparti sur celui-ci après "People in Sorrow " (pour la je ne sais combientième fois) et "Certain Blacks". Il m'a toujours frustré un peu, ce disque. Malgré son "excellence". La faute aux formats trop courts pour que la narration/théâtralité propre à l'AEC se déploie. Même "Tnoona" est trop courte. Seul "The Key", tongue-in-cheek mais pleine d'histoire, est ce qu'il faut. Et c'est la plus courte, pour que le contre-pieds typique de la formation, soit parfait. On voit ici tout ce dont cette formation était capable. Mais elle était capable de plus encore.

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    Klarinetthor Envoyez un message privé àKlarinetthor

    et en parlant de blues, une belle itw récente de Roscoe Mitchell ici : http://jazz.blogs.liberation.fr/201...

    DesignToKill Envoyez un message privé àDesignToKill

    Première écoute : j'adore ! ... bien que les morceaux semi ambiant me semble chiant en état de d'écoute du disque "à moitié", à réécouter d'urgence

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    darkmagus Envoyez un message privé àdarkmagus

    Yep, je vais réécouter Fanfare et Message; pour le MJQ, je plussoie, d’un côté y’avais des gars qui essayaient de tirer le jazz vers le classique (MJQ et certains « westcoastmen », le troisième courant qu’ils appelaient ça), démarche louable mais prise à l’envers, de l’autre, l’AEC suivi depuis par d’autres, qui suivait le chemin inverse, en « polluant » les airs classiques ou folk avec des accents contemporain jazz-free. Bref, d’un côté une démarche passéiste, mais respectueuse, de l’autre une démarche novatrice, donc iconoclaste, et donc forcément plus inventive.