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Black Flag › In My Head

lp • 9 titres • 37:11 min

  • Side One
  • 1Paralyzed2:39
  • 2The Crazy Girl2:46
  • 3Black Love2:42
  • 4White Hot4:59
  • 5In My Head4:30
  • Side Two
  • 6Drinking and Driving3:16
  • 7Retired at 214:56
  • 8Society’s Tease6:09
  • 9It’s All Up To You5:14

informations

Enregistré au studio Total Access, Redondo Beach, Californie. Produit par Greg Ginn.

L'édition C.D. de 1990 contient trois titres supplémentaires : Out of THis World, I Can See You (placés tous les deux immédiatement après la chanson In My Head, soit à la fin de ce qui constituait la face 1 du vinyle) et You Let Me Down (placée à la fin du disque, après It's All Up To You).

line up

Greg Ginn (guitare), Kira Roessler (basse, chœurs), Henry Rollins (voix, chœurs), Bill Stevenson (batterie)

chronique

Vous en voulez, du testament ? De la lettre de suicide ? Du dernier coup de boule ou de cutter ? Dans les tripes ou dans les câbles, histoire de niquer pour de bon tous les systèmes de protection ? En douce, qui vous donnera juste l’impression qu’il se passe un truc louche, pour mieux vous faire saigner plus tard, quand le boucan se sera tu ? … Eh bien voilà. In My Head. Dernier coup de tout. De ruminations homicides. Pas un baroud d’honneur : une sape en règle. On ferme !

A ce moment là, Black Flag est au plus haut : en 1984 - l'année d'avant - le groupe a récupéré le droit d’user de son nom, de l'imprimer sur les pochettes de ses disques. Sorti trois albums, dans la foulée (en plus de la réédition de Damaged ; tous sur SST, label fondé par Ginn) ; Slip It In ; Family Man – avec une face entière de Rollins lisant, jouant seul ses textes, sans le groupe ; et puis aussi l’avis d’autonomie totale, l’aveu de rupture avec une scène en train de s’encroûter : My War et sa face A prise à vitesse panique, pleine de soli discordants, cabrés, d'invectives et de frustrations assénées ; sa face B engluée, tarée de lenteur malade, son poids traîné sur l’auditeur écrasé vif. Le groupe, après ça, trouve sa section rythmique parfaite : solide et souple ; la basse de Kira glissant autour, par dessus, par dessous, aux dérobades des ruptures de riffs de Ginn ; toujours vive au contrepoint, balançant les fréquences parfaites pour lester puissamment le mix. Les syncopes de Stevenson qui découpent, laminent, enfoncent, égaillent les volées de beignes. Ces quatre là tournent, jouent partout, tout le temps. Le groupe travaille. Sa musique est de plus en plus complexe – de plus en plus tordue. Elle progresse, vrille plus loin, plus infectieux, plus profond. Au moment d’enregistrer My War, Ginn confessait sa passion pour Black Sabbath. Maintenant il y ajoute le Grateful Dead ; ce qui ne laissera pas de surprendre si l’on s’en tient à l’éthique hippie de Garcia et Compagnie… Ce qui étonnera moins si l’on considère le sens du rythme sur le fil desdits chevelus, leur science des lignes intriquées, leur goût des repères qui soudain s'escamotent. Le même Ginn, aussi, s’entiche d’Ornette Coleman. Tout ça s’entend, de plus en plus. Se transforme, de plus en plus vite. Le E.P. instrumental The Process of Weeding Out, qui précède l’album, est une folie de batteries bouclées, de basses dérapantes, avec la guitare qui fuse sans la moindre pause, en crissements dissonants, larsens dissolvants, débris de riffs concassés, charcutés, sculptés expressément selon les angles les plus laids. Un geste d’agression. Insupportable dans son harcèlement. Brillant dans ses fulgurances. Mais aussi les corps s’épuisent, les nerfs n’en peuvent plus, les têtes sont débordées.

En 1985, de fait, Blag Flag – qui sur scène donne l’impression d’un bloc indivisible – est au bord de l’explosion. Ginn et Rollins se mènent une guerre d’égos. Le guitariste tanne les autres pour pousser toujours plus, répéter sans relâche, dépasser encore leurs limites. Ça tire, aussi, entre Kira et les hommes. Personne ne peut plus encadrer personne, à vrai dire. Au moment de mixer l’album, Ginn enterre la voix de Rollins, l’enfonce sous les strates, la défigure. Et de fait, In My Head est sans doute l’un des disques les plus étranges du groupe. Sa production prend de court. Outre ledit curieux placement vocal, tout y semble bizarrement teinté dans la masse. Les instruments comme isolés, placés chacun sur sa bande de fréquences asséchée, comme si rien ne devait se toucher. La musique qui s'y joue, pour autant, est une mécanique incroyable : propulsive et minée ; le rythme comprimé pour que les embardées vicieuses de la guitare y laissent des traces plus nettes, plus saignantes. Parce que oui, ça s’appelle du vice, ce son, ce jeu de balancements qui chaque fois frôlent de plus près le bord du gouffre, ces jets d’hydrocarbures sur le métal en surchauffe. Même le coup de pute de Ginn – tenir Rollins à la limite de l'inaudible, donc – finit par rendre la voix plus menaçante, les mots escamotés plus effrayants. Black Flag, dès le début, était ironie noire, sarcasme, rejet ; du mode de vie américain, des soit disant pairs qu’on proposait à ces jeunes gens : têtes vidées, foies plombés avant même d’atteindre à la majorité légale. Conduire vite et chargé. Mourir tôt ou réussir. Une réaction puritaine, en fait : anti-alcool, anti-défonce, rebutée par la luxure ; par le sexe tout simplement, voire, les éruptions d’hormones de leurs congénères. Les premiers disques balançaient tout ça – colère, nausée, hargne, trouille – en formes brutes, déjà pas bien nettes mais tout de suite identifiables. Compactes et brèves. My War avait été une cassure, donc, la tentative la plus visible de ne pas sombrer dans l’habitude – fut-elle celle de cette violence frontale – d’égarer la foule nouvelle, aussi, en maraude d’autres fêtes, de nouveaux et plats rituels. Mais là c’est autre chose. Le désespoir, la colère, la haine misanthrope à quoi mène le dégoût ne se contentent plus de flamber. Tout ça se tord, se mord la queue, se tiraille et se déchire. Cherche une issue. Touche à sa forme la plus dangereuse. My War était un bloc de négation. Un abysse, certes, si l’on préfère. Ce que trouve le groupe sur In My Head s’appelle ambigüité. C’est un poison plus lent, plus pernicieux. C’est le lieu où Rollins – bien plus que n’importe où avant, à mon sens – atteint pleinement son objectif de verbe aliéné. Certains de ses essais précédents – Family Man, tiens – rataient de justesse leur cible par un excès d’explicite, vengeance trop vertueuse, colère trop jubilée. Ici tout est macération. Impossible de savoir s’il incarne – comme un acteur – ce sociopathe clamant, annonçant à longueur de plages meurtre et mutilations ; si c’est son délire propre qui fermente et déborde ; si la misogynie violente de The Crazy Girl est un jeu, une métaphore, une déclaration qu’il lancerait sans recul : punition pour ces femmes vénales ; difficile de savoir ce qui entre de terreur véritable – de détestation couvée comme un trésor – dans cette prière d’annihilation charnelle qu’il nomme White Hot. Et ses attaques les plus directes – Drinking and Driving, Retired at 21 – ses assauts à priori les plus sains, sont rongés par la démence instrumentale des autres, les rythmes maniaques et leurs soudaines ruptures, les cinglements de filins et vomissures de métaux déchiquetés de la guitare. Et quand la densité des matières semble vouloir se relâcher, la pression retomber quelque peu, quelque chose se tient tapi, semble attendre pour bondir et mordre – la basse de The Crazy Girl (encore...), en décalage, rampe à la suite du riff en coulure de la guitare, le piste, nous piège entre lui et l'ombre qu'elle lui marque. Il n’y a guère que Society’s Tease, finalement, pour revenir aux indignations clairement énoncées, à une espèce de punk presque naïf, par contraste – et par ce même contraste, pour sembler presque trop droite, son assertion s’asphyxiant aux émanations dégueulasses du reste. Ça ne prend plus, en quelque sorte… In My Head est le dernier album studio de Black Flag. Suivront encore quelques E.P., d'une même veine de malveillance. Un album live, aussi (Who’s Got The Ten And The Half) où cette même méchanceté tournera en joie pure - mauvaise mais pure. Vous en vouliez, du testament ? Du dernier mot ? Une direction qu’ils vous pointeraient avant de lâcher le manche ? … C’est au tout dernier instant de celui-là que Rollins émerge, sort la tête du marasme. A peine. Fugitivement. Mais pour de bon, cette fois. Incertain mais lucide. "Je pourrais te donner l’accolade ou aussi bien te frapper. Les nuits sont éclairées pour me ternir"… Et d’enchainer sur l’illusion de la Vertu qu’on se prête. Sa narcose qu’on se repasse de prochain à semblable. Rien ne viendra de la Scène, du Groupe, du Mouvement. Les slogans sont mensonges dès lors qu’on les imprime.

Black Flag, en se détruisant, ne laisse qu’un seul message : démerde toi ! Il n’y a que toi qui puisses. Il n’y a que ça qui vaille. Le groupe, au fond, l’avait au bord des lèvres depuis des mois, une paire d’années peut-être. Cette vérité crachée trouvait ici sa limite et son accomplissement. Ils nous la laissaient, sournoisement, en partant. Nous n’aurions pas fini de la trouver contondante.

note       Publiée le lundi 13 mai 2013

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Rastignac Envoyez un message privé àRastignac
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J’ai découvert Black Flag avec celui-ci. Rollins Band cartonnait sur les ondes à l’époque, et par hasard et ricochet : voilà. Là je sais pas si c’est la porte d’entrée la plus facile mais de un : quel artwork et de deux : à chaque fois que je me balade en bagnole ( j’y passe ma vie en fait) j’ai la tronche d’Henry qui fronce les sourcils et qui dit « ben allez picole et conduit n’importe comment allez embrasse les platanes ducon »

Message édité le 19-10-2023 à 10:13 par Rastignac

Dioneo Envoyez un message privé àDioneo  Dioneo est en ligne !
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born to gulo Envoyez un message privé àborn to gulo

C'est Black Flag ici, pas Accept.

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surimi-sans-mayo Envoyez un message privé àsurimi-sans-mayo

Je crois qu'elles s'étaient tapies dans un coin, de peur de finir pendues au mur.

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born to gulo Envoyez un message privé àborn to gulo

Où sont les six boules, Lebowski ?!

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