Esham › Closed Casket

La seule fois où Esham s'est fait connaître chez nous, c'est il y a dix ans, quand Eminem a envoyé ses homies lui péter les dents à une sortie de concert après qu'il ait suggéré de mettre sa gosse dans le coma. Une provocation somme toute gentille venant d'un Esham qui a fait tout son possible dans la première moitié des années 90 pour s'octroyer le statut d'Antéchrist du hip-hop, en incitant par exemple ses fans boutonneux au suicide, juste pour le fun (visiblement sans remords les rares fois où ça a marché) ou en glorifiant l'avortement. Alors évidemment sur papier c'est navrant, et dans la réalité il y a bien sûr un contraste assez net avec les prétentions et l'effet musical, qui fait que vous trouverez sans doute aussi sombre et chelou dans le genre même sur des disques tout à fait mainstream comme ceux du Wu, mais Esham c'est un peu le rat mutant du hip-hop midwest si vous voulez, le Jack Napier des MC's horrorcore, une sorte de frère maléfique caché au grenier de Kool Keith avec qui il partage beaucoup de choses, dont le goût pour les substances chimiques et les visions d'horreur paranoïaque, un gusse qui a rappé tout ce que des Seth Putnam ou des G.G. Allin ont "chanté", en mélangeant le tout à des trames typiques du gangsta rap, et l'alchimie de son flow et de ses prods forme une sorte de substance verdâtre et luisante vraiment, vraiment singulière... Si les beats de Closed Casket sont pathétiques, si le flow aigrelet n'a aucune puissance virile frontale telle qu'on pourrait en attendre d'un MC violent, l'intérêt est évidemment ailleurs : l'aura malsaine et fluo-malade du MC, son approche vicieuse du hip-hop, ont quelque chose de trop fascinant pour que je passe son nom sous silence dans nos pages. En 1994 le gusse se trimbale encore avec le blase "The Unholy", et revient après avoir imposé son skeud portant la pochette la plus 'too much' (KKKill), pour ajouter une page morbide de plus à son cahier de textes. Closed Casket, c'est l'album typique d'Esham : trop long, horriblement amateur, mais trop cramé pour qu'on ne veuille pas se laisser prendre dans ses filets en chewing-gum mental. L'album contient quelques-uns de ses titres cultes : "My Homie Got Shot", "Mental Stress", "Can't Take It Wit Cha", "I'll Be Glad When You're Dead", ou ma chouchoute "Therapy" ("I told my teacher I wanna be like Hitler when I grow up", en v'là de la punchline mouahahah, même s'il recycle une de celles qu'il crachait sur Boomin Words From Hell). Toutes ces petites merdes cheap fluogluantes ont en point commun la même approche chimique du hip-hop, Esham utilisant son flow malingre (évoquant un B-Real en beeeeaucoup plus doppé - et surtout pas à la weed), pour vomir à l'auditeur les images engendrées par l'ingestion de psychotropes, d'où son concept d'"acid rap", s'appropriant des effets piqués au G-funk ("2 Dollahoe"), à l'electro de son Detroit, ou à Martin Rev de Suicide (l'utilisation des synthétiseurs chez Esham suit le même principe : 'son de merde, boucles hypnotiques'), tissant des scénettes glauques et cartoon qui plongent l'auditeur dans une sorte de dessin animé tordu à la Itchy & Scratchy dans lequel il serait le maître marionnettiste aux yeux rouges. Pop!Pop! Pigetty ! Pop Pop !!!