The Tear Garden › Eye Spy with My Little Eye

Un rapprochement entre The Legendary Pink Dots et Skinny Puppy était plus qu'inévitable, ne serait-ce qu'au regard des nombreux points communs entre leurs figures centrales. En effet, au delà de leurs inarrêtables productions respectives, Edward Ka-Spel partage avec cEvin Key une obsession pour les expériences électroniques, le tissage sonore expérimental et l'attrait des formes psychédéliques et dans les deux cas, l'auditeur se retrouve ballotté bon gré mal gré dans de nombreux univers transitoires avant de pouvoir remettre les oreilles sur quelque chose de plus solide, fût-ce une mélodie affable, une voix familière ou une récurrence musicale plus classique. C'est d'ailleurs un des plus anciens side-projects de cEvin Key (leur premier album date de 1986) si l'on occulte le fait que Skinny Puppy était déjà à l'origine un side-project d'Images in Vogue. Le rapprochement est si évident qu'Eye spy with my little eye' est difficilement discernable d'un disque des Legendary Pink Dots, si ce n'est par son approche électronique encore plus tordue. Si la première ballade laisse présager d'un album soft, les gazouillis et les drones harassant la fin de la seconde sur une boucle rythmique décident manifestement qu'il en sera autrement. Après un petit 'The Train to China' aux allures de comptine médiévale virant au vinaigre, on est emporté dans un long élan psychédélique indescriptible qui ne prendra fin qu'aux premières notes de piano du très beau 'Black Curtains'. C'est à chaque fois la déconcertante fluidité entre les chansons et les expériences extra-terrestres qui m'impressionne le plus ; cette impression de jouer avec nos niveaux d'écoute pour nous pousser à ne saisir la musique que de facon seconde, imbibée, incertaine ; tandis que ressurgit de nulle part une ballade parfaitement composée par un Ka-Spel magicien nous regardant l'air amusé reprendre nos esprits alors que se ressoudent nos échelles de conscience (et celles du temps, puisque ces titres proviennent d'époques totalement différentes). On retrouve ce jeu d'attention et d'état au coeur de la magie de ces deux formations, mais aussi assez souvent chez Psychic TV. Tenez donc : il faut écouter 'The Bomb Bomb Loopapa Tribe Drown Themselves in a Vat of Marmite ' à l'envers si l'on veut saisir le sens des paroles ; mais alors tout le morceau est sens dessus-dessous... et avec le tournis, on passe à un 'All the Stars Are Falling' manifestement fort alcoolisé, à la saveur new-wave renforcée d'effets torve. Et après deux minutes absurdes, un paysage de plage grisonnante nous soulage ; véritable souffle d'air frais, proche de Brian Eno sur ses premiers travaux. Comme à chaque fois avec les bébés de Ka-Spel, il est bien difficile de retenir ou de juger l'ensemble tant son instabilité fait sa force (pour l'anecdote, lorsque j'ai demandé à Ka-Spel quelle drogue conviendrait pour écouter son 'Dream Logik', il a ri et m'a répondu “Believe me, you won't even need any”) – pour ma part, j'y ai tout de même trouvé mon compte, même si l'implication de cEvin Key est assez peu manifeste.