Le nom de Morton Subotnick a peut-être une résonnance familière à vos oreilles. C'est parce que l'Américain a été un pionnier des musiques électroniques. Bon, soit, mais il n'est pas le seul. Tous les éclaireurs ne deviennent pas géneraux. Disons brièvement que le bonhomme a expérimenté en compagnie de l'ingénieur Donald Buchla un modulateur de fréquences qui allait devenir l'ancêtre du synthétiseur, et que les deux pièces présentées ici, fondatrices dans l'oeuvre du compositeur, sont les premières réalisations "abouties" effectuées avec ce nouveau medium. Nous sommes en 1967/1968 - si vous vous intéressez un tant soit peu aux musiques expérimentales, vous avez une idée des forces en présence - jamais il n'y eut panorama plus large de musique novatrices et se voulant révolutionnaires, pas seulement dans le champ "savant" (musique sérielle, concrète, électro-acoustique, répétitive, aléatoire, happenings joyeux en tous genres...) qui squatte le créneau depuis pas mal de temps, mais aussi dans le champ "pop" (Beatles, Velvet, Coltrane, Zappa...) : jamais, avant de se refermer à nouveau, frontières n'auront été aussi poreuses. En un mot comme en cent : la concurrence est rude. Et force est de constater que l'intérêt de ce disque se limite essentiellement à son caractère "historique". "Silver apples of the moon" nous gratifie en sa première partie de bombardements d'électrons un rien tristounets et désuets au modulateur de fréquences, et distille ses ambiances liquides, si familières à nos oreilles d'amateurs d'electro contemporaine. La seconde partie, avec sa pulsation électronique qui devient progressivement folle, annonce de manière plus que troublante le travail de Kraftwerk, ou plus proche de nous d'un ErikM ou d'un Karkowski ; c'est alors qu'on se rend compte du véritable intérêt de telles expérimentations : bien que pas terriblement satisfaisantes en elles-mêmes, elles effectuent un incroyable travail de défrichage, elles ouvrent des portes, des nouveaux champs possibles, aux autres musiques. En seconde partie de programme, ambiances plus sombres au rendez-vous : de la manipulation électro-acoustique avec tentatives d'expressionnisme à tout crin (seconde partie de Wild Bull), qui sonnerait comme la bande originale d'un film d'épouvante mettant en scène la poursuite de Thésée par un Minotaure déchaîné dans un labyrinthe futuriste ; Morton Subotnick cherche parfois à retrouver, de manière quasi-naïve, l'effroi que provoquerait l'orchestre, avec le grincement et les clusters des cordes, ou la vibration sourde des cors répétant sans cesse le même intervalle mineur aux milieu d'harmonies froides et métalliques. Mais la tentative se solde par un demi-échec - moins expressive dans le même registre que celles d'un Xenakis, moins ambitieuse que celles d'un Pierre Henry, cette musique n'est pas parvenue à maturité, comme restée figée dans les décennies au stade expérimental.