Valerio Tricoli / Thomas Ankersmit › Forma II

Je n'aime pas la concrète. Ou plutôt, je n'adhère ni à son académisme, ni à sa prétentieuse préciosité ; lorsque, par exemple, l'on triture avec application un son minuscule cinquante minutes durant (copyright Bernhard Günter), ou que tout le boulot est concentré dans la post-production, à grand renfort de réverbs luxueuses. Ce que peut en revanche promettre cette discipline, c'est un rapport véritablement physique au son, charnel parfois (et nos pauvres petits sens de se faire terrasser devant beauté si massive), jouissif sinon dans telle habileté décomplexée, voire taquine. Ce sont là des qualités que l'on retrouve généralement chez les sorties PAN ; on ne présente d'ailleurs plus cette structure berlinoise, au goût affirmé pour les artistes ambient/drone/noise/concrète les plus pointus du moment, et dont la ligne de conduite, exigeante autant qu'intègre, va jusqu'à se décliner en d'emblématiques artworks. Quelques mots en revanche sur Ankersmit et Tricoli, peut-être moins connus de nos lecteurs assidus : le premier, saxophoniste berlinois, s'attache à travailler expérimentalement la transformation des timbres originaux, qu'il s'agisse de son instrument à vent, ou bien de ses bestioles analogiques (Serge et EMS si j'ai bonne mémoire) ; le second officie, lui, dans la manipulation de bandes et de dispositifs électroniques. Si les individus excellent séparément, c'est en duo que leur complémentarité ne fait de doute, en témoigne l'archétypal «Live In Utrecht» paru en 2010, stupéfiant de maîtrise dans l'expérimentation électronique temps-réel autour d'un drone au saxophone. Dans ce «Forma II», la rigueur d'exécution reste fidèle au rendez-vous, déroulant cinq pièces absolument impeccables. Ce qui fait mouche, tout d'abord, c'est le minutieux travail sur le grain, justement équilibré entre les bandes, le Serge et le saxophone, venant ainsi contribuer à la superbe abstraction d'ensemble. Des jeux sur les hautes/basses fréquences, aux altérations de grains, en passant par les enfilades de morphismes, le duo sait offrir une vraie sémantique d'intensité à partir de lexique qu'on aurait à priori tendance à trouver très convenu. Leur identité (et leur pertinence), c'est dans l'art du glissé-cogné qu'ils la puisent, dans ces montées et ruptures, ces articulations désarmantes d'évidence, qui façonnent une dynamique du ravissement, sans pour autant verser dans le créneau narratif. On saluera au passage la sobriété de la post-production et du mastering, plus que bienvenue en ces sombres temps de sur-compression, sobriété qui sert avec justice le labeur de nos expérimentateurs. «Live In Utrecht» valait ses six boules ; ce disque-ci également. Highly recommended, comme on dit.