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Dmitri Chostakovitch (1906-1975) › Concerto pour piano, trompette et orchestre

  • 1995 • Erato 0630-11072-2 • 1 CD digipack

cd • 10 titres • 66:54 min

  • Dimitri Chostakovitch : Concerto pour piano, trompette et orchestre à cordes, Op.35 (1933) | 21:49
  • 1Allegro moderato5:57
  • 2Lento7:35
  • 3Moderato1:41
  • 4Allegro con brio6:36
  • Dimitri Chostakovitch : sonate pour piano n°2, Op.61
  • 5Allegro
  • 6Largo
  • 7Moderato
  • Sergueï Prokofiev : concerto pour violon n°1, Op.19 (1917) | 21:25
  • 8Andantino9:51
  • 9Scherzo4:06
  • 10Moderato7:28

informations

Il existe sans aucun doute de meilleures interprétations que celle-ci. Si Annie D'Arco ne démérite pas et que Maurice André est évidemment irréprochable, on sent malheureusement le chef aux prises avec une partition un peu vaste pour lui. S'il sait nous séduire avec son orchestre de chambre sur Mozart, ici, de fait, il ne prend pas à bras le corps la violence nécessaire des attaques, la rigueur sèche du rythme et l'émotion pesante de l'orchestre slave. On le sent trop courtois, trop élégant, sans conviction nocive. Rien de rédhibitoire toutefois, et ce disque, dans son ensemble, et pour son prix, vaut le détour.

line up

Annie D'Arco (piano); Maurice André (trompette); Orchestre Jean François Paillard; Jean François Paillerd (direction)

chronique

  • musique concertante/romantique-xxième si

Espiègle? Ironique? Cynique? Torturé, oui, surtout. Et russe, ça oui : ce fut son drame, et sa passion. Et les russes sont de grands romantiques; car si l'on doit malheureusement au régime soviétique d'avoir empêché tout modernisme en rupture de se développer durant le XXème siècle, on doit d'abord à l'âme slave d'avoir su maintenir l'épanchement romantique à son plus haut niveau de beauté, de sincérité et d'importance, durant ces décennies exponentielles. L'audace de Prokofiev et la portée émotionnelle phénoménale de Chostakovitch pèsent de fait plus lourd dans la balance artistique que les beautés du néoromantisme scandinave (c'est vrai, j'avoue...), ou que les éclats de la musique symphonique tonale américaine. Chostakovitch est forcément l'héritier de Tchaïkovski, dont il utilise ici les violons emportés, les roulements de piano, qui martèlent dans les graves, comme un tourment obsessionnel, mais il est surtout un compositeur du XXème siècle : c'est par le rythme, insistant, haletant et dansant, tel que l'a révélé Igor, le compatriote exilé, et par la dérision acerbe, l'exploitation du burlesque excessif et inquiétant, à l'image de Sergueï P, que le romantisme russe a forgé, et imposé son incontestable modernité. Ainsi, ce concerto pour piano et trompette est sans doute une des oeuvres les plus symptomatiques de la musique slave du siècle passé. Ouvert à l'impressionnisme, et surtout à ses mariages déjà consommés avec le jazz, Chostakovitch, après un trait cinglant de trompette, entame le premier mouvement sur une marche pondérée de piano, qui compte parmi les motifs mélodiques et harmoniques les plus justes, à la fois retenu et grave, qu'il m'ait été donnés d'entendre... mais la frénésie prend aussitôt le dessus. La trompette accentue les grimaces d'un piano qui semble se perdre entre l'ivresse de la danse et les ténèbres d'accords sombres; Chostakovitch déroule et martèle, excite le rythme et le rend irrésistible en caricaturant la désinvolture de thèmes enlevés : il ne rit pas jaune, ici, mais noir... il ne se défoule pas : il se saoule. Ouvertement turbulent, résolument tourmenté, le premier allegro ne s'extrait jamais vraiment des cordes emportées, des pensées orageuses, malgré sa tension permanente vers l'energie et son sens du grotesque; il se termine comme il s'ouvre, le thème d'introduction semblant refermer la parenthèse, emportant avec lui toutes velléités d'espoir ou de fuite... un retour au silence, un aveu d'impuissance, une tristesse amère, dont le lento exprime alors l'essence terrible, la nocivité effrayante, avec une insoutenable beauté. De grands romantiques, assurément, dont la sincérité et l'importance ne peuvent être mises en questions : car ce lento, mes amis, ces sept minutes de larmes, cet homme, assis sur une chaise, replié sur lui-même et la tête dans ses mains, et qui pleure, qui pleure... toutes les larmes de son corps. Pas de prouesses au piano ici, pas d'ironie ni de danse, plus de moquerie, plus de masque : rien que des notes qui s'égrènent peu à peu, chacune plus triste que la précédente, alourdie par le froid, les voiles de cordes, la lenteur... jusqu'à la crise de sanglots, le ruissellement noir et incoercible, qui sort des tripes et déchire le plexus dans une douleur atroce; on la retient, on la retient, oui, mais elle arrive quand même. Et quand elle repart on est encore plus faible, plus triste, plus nu... la trompette est livide, le piano a beau esquisser un sourire minuscule : la trompette est livide... alors l'homme se reprend, doucement, il se relève et se rassoit sur sa chaise. Il remet la tête dans ses mains, et à nouveau : il se met à pleurer... replié sur lui-même. Ce lento, oui, ou comment les plus grands compositeurs, capables des plus insondables virtuosités, se contentent des quelques notes qu'il faut, de l'infime vêtement orchestral, du temps qui passe... pour une musique d'une puissance émotionnelle quasiment insupportable. Et il y a bel et bien quelque chose de proprement sadique, ici, à repartir, et de plus belle, dans un nouvel allegro, plus vif encore, plus ironique que jamais, plus dansant et grimaçant... dément, fou, "parti". Chostakovitch parle dictature, ordres impérieux, obligations : il sautille sous la menace, il s'enjoue et prétend sourire, un fusil sur le crâne. La vitesse est exagérée, le rythme se révèle agressant à force de frénésie, la bonne humeur des mélodies souriantes est une farce sinistre, dont les traits outrés révèlent le vrai visage épouvantable. Tout en assurant à l'auditeur (au Parti?) la jouissance d'une virtuosité haletante et impériale, aux rythmes prenants et à l'énergie galvanisante, le compositeur détruit ses objectifs imposés : glorification patriote et honneurs rendus au folklore national, dans les traits impitoyables de ses caricatures, dans cette incarnation cynique de l'énergie du désespoir. Dans un siècle d'explosions et d'horreurs, de ruptures à tout va et d'états mégalos, parmi les révolutionnaires, les rebelles porte drapeaux, le romantisme trouva en Chostakovitch son incarnation la plus contemporaine et savante, la plus grave sans doute, et la plus salvatrice. C'est néanmoins dans la puissance, la violence des symphonies, le silence d'une sonate, l'intimité du quatuor à cordes ou l'ambiguïté du violon, qu'il se montrera le plus essentiel.

note       Publiée le vendredi 15 janvier 2010

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bubble Envoyez un message privé àbubble

moi je lit une ligne sur deux ! c'est encore mieux ca fait du burroughs . bon alors la 7 ca viens quand ? ;-)

Charles Pasqua Envoyez un message privé àCharles Pasqua

oups on ne saurait mieux dire sur ce superbe concerto pour piano et trompette (déjà la forme est plutôt inusitée et bigarrée) superbe chronique qui me fait pleurer tiens pour la peine non pour ce qu'elle dit, encore que, mais parce que lire de telles belles choses et retrouver sa ligne sans arrêt sur un écran d'ordinateur sur fond noir quand on n'a pas ses lunettes ça fait mal, je me posais la question aussi concernant Chostakovitch (et idem pour Prokofiev) sur le fait que touchant au plus près le mal ce dernier sur eux n'a-t-il pas créé une tension en même temps qu'une profonde interrogation sur leur être, leur passé et leur devenir pour en faire une leçon de vie dans ce siècle tourmenté et ce romantisme russe plus frappant que les scandinaves comme tu dis n'en est-il pas par cela plus parlant, approchant par là un cœur de vérité comme très peu l'ont fait, c'est une question que je me pose mais encore bravo pour cette chronique

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