Peter Brötzmann › Solo

Véritable force de la nature, Peter Brötzmann devait tôt ou tard venir se plier à l'éprouvant exercice en solitaire. Ce n'est qu'en 1976 qu'il franchit le pas avec ce disque modestement intitulé "Solo". "Brunches", trente secondes d'assaut teutonique, nous donne exactement ce à quoi on est en droit de s'attendre de la part du saxophoniste. Mais c'est comme pour mieux balayer devant sa porte. Comme pour nous dire : oui, c'est bien moi, vous me connaissez, vous savez ce que je fais, et comment je le fais. Je vous en donne un bout, mais vite fait. Maintenant, il est temps de passer à autre chose... Car un album en solitaire, c'est s'exposer, et l'occasion unique de dévoiler des facettes de sa personnalité jusque là peut-être méconnus. Comme sur "Tschüs", Brötzmann privilégie la clarinette (cinq titres, pour quatre à l'alto, deux au ténor et "Humpty Dumpty", seul titre au baryton). Comme sur ce même album, il reprend sa composition "Two Birds in A Feather" qui laisse transparaître des racines ancrées dans le blues à la Mezz Mezzrow. "Piece for Two Clarinets" en est un illustre exemple, mais sans doute plus encore l'ouvertement exotique "Der Grieche" où Brötzmann transforme ses notes en pure lamentation criarde qui immanquablement vous prendront aux tripes. On pourrait dire la même chose encore de "Blue Balls" qui lui emboîte le pas : après l'installation du thème façon "Pink Panther" de Henri Mancini, Brötzmann déconstruit comme un sale gosse ce qu'il s'était appliqué à bâtir. L'allemand a bien compris qu'il eut été trop facile de s'adonner à une caricature de lui-même. Aussi sommes nous agréablement surpris de constater à quel point l'artiste peut aussi faire preuve de retenue et jouer avec les dynamiques à bon escient ("Scrambag"). Avec "Solo", Brötzmann nous prouve qu'avant d'être un saxophoniste extrêmement puissant, il est d'abord et surtout un musicien accompli et un compositeur sensible qui sait pertinemment ce qu'il fait.