Yawning Man › Nomadic Pursuits

Elle passe la caravane, elle traverse ce qui reste du désert d'un pas tranquille. Ce qu'il en reste, ce n'est plus grand chose. La ville l'a grignoté petit à petit, les habitations climatisées, les jardins et les irriguations, les routes et les caméras de surveillances. Est-ce pour cela que le thème de "Camel Tow", blague potache de mauvais goût à part, résonne d'une mélancolie nouvelle dans la musique de l'Homme qui Baille ? Gary Arce n'a rien changé à sa formule, son âme se déplie toujours dans l'espace auquel il aspire, en riffs surf à l'écho un peu poussiéreux, mais ce vague à l'âme est palpable, un petit mal au coeur comme celui qu'on a à dos de chameau, bringuebalé d'un bord à l'autre, sous le soleil qui darde indolemment, comme ce son de guitare qui file des brûlures sur la peau. La section rythmique Hernández/Lalli déroule ses vibrations telluriques sans coup férir, aussi sûre d'elle et imperturbable que l'érosion qui meule patiemment les formations rocheuses, les bizarreries géologiques dont les formes prennent des aspect toujours plus surréalistes sous les effets psychotropiques de l'insolation. Des morceaux qui prennent tout leur temps pour moduler leurs hypnoses parfois frénétiques, du groove à rendre follasse les flammes du feu de camp nocturne, "Far-off Adventure" sur plus de huit minutes aux monts et vallées comme un vieux rollercoaster de dunes où se laisser rouler dans le sable brûlant. Parfois plus laid-back, motif ressassé à l'infini de "Blue Foam", effet d'ivresse dans la nuit chaude, faire pivoter la voûte céleste comme un planétarium, les couches de guitares qui farandolent en ritournelles les unes par dessus les autres, un arrière-goût de post-rock à fort degré alcoolique, qu'on serait obligé d'interrompre de force par peur qu'il ne se prolonge jusqu'à la fin des temps. Le son de Yawning Man n'est ni post, ni avant (même pas avant-stoner, même si ils l'ont initié à la fin des années 80), il ne suppose par de préfixe, il se pose là tout simplement, telle la fournaise de l'air environnant, il emplit l'espace, il ouvre les barrières posées dans le désert par les hommes pour faire passer la caravane, en route vers d'autres mondes. Alfredo Hernández charge telle une cavalerie toute de métal recouverte, qui sonne et résonne et qui fait trembler les sols assoiffés. Mario Lalli planté sur la ligne d'horizon, envoie ses ondes de basses souffler au-dessus de la terre craquelée, un vent chaud qui ne s'interrompt pas même au crépuscule. Et Gary Arce qui balance ses riffs transversaux, surfant au milieu des dunes, rebondissant sur les ergs abrasifs, dessinant des figures dans l'air tellement dense qu'il en devient solide, traçant des lignes entre les étoiles scintillantes. Quand ils reprennent ensemble le thème de "Camel Tow", c'est pour le rendre à la nuit, l'assombrir de Moog et en appeler à l'espace, dernière frontière vers lesquels les hommes peuvent encore se tourner. A suivre leurs traces dans le sable, qui sait jusqu'où mènera cette piste et ce n'est pas ce titre énigmatique, "Laster Arte", qui donnera un indice. En Basque cela signifie "à tout de suite". La caravane de Gary Arce reviendra, c'est sûr. Il suffit de poster un guetteur, à la lisière du désert.