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Sun Ra › Atlantis

  • 1969 • El Saturn ESR-507 • 1 LP 33 tours
  • 1973 • Impulse! AS-9239 • 1 LP 33 tours
  • 1993 • Evidence ECD22067-2 • 1 CD

cd • 6 titres • 43:16 min

  • 1Mu4:30
  • 2Lemuria5:02
  • 3Yucatan (Saturn Version)5:27
  • 4Yucatan (Impulse Version)3:38
  • 5Bimini5:45
  • 6Atlantis21:51

informations

1-5 enregistrées à New York City entre 1967 et 1969. 6 enregistrée à New York City en 1967.

L'édition CD Evidence de 1993 présente deux versions du morceau Yucatan auparavant disponibles, séparément sur l'une ou l'autre des éditions vinyle (El Saturn en 1969 et Impulse! en 1973).

line up

Marshall Allen (percussion sur 5 ; saxophone alto, hautbois et flûte jupitérienne sur 6), Robert Barry (batterie, ‘tambour éclair’, percussion), Robert Cummings (clarinette basse sur 6), Danny Davis (saxophone alto sur 6), Akh Tal Ebah (trompette sur 6), John Gilmore (saxophone ténor sur 1, 2 et 6, percussion), Ali Hassan (trombone sur 6), James Jacson (percussion sur 5, log drums (percussion en bois) sur 6), Clifford Jarvis (percussion sur 1-5, batterie sur 6), Pat Patrick (percussion sur 5 ; saxophone baryton et flûte sur 6), Charles Stevens (trombone sur 6), Sun Ra (instrument du son solaire (Honer Clavinet) sur 1-5 ; orgue du son solaire (Gibson Kalamazoo) et clavioline sur 6), Danny Thompson (US) (saxophone alto sur 6), Wayne Harris (trompette sur 6), Robert Northern (cor)

chronique

Peut-être l’un des Sun Ra les plus étranges… L’un de ceux, en tout cas, qui creusent le plus sa veine film de jungle, d’explorations en trente-cinq millimètres – l’exposent le plus frontalement quand la plupart du temps, ailleurs, elle se fond aux autres manières, matières, aux autres traditions changées et inventées perpétuellement par l’Arkestra. Exotica, oui. Mais – bien évidemment ! – de contrées peu fréquentées. Un cycle, en fait, de Mondes Submergés, de civilisations éteintes, hypothétiques, de lieux mythiques aux azimuts rarement certifiés. Évoqués, convoqués le temps de l’exécution – mais sans nostalgie, sans suivre les Lois mortes car, nous dit Sun Ra : "ceux qui suivent le passé sont condamnés à mourir avec lui". Tout sera joué, donc, dans l’optique, avec les moyens et les buts de ce Futurisme d’un genre particulier que l’homme et ses fidèles développaient depuis les premiers disques, vers le milieu des années cinquante. De nouvelles machines, d’ailleurs, sont sans cesse essayées, appropriées. Investies pour parler au Cosmos, à ce Créateur dont Sun Ra disait lui-même qu’on ne le nommait ainsi – Dieu, Créateurs, Ra, El… – que par défaut, noms toujours provisoires qu’il fallait bien donner à l’Inconnue dans l’Équation. Parce que la musique seule – vibration plus rapide – peut atteindre où la parole aurait portée trop courte. Les claviers électriques, donc, l’électronique, comme accélérateurs, alors ? Pourtant, ce qui surprend ici – sur les cinq premières pièces, au moins – c’est aussi leur lenteur, leur densité relâchée. Ra y joue accompagnée seulement des percussions de l’orchestre – de sporadiques interventions de saxophone sur Lemuria et Mu, également, mais vraiment rien de plus. Le son du Clavinet joué étonnamment clair – dommage à ce titre que la qualité d’enregistrement, assez moyenne, étouffe cette brillance, la rende un peu lointaine – les phrasés inhabituellement posés, tranquillement chaloupés. Non que Ra renie là ses abstractions et frottements harmoniques. Leurs singularités, au contraire, leurs pertinences intrigantes, parfois presque dérangeantes, en ressortent même au plus net, comme réduites à leurs lignes de forces, leurs armatures. Simplement, le pianiste les articule là en syncopes alanguies, sorte de calypso des sphères, de bizarre reggae, presque, dans certains contretemps. On penserait pratiquement, même – lorsque les tambours emballent et enflent le roulement – à l’espèce de nyabinghi en formes libres que joueront quelques années plus tard les Jamaïcains Count Ossie et Cedric "Im" Brooks le temps d’une courte alliance et de quelques disques guère communs. Mais ici tout est plus dépouillé. Un groove tourne – pour cette fois facile à saisir mais pour cette raison même rendu énigmatique, parce qu’on entend mieux la voilure. Plus doux mais pas très rassurant. On l’a dit, tous les titres, là, sont des adresses à des terres englouties, à des empires défaits, à des îles nommées dans la langue de peuples décimés. Mais peut-être, aussi, faut-il encore soupçonner ici – dans cette thématique, dans la forme dénudée choisie pour l’occasion – l’humour particulier de Sun Ra, toujours ambigu, curieusement érudit, dispensant mises en gardes élusives, signes d’alerte sibyllins. Prenons Yucatan, par exemple – titre joué, ici, en deux versions. Qu’y cherche cet Arkstra en rangs épars ? Qu’y célèbre-t-il ? Que veut-il y conjurer ? Ce point, cette région où les conquistadors avaient commencé l’invasion, où s’était amorcé la chute de l’empire Maya ? La révolte de ces mêmes "Indiens" – en 1761, menée par un nommé Jacinto Canek – qui, commençant au village de Cisteil par une menace de mort au prêtre catholique, s’acheva pour les insurgé sous les tortures de la Question ? Les tentatives d’indépendance – par deux fois, au dix-neuvième siècle – d’un région qui, se décrétant État, s’était vu – en l’une et l’autre des occurrences – absorbé à la fin par un empire (mexicain, donc) qui lui-même venait de larguer derrière lui l’Europe ? … Ou bien Bimini. Ra, ici, tente-t-il d’approcher la Fontaine de Jouvence sensé jaillir en un lieu caché de l’archipel ? Se rit-il, sous cape, de cette villégiature pour riches Américains – le territoire insulaire le plus proche des côtes américaines au large mais à peine du Golfe de Floride – où, dit-on, Hemingway avait trouvé l’inspiration de son plus réputé chef-d’œuvre au cours d’une pêche miraculeuse sous cet auspice pratiquement colonial ? Difficile à dire. Sun Ra prévient, souvent, prophétise, édicte ses dissuasions comme pour décourager les Catastrophes. Mais sans nous dire jamais leur nature précise ni leurs modalités. Pas plus qu’il ne nous souffle les mesures à prendre, les décisions cruciales. Sa musique, pour l’heure, sur ces cinq plages nous promène au bord des abysses. Et puis à la sixième, nous y jette longuement – la durée de celle-ci avoisinant celle du reste du disque, tous morceaux confondus. L’Atlantide. Seul de ces lieux, d’ailleurs, que la Légende situe à peu près exactement. Mais seul, aussi, dont la perdition ne soit pas – dans les textes, c’est à dire principalement chez Platon – réputées Acte Divin, punition d’une décadence. Le Raz de Marrée frappe au hasard. Avale un continent. Déferle là sur nous – notre tour est venu. En nappe d’orgues crissantes, acides, qui grêlent et dissolvent. Sans rien d’autre une fois de plus que les percussions, de longue minutes durant, enfouies cette fois sous les stridences, le reste de l’Arkestra ne se joignant qu’à la fin de l’enfoncement, quand nul sommet ne dépasse plus où nous pourrions nous réfugier. Cette moderne Atlantide – à l’âge nucléaire – ne peut se fuir, encore, qu’en pointant les étoiles. Le vaisseau la survole, souvenir, déjà, comme les autres continents avalés par les flots, dispersés par l’histoire. Il faut parfois guetter l’instant où tous les instruments s’affolent.

note       Publiée le vendredi 30 août 2013

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